Chapitre 11 : Un contact vital

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Nous restâmes dans cette position pendant de longues minutes, nos corps serrés sur le clic-clac, nos regards rivés sur l’écran.

Il était concentré. J’étais perturbée.

Je lui jetai des œillades en biais et détaillai son visage abîmé. C’était la première fois que je le voyais d’aussi près. Ses deux profondes cicatrices, l’une au front, l’autre à la tempe, n’étaient plus recouvertes de pansements. On voyait encore les fils qui resserraient ses chairs blessées. Les autres petites coupures de verre brisé n’étaient plus que quelques croûtes à peine visibles. Ses hématomes bleus et verts avaient presque disparu également, effaçant peu à peu les dernières traces de l’accident.

Au-dessus de sa minerve, il était mal rasé, arborant une barbe de plusieurs jours. Cela lui arrivait souvent et renforçait son côté ténébreux. Sa peau était brunie par le soleil qui réhaussait son hâle naturel. Comme Bastien et mon frère, Adam était toujours dehors, quelle que fût la saison, à jouer au foot ou à traîner avec sa bande. Cela dit, même en hiver, dans sa famille, ils avaient tous l’air de revenir de vacances. C’était peut-être le cas, d’ailleurs. Ils possédaient une maison secondaire en Bretagne dans laquelle ils se refugiaient souvent.

Comparée à la sienne, ma peau laiteuse faisait pâle figure. Cette différence de teinte se voyait sur nos mains, pressées l’une sur l’autre sur la manette. Sa grande main bronzée écrasait la mienne, plus petite et pâlotte. Pendant qu’il me montrait la technique du jeu vidéo, il me broyait les phalanges de ses doigts noueux, inconscient de sa force. Mais ses paumes brûlantes enrobaient ma peau glacée d’une chaleur bienfaisante, alors je ne me plaignis pas.

Malgré le fait que je frôlai la crise cardiaque, je me sentais éminemment bien. J’essayais de suivre ses conseils, qui s’apparentaient plutôt à des ordres tant son ton était directif. Il se rendit vite compte que je n’étais pas tellement douée. J’avais peur qu’il déclare forfait et reprenne la manette pour continuer sa partie seul. Je voulais ce contact pour le reste de ma vie.

Le côté de son torse était accolé à mon flanc. La pression de son bras sur mon dos m’enveloppait de chaleur. Son visage était si proche du mien que je pouvais inhaler le parfum de son haleine tiède. Son corps sentait le mâle, mélange de sueur et de déodorant. J’adorais. Sous les effluves virils, je ne percevais pas l’odeur artificiel d’un parfum de synthèse. Pourtant, il y avait un flacon sur son bureau. Je supposai qu’il n’en mettait que pour les grandes occasions, comme mon frère le faisait.

Adam était une énigme que je prenais plaisir à décrypter.

Au bout de plusieurs essais, par un grand miracle, j’arrivai à peu près à me débrouiller seule. Alors il retira son bras, à mon grand désespoir. Une sensation de vide s’en suivit. Son corps me manquait déjà. La chaleur qui émanait de lui, son odeur musquée et légèrement âpre, ses doigts sur mes mains, tout semblait nécessaire à ma survie. J’avais besoin de sa proximité. Respirer le même air que lui ne me suffisait pas. Je voulais goûter sa salive et sentir ses caresses. Ces idées audacieuses ne me quittèrent plus et me firent rougir, ce qu’il ne remarqua pas, trop absorbé par l’écran sur lequel apparaissaient mes modestes talents.

Il continua à commenter mes progrès et à m’abreuver de conseils, toujours similaires à des injonctions. Son visage arborait un sourire satisfait. Il me félicita pour mes apprentissages rapides. J’en conçus de la fierté. Pas d’être parvenue à jouer à ce jeu stupide, mais d’avoir été capable de lui faire plaisir. J’étais heureuse de le savoir heureux. Adam était content de m’enseigner quelque chose, cela se voyait, quand bien même cela n’avait aucun intérêt dans nos vies. Au moins, cela nous divertissait et nous permettait d’oublier un peu la tragédie qui venait de se dérouler.

Quelqu’un toqua à la porte, ce qui me fis sursauter contre lui. Ma réaction le fit rire :

— La vache Anna, détends-toi. Pour un peu on aurait dit que j’étais en train de t’embrasser !

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