Chapitre 7 : Vivre

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Adam m’a abandonnée.

Il n’est pas venu à l’enterrement de mon frère.

Pourtant, j’avais assisté à celui du sien ce matin, bien que mes parents n’aient pas tenu à y aller. Trop éprouvant pour eux d’assurer les deux cérémonies dans la même journée, m’ont-ils dit.

Certes, mais j’avais besoin de leur dire au revoir à tous les deux.

Seulement voilà. Maintenant que je réalisais qu’Adam n’était pas là, je m’en mordais les doigts.

Je le lui pardonnai aussitôt cependant. Je savais l’épreuve physique que cela avait été pour lui, avec son fauteuil roulant, l’immense escalier et aucun accès handicapé pour atteindre l’intérieur de cette vieille église. Néanmoins, son absence me brisa le cœur, si tant est que ce fusse encore possible.

Cette fois, ce fût à notre tour d’être au premier rang. C’était encore plus horrible que celui que j’avais occupé en arrière-plan quelques heures auparavant. Tout ici était plus... réel.

Le cercueil en bois laqué, les fleurs qui envahissaient tous les espaces libres, débordant de part et d’autre de l’estrade où le prêtre officiait. C’était le même homme que pour la cérémonie de Bastien, avec son prêche délirant sur les bienfaits de la mort et le bonheur d’être au paradis.

Je crus à un moment que l’homme d’église était bourré, lorsque sa langue fourcha :

— Nous sommes là pour Bastien, euh Sébastien.

Ah oui, évidemment. Une erreur courante. Bastien et Sébastien, les deux inséparables. On les distinguait facilement, nous, les gens du quartier. On appelait toujours mon frangin Seb pour éviter de se tromper. Bastien et Seb, toujours dans ce sens-là. C’est pas compliqué pourtant, espèce de simplet.

La photo de mon frère me regardait. Seb affichait un immense sourire dessus, comme s’il était heureux de nous quitter.

Complètement délirant.

J’avais la nausée et beaucoup trop chaud dans cette église aussi bondée que le matin.

Adam n’était plus là et je ne savais plus sur quoi poser mon regard.

Rien ne me faisait du bien, rien ne me soulageait en détournant mon attention.

Je devais juste tenir assise patiemment entre mes deux parents éplorés. Comme ceux d’Adam, ces derniers m’entouraient comme deux garde-chiourmes. Pourtant, je n’étais pas esquintée comme lui et je n’avais pas besoin que l’on me surveille comme le lait sur le feu. Je voulais au contraire qu’on m’ignore. J’aurais tout donné pour me cacher derrière une colonne en pierre, pour me vautrer sous un banc, pour me barrer en courant.

Ce furent les heures les plus éprouvantes de ma jeune vie. Le pire moment arriva à la fin de la cérémonie lorsque les gens défilèrent les uns derrière les autres pour nous saluer et nous offrir leurs condoléances.

Horrible.

Dégoulinant de mièvrerie et de compassion exacerbée. Je voulais fuir, oublier, disparaître.

Je voulais retrouver la vie qu’Adam avait fait renaître en moi.

J’en avais marre de la mort.

J’en avais plus que marre de cette mort qui ne voulait plus me lâcher.

Je voulais vivre.

Je voulais de la vie et de la chaleur.

Je voulais rire et aimer.

Je voulais juste partir et oublier.

Qu’on en finisse, par pitié, qu’on en finisse.

Désolée mon frère mais, même si cette journée t’est dédiée, je ne veux plus y participer.

Seb était un adolescent qui passait son temps à chambrer. Je savais qu’il me comprendrait. Je savais qu’il me pardonnerait.

Je voulais vivre et quitter cette église sinistre dont les murs froids suintaient de désespoir.

Vivre, vivre, vivre.

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