Les vacances se déroulaient bien. Mes parents profitaient autant que moi et se détendaient comme rarement depuis l’accident. Il faut dire que ces derniers mois avaient été tumultueux. La maison avait maintes fois résonné d’engueulades et de sanglots et tous les deux s’étaient montrés particulièrement à cran.

Mais Violaine et son mari, Paul, étaient vraiment adorables et avaient mis mes parents à l’aise, les accueillant comme des amis de longue date, ce qu’ils n’étaient pas au demeurant. On avait beau vivre tous dans le même quartier depuis des années, il avait fallu un incident aussi dramatique que la mort de leurs enfants pour les rapprocher.

Ici, mes parents avaient l’air de se reconnecter. J’en fus soulagée. Malgré ma tristesse à l’idée de ne pas revoir Adam, je profitai de mes journées pour me dorer la pilule au soleil, alternant lecture de revues féminines et romances psychologiques pour teenager.

Nous décidâmes de fêter mes quatorze ans dans une crêperie. Je choisis ce que je prends toujours dans les crêperies bretonnes : une galette au saumon et une crêpe au caramel au beurre salé. Je refusai le cidre à table, et le champagne pour trinquer en mon honneur. Mes parents m’y incitèrent cependant, expliquant que c’était juste pour me célébrer et marquer le coup. Mais je tins bon. J’avais pris la décision ferme et irrévocable de ne jamais boire d’alcool de ma vie. Lorsque je le leur dis, les adultes me dévisagèrent, étonnés, mais acceptèrent mes nouvelles résolutions. Je compris à son regard que ma mère ne me prenait pas au sérieux et pensait que cette lubie allait me passer en grandissant.

Elle me connaissait mal. J’étais du genre très déterminée. Obsessionnelle aurait été plus exact, mais n’allons pas sur ce terrain-là.

On fit honneur à mon gâteau d’anniversaire en rentrant à la maison, tous les cinq assis autour de la table du salon. Je me sentais bien au milieu des personnes plus âgées, dont j’aimais suivre les conversations, plus enrichissantes que celles de mes camarades de classe. Mes parents disaient que j’étais trop mature pour mon âge, trop sérieuse, qu’il fallait que je m’amuse davantage. Je n'attendais que ça mais je n'étais pas exaucée.

Après avoir soufflé mes bougies, je descendis au rez-de-chaussée rejoindre mes appartements. Je me mis au lit en réalisant qu’il ne me restait qu’un an avant d’atteindre l’âge légal pour avoir le droit de faire l’amour. Avec Adam évidemment. Même si ce n’était pas gagné étant donné que je ne le voyais presque jamais.

Malheureusement pour moi, si le jour de l’enterrement je m’étais sentie transparente, les choses ne s’étaient guère améliorées de ce côté-là. Je n’avais pas gagné en visibilité. Si Adam avait su à une époque que j’existais, à présent, il semblait m’avoir m’oublier. Je repensai sans cesse à cette délicieuse partie de jeu vidéo, le moment le plus intime que nous avions partagé. Le seul et unique à dire vrai. La soirée de la morosité chez Sonia n’avait pas créé le moindre rapprochement. Comment aurait-il pu en être autrement avec l’autre bécasse pendue à son cou et l’engueulade qui avait suivi ?

Bien que cela ne fasse qu’un mois, cela me paraissait loin à présent. Je n’avais que le souvenir de notre tête à tête dans sa chambre auquel me raccrocher pour croire encore que j’avais une chance avec lui. Je ne pouvais pas abandonner mon projet. Je désirais toujours plus que tout conquérir son cœur et lui offrir mon corps.

C’est sur cet espoir fou que je fermai les yeux au soir du premier jour qui ouvrait ma nouvelle année de vie.