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Bonjouuuur ! Aujourd'hui, on va commencer à élucider un mystère qui traîne depuis le début du tome 2 : le rôle d'une certaine clé... :D


***

Au grand soulagement de Cornélia et Blanche, ils retrouvèrent Pouet et la petite licorne à l'extérieur, dans la rue exacte où ils les avaient laissés.

– Ils sont pas morts et ils ont pas fait de bêtises non plus ? fit Beyaz, traduisant à voix haute ce que tout le monde pensait. Incroyable.

– Pour les bêtises, il est trop tôt pour le dire, marmonna Cornélia.

Les deux créatures étaient assises sagement l’une en face de l’autre et semblaient très concentrées : elles étaient plongées dans un jeu qui consistait à se faire des passes avec un caillou. En s’approchant un peu plus, les boyards distinguèrent un troisième joueur, tout petit.

Un joueur qui fila se cacher prestement sous une carcasse de voiture, sitôt qu’il les remarqua.

– Tiens ! s’exclama Blanche. Mais je le connais, lui ! Je l’ai vu tout à l’heure. Il est trop mignon ! Il m'a suivie ou quoi ?

Elle alla s’accroupir près de la voiture. La bestiole s’approcha timidement. Les autres boyards aperçurent ses gros yeux globuleux, sa tête ronde qui émergeait d’un paquet de plis – un paquet qui était, en réalité, son corps.

– Quoi ? releva Cornélia. Comment ça, tu le connais ?

– Baste, grogna Beyaz avec son air renfrogné. Les bestioles, c’est comme les cafards, on commence avec une seule et on se retrouve submergé.

– M’en parle pas, répliqua l'aînée. On a juste commencé avec Pouet, nous ! Et on finit avec un convoi de trois cent nivées et une vouivre psychopathe !

Aegeus ne réagit même pas, ce qu'elle trouva inquiétant. Il était encore pâle et moite, fiévreux après sa métamorphose. Elle choisit de l'ignorer et s’accroupit près de Blanche.

– Ne commentez pas son apparence, prévint la blondinette. Sinon, il va fondre en larmes. Littéralement.

– Normal, c’est un squonk, fit savoir Aaron. Ils savent qu’ils sont laids, ils passent leur temps à se cacher pour pleurer. Qu’est-ce que ce truc fout là ?

La jeune fille tendit son index vers la bestiole, qui tendit le sien à son tour, dans un parfait mimétisme. Un grand sourire bête échappa à Blanche ; sa sœur comprit qu'elle rejouait la célèbre scène d'E.T. l'extraterrestre.

– Qu'est-ce que tu fais ici, petit squonk ?

– N'espère pas le prendre dans le convoi, prévint aussitôt Aaron.

– Pourquoi pas ? fit Cornélia d'un ton blasé. On a déjà accepté les jackalopes gratuitement. Un de plus ou de moins…

Aegeus ne la contredit pas, ce qu'elle trouva extrêmement bizarre. Il contemplait le squonk sans mot dire. Un éclair de ruse traversa ses yeux clairs.

– Peut-être qu’il a de quoi se rendre utile au convoi.

Il se baissa lui aussi à son niveau. La petite bête se ratatina, effrayée, et se cacha derrière ses longues oreilles tombantes. Des larmes enflèrent au coin de ses paupières.

– Calme-toi, petit, ordonna sèchement Aegeus. Tu connais bien le coin ?

La bestiole s’essuya les yeux. Elle hocha la tête. Un air songeur passa sur le visage d’Aegeus ; il lança un regard indéchiffrable vers le palais qu’ils avaient quitté, coincé entre les chapelles et les clochers d’or. Puis, de nouveau, il eut cet air malin qui ne disait rien de bon à Cornélia.

– Oh, j’aime pas ce regard, gémit Mitaine avec nervosité.

– Nous allons à un bal, rappela Aegeus d’une voix lente. Un bal où seront conviés plusieurs immortels. Dont Midas, qui me prend pour sa pute, et Epona, la déesse cheval, qui me méprise. Mais ces deux-là, entre eux, ont une vieille histoire pleine de rancœur. Une histoire que je peux exploiter à mon avantage...

Il marqua une pause. Aucun boyard ne dit un mot, attendant la suite. De nouveau, Aegeus regarda le squonk.

– Si je pouvais débarrasser la Strate de Midas, et gagner d’un même coup les faveurs d’Epona…

Cornélia eut envie de s'arracher les cheveux. Encore un plan foireux !

– Hors de question que tu utilises cette pauvre bête pour tes propres intérêts ! protesta Blanche.

– Ce n’est pas lui que je vais utiliser, sourit Aegeus. C’est toi. Sous ta forme de raijū.

Le sang de Cornélia ne fit qu’un tour. Elle aboya presque sur lui :

– Je croyais que Midas était invincible ! Il est fait de métal, il n’est techniquement même pas en vie. Comment on pourrait se débarrasser de lui ?

Aegeus eut un rictus cynique. Il désigna les coulées d’or qui dévoraient les bâtiments de Moscou.

– Il existe peut-être un moyen... mais pour cela, il faut retourner sa propre nature contre lui.

Il se pencha vers le squonk.

– Midas a une écurie secrète quelque part. Il y garde enfermés Árvakr et Alsvinnr, un couple de chevaux divins. Et peut-être d’autres... Mais l’endroit doit être sévèrement surveillé. Ça te dit quelque chose ?

La petite nivée plissa un œil, songeuse. Elle observa les monuments qui les encerclaient, comme si cela pouvait l’aider à se souvenir.

– Ce truc sait à quoi ressemble un cheval, au moins ? grommela Gaspard, qui se prit un coup de coude de Mitaine.

Grandes pattes. Grandes bêtes. Brillantes comme le soleil ? demanda le squonk.

La satisfaction passa sur le visage d’Aegeus.

– C’est ça.

Il se tourna vers Blanche.

– Fais équipe avec ce squonk. Retrouve ces chevaux et libère-les. Amène-les au convoi. Ensuite, tu surveilleras les faits et gestes de Midas. Tu nous préviendras s’il envoie des hommes vers nous, ou s’il se déplace lui-même.

– Quoi ? se récria Mitaine. Mais on va se faire trucider ! Il va comprendre que c’est nous les voleurs, on est les seuls crétins à se promener chez lui comme si de rien n’était !

– Justement. (Aegeus gratta sa joue du bout de l’ongle et en détacha quelques écailles.) Il faut qu’il sache que je suis le voleur. Et il faut qu’il se déplace… Le plus important, c’est que l’altercation se passe près du convoi, mais de son côté à lui de la frontière.

Il déposa les écailles dans la paume de Blanche.

– Tu laisseras ça dans l’étable, à un endroit assez visible, mais assez naturel cependant pour que ça ne ressemble pas à un piège grossier.

– On va tous crever, marmonna Danaé, qui passait nerveusement d’un sabot sur l’autre.

D’un geste, son chef lui enjoignit de se taire. Il braqua son regard péremptoire sur Blanche.

– C’est une mission risquée, qui nécessite de nombreuses qualités. Tu penses en être capable ?

Cornélia serra les poings, comprenant ce qu’il était en train de faire. En la mettant au défi, il jouait sur sa fierté de petite humaine, sur son envie de prouver qu’elle maîtrisait son masque à la perfection. Et comme elle le craignait, Blanche n’hésita pas un instant.

– C’est comme si c’était fait !

Aegeus la contempla, satisfait. Mais son lieutenant les interrompit.

– Ces canassons, là, Alsvinnr et Árvakr... c'est les coursiers du soleil. C’est déjà dingue que Midas ait réussi à les enchaîner. Si elle les libère, ils vont tout cramer sur leur passage… (Ses yeux effleurèrent Blanche, et elle fut certaine d’y lire de l’inquiétude.) Y compris elle. C’est du suicide. Comment tu veux qu’elle les maîtrise ?

Les boyards se tendirent, nerveux pour leur coéquipière, en réalisant la complexité de la tâche qui l’attendait. Aegeus ne répondit pas immédiatement, et pendant ce laps de temps, Blanche soutint le regard d’Aaron. Des sentiments contradictoires la tiraillaient. Le garçon tentait de la protéger, ce qui la touchait ; mais elle détestait sa façon de sous-entendre qu’elle n’était pas à la hauteur.

– J’y arriverai, rétorqua-t-elle.

– Ou tu vas juste crever comme une idiote. Je vous dis que c’est du suicide.

Furieuse, elle avança vers lui et le fusilla des yeux. Pourquoi se sentait-il toujours obligé de camoufler son affection en la rabaissant ?

– Bah vas-y, insulte-moi carrément ! Ça te tuerait de me soutenir, pour une fois ?

Il fit lui aussi un pas en avant pour lui crier dessus.

– J'ai juste pas envie d’aller chercher ton squelette cramé pour le ramener à ta sœur ! Tu comprends ça, la naine ?

Ils se retrouvèrent nez à nez, brûlants de colère.

– Calme, Aaron ! trancha la voix d’Aegeus. Il suffit.

Le jeune homme souffla avec énervement, exactement comme la Mouche lorsque son collier électrique l’empêchait d’attaquer. Puis il détourna la tête. Blanche dévora des yeux la ligne de son profil, la découpe de sa mâchoire et de son nez busqué.

– C’est la deuxième fois que tu remets mes ordres en question, Aaron ! (Le garçon voûta un peu les épaules, comme un animal grondé.) Reste à ta place ! Chaque fois, tu te sens pousser des ailes lorsque cette humaine rachitique est menacée. Alors qu’elle est maligne et increvable comme une teigne !

– Ah bah ça fait plaisir, marmonna la teigne en question.

Aegeus poussa un grognement exaspéré. Il posa une main sur l’épaule de son second, et l’autre main sur celle de Blanche.

– Blanche est un raijū. L’unique créature au monde capable d’aller plus vite qu’Alsvinnr et Árvakr. S’il y a une bête capable de se faire respecter d’eux, c’est bien elle.

Blanche gonfla de fierté, comme une poule ou un hippalectryon fier de lui. Mais Aegeus n’en avait pas terminé.

– Vous deux, vous commencez à me fatiguer avec vos simagrées ! J’ai besoin d’une éclaireuse fiable et d’un lieutenant solide ! Pas de deux mules en chaleur qui se mordillent sans cesse. Alors quand on en aura terminé avec ce cabrón de Midas, je veux que vous vous envoyiez en l’air une bonne fois pour toutes et que vous arrêtiez de nous faire chier avec vos hormones !

Blanche pâlit et rougit successivement ; Aaron se changea en statue. Dans le silence, on entendit un petit ricanement. Celui de Danaé.

– J’ai une question, finit par dire Cornélia histoire de briser le malaise général. Avant que ma sœur aille se faire cramer par deux chevaux de feu. (Elle croisa les bras et leva le menton, défiant Aegeus.) Tu sais de source sûre comment vaincre Midas ? Elle va pas faire ça pour rien, hein ?

Un sourire fugace passa sur les lèvres de la vouivre.

– Ce n’est pas moi qui vais le vaincre. Mais je crois avoir en ma possession l’unique chose qui pourrait le réduire à néant. Et pour cela, il faudra simplement l’attirer jusqu’à nous.

– Quelle chose ? rétorqua Cornélia.

Il lui lança une œillade.

– Une clé.


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