Chapitre 24 : Accusée

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Ce qui était risible dans ces accusations c’est qu’elles étaient parfaitement infondées car l’idée même de pénétrer dans son antre ne m’avait pas effleurée. Et je le regrettai amèrement à présent. J’aurais adoré découvrir sa tanière de sauvage et m’infiltrer une nouvelle fois dans son monde secret. Mais il était trop tard à présent et j’avais manqué une belle occasion.

— Désolée, mais je n’y suis pour rien. Je n’ai jamais songé à y entrer et à vrai dire, j’étais persuadée que la porte était fermée à clef. Étant donné ton caractère taciturne, je m’attendais à ce que tu te barricades dans ta chambre comme un prisonnier dans sa cellule.

Il me dévisagea comme un moustique sur un mur, prêt à se faire éclater. Je devais bien admettre que ma tirade avait fait mouche et que moi-même j’en étais encore soufflée. Je n’étais pas d’une nature timide mais un tel aplomb me surprit. Qui était donc cette fille qui osait répliquer de la sorte au seul homme qui faisait battre son cœur ?

Une débile ?

— Moi, je suis taciturne ? répéta-t-il vexé. Ce n’est pas ce que j’ai l’habitude d’entendre à mon sujet. J’en ai entendu beaucoup me concernant mais jamais ça.

Je savais qu’il disait vrai. Sa réputation n’était plus à faire dans le quartier. Adam le queutard, Adam le tombeur. Adam qui ramassait les filles à la pelle, et elles étaient nombreuses à se pavaner à ses pieds. Adam le bagarreur qui avait la main leste et la détente preste. Tout le monde savait que depuis la mort de nos frères, il filait parfois un mauvais coton en soirée. Je n’en avais pas parlé à ses parents mais des rumeurs circulaient à son sujet. Il se disait qu’il avait changé depuis ce jour fatidique, comme si toute la noirceur qui l’avait habitée jusqu’alors s’était répandue sur lui comme une coulée d’encre. Adam avait subi un phénomène de la même ampleur que la catastrophe de l’Érika. Il était comme cette magnifique mer bleue et calme soudainement recouverte de mazout noir, opaque et collant. Sa peine s’était étendue sur son être comme une nappe de gasoil, toxique et destructrice.

— Tu es devenu taciturne, mais je sais qu’on ne peut pas te le reprocher, répondis-je conciliante. Cependant, ce que je peux te dire, c’est que cela inquiète tes parents. Tu devrais les préserver. Ils ont déjà assez souffert comme ça, tu le sais bien.

— Putain, j’aurais tout entendu ! Je rêve ou tu es en train de me faire la morale et de me dire comment je dois mener ma vie ?

Apparemment, il n’appréciait pas que je lui tienne tête mais, malgré nos années d’écart, je n’avais pas envie de m’écraser face à lui.

— Prends-le comme ça si tu veux, répondis-je calmement. Je te fais juste remarquer que ton attitude désinvolte les préoccupe, c’est tout. Tu devrais faire attention à eux, après ce qui s’est passé... Tu es bien placé pour savoir ce qu’ils ont enduré.

— Merci sincèrement pour tes conseils avisés, miss Sainte-Nitouche. Mais tout le monde ne peut pas être aussi parfaite que toi, Anna. Quand tu auras grandi, tu comprendras peut-être que la vie c’est pas aussi simple que de faire plaisir à papa-maman.

Il s’esclaffa après ses propos sarcastiques, avant de terminer sa diatribe sur le même ton acerbe :

— De la part d’une gamine à peine sortie des couches et toujours accrochée aux jupons de sa mère, me faire sermonner de la sorte, elle est pas mal celle-là !

À ces mots, mon sang bouillit dans mes veines et je lui claquai violemment la porte au nez.

Pauvre con.

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