Chapitre 67 : Vague à l’âme

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Un mois passa. Un mois difficile, où, privée de sortie, je tournais en rond dans la maison comme un hamster dans sa roue, et où mon esprit en fit autant, se repassant en boucle les mêmes images interminablement. La nuit dans la grotte, les caresses d’Adam...

Adam, Adam, Adam...

Ses mains sur mes seins, titillant la pointe jusqu’à m’en rendre folle. Ses mains sur mon corps, me faisant frémir de tous les pores de ma peau. Sa bouche... sa bouche pulpeuse mordillant la mienne, entre deux coups de langue... Sa langue, douce et agile, jouant entre mes lèvres... Rien que d’y penser, mon épiderme se recouvrait de chair de poule, dressant chaque petit poil comme le pelage d’un chat effrayé.

Son souvenir me torturait. J’étais devenue taciturne, éteinte, amorphe. Ma mère, qui me surveillait comme le lait sur le feu, commença à s’inquiéter. Un soir, un peu avant la fin de ma punition, tandis que le mois écoulé arrivait à son terme, elle vint me parler dans ma chambre. Elle s’assit solennellement sur le bord de mon grand lit, droite comme un I, visiblement mal à l’aise.

— Anna, que se passe-t-il ?

— Rien, pourquoi ?

— Je vois bien que depuis ton retour d’on-ne-sait-où, tu n’es plus la même.

Ah oui ? Eh bien, qui étais-je alors ? me demandai-je avec une pointe de sarcasme. J’étais sa fille pourtant ! L’avait-elle oublié ?

— Il y a quelque chose qui te tracasse ?

— Rien du tout.

— Je n’ai pas remarqué de marques d’agression, comme lorsque tu es revenue après ton attaque dans le bois, alors je ne me suis pas inquiétée en te voyant réapparaître la dernière fois mais... les blessures ne sont peut-être pas visibles...

Ma poitrine se serra. Faisait-elle référence à des blessures intimes, sur une partie cachée de mon corps, ou à ce couteau qu’il m’avait planté en plein cœur, à présent en lambeaux ? À quoi bon en parler ? Cela arrangerait-il les choses ? Non, évidemment pas. Il n’y avait plus rien à faire pour moi, plus rien à espérer d’autre que ce vide lancinant dans lequel je tombais jour après jour inexorablement.

— Il n’y a rien, maman, je t’assure. L’école me prend la tête, c’est tout. Je ne vois plus personne en dehors des cours, puisque je suis punie, alors forcément, en ce moment, ma vie, ce n’est pas la joie.

— Avec qui étais-tu cette nuit-là ?

Je lui répétai la même chose que ce je leur avais déjà dit depuis mon retour, et à maintes reprises, à elle et mon père. Que j’étais partie seule, en stop, bouleversée par mon anniversaire. J’avais alors perdu la notion du temps et m’étais endormie sur la plage sans m’en rendre compte. J’ajoutai que cela n’avait plus d’importance car j’étais en train de payer pour ma bêtise. Je lui promis de ne plus jamais me montrer aussi irresponsable, mais l’avertit néanmoins : vu ma longue punition, que j’acceptai sans réserve, ma mère ne pouvait pas me reprocher, en revanche, de ne pas être gaie comme un pinson.

— Ton père est très inquiet pour toi.

J’avais du mal à la croire, car je ne le voyais presque jamais. En réalité, j’avais appris quelques jours auparavant qu’il avait rencontré quelqu’un et cela me dégoûta de lui. Après sa période trop porté sur l’alcool, voilà qu’il dissipait son mal-être en s’oubliant avec les femmes. C’était pathétique. J’avais honte de lui à présent et ne souhaitais plus trop le voir, trop heureuse de le savoir loin de nous, à profiter de son autre vie. Bon débarras. Il m’avait déçu, il nous avait trahies, alors apprendre qu’il s’inquiétait pour moi était bien le cadet de mes soucis.

— Et toi, tu ne l’es pas ? demandai-je avec un ton sardonique qui ne me ressemblait pas.

— Non, admit ma mère en affichant un regard triste. Enfin si, un peu, mais je me souviens que l’adolescence n’est pas une période facile, alors je prends mon mal en patience en espérant que tu ne fasses pas de conneries.

— Comment en ferais-je alors que je suis enfermée ?

— Il y a des tas de façons de se faire du mal, Anna, des tas, crois-moi...

Sa réponse était dite avec la voix éraillée, de celle que l’on utilise lorsque les mots nous font mal. Je devinais que ma souffrance faisait écho à la sienne. Cela me donna envie d’en apprendre plus sur elle, et sur sa vie d’avant. Je ne savais pas si j’avais raison d’aller sur ce terrain-là, mais ma mère m’avait tendue une perche qu’il me fallait saisir.

— On dirait que tu as connu ça, toi aussi, les vagues à l’âme de l’adolescence...

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