Chapitre 6 : Le bel estropié

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Adam apparut sur le parvis de l’église en grimaçant. Il souffrait de plus en plus, visiblement. J’étais en bas des escaliers, attendant la descente du cercueil, pour rejoindre ensuite le cimetière. Il se tenait derrière avec ses proches. Il était entouré de ses parents, de sa famille et d’une partie de ses potes. Quatre de ses amis s’installèrent pour porter le grand coffre lustré contenant le corps de Bastien. Quatre jeunes hommes au visage sombre dont les larges épaules soutenaient la dernière demeure de l’adolescent décédé. Un dernier hommage du quartier.

Adam regardait la scène, impassible.

À ce stade, on pouvait se demander lequel des deux frères était mort tant son expression était inhabitée. Il attendait dans son fauteuil, puis Xavier et Maxime vinrent le chercher pour le porter à son tour. Quand ils l’attrapèrent et ce, malgré toutes leurs précautions, son visage se crispa de douleurs.

Je le fixai comme si toute l’attention que je portais sur lui avait le pouvoir de le soulager. Ce n’était pas le cas. J’avais mal pour lui, mais je n’y pouvais rien, d’autant plus que lui ne me jetait toujours aucun regard. J’étais transparente à ses yeux. Je n’existais pas dans son monde fracassé. Sur le coup, réalisant cela, j’eus peur qu’il en soit toujours ainsi. Que je disparaisse de sa vie comme nos frères avaient disparu de la nôtre. Je trouvai l’idée insupportable. Comment réussirais-je à atteindre mon objectif s’il ne savait pas que j’étais là ? Comment allais-je faire pour qu’il soit le premier s’il oubliait mon existence ? Comment allais-je continuer à vivre sans parvenir à honorer cette promesse qui me tenait à cœur ?

Adam faillit tomber en bas des marches en se réinstallant dans son fauteuil. Son père le rattrapa de justesse par sa veste, comme s’il était un gosse qui s’apprêtait à chuter. Pourtant, il était loin de la taille d’un môme. Un mètre quatre-vingt-cinq à vue de nez. Un corps maigre mais musclé, sculpté par des années de sport.

Il jouait au foot avec nos frères. Ils n'étaient pas dans la même équipe, seulement dans le même club, l'Étoile du Cens. Je l’avais parfois vu sur le terrain d’entraînement. Gardien de but, c’était son poste. Il avait le corps pour ça. Rassurant et protecteur, encore qu’avec toute sa panoplie d’estropié, il avait davantage l’air fragile et vulnérable.

Alors pourquoi ressentais-je une telle force émanée de lui ?

Adam et ses parents regardèrent le cercueil entrer dans le corbillard. Sa mère pleura de plus belle. D’un bond, Adam se leva sur sa seule jambe valide et la prit dans ses bras. Son père les enveloppa tous les deux ensuite. On aurait dit un mille-feuille de tristesse. Je les regardai et me sentais honteuse de les regarder. Quel voyeurisme ! Ce que je reprochais aux badauds venus aux obsèques de nos frères, voilà que je le faisais à mon tour. Mais je ne pus m’en empêcher, hypnotisée par la scène.

En consolant sa mère, Adam était plus beau que jamais.

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