Chapitre 27 : Le manque

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— Pourquoi tu as fui comme ça ?

Adam était entré sans demander la permission, sûr de son bon droit. On était chez lui après tout. Je ne répondis pas. Qu’aurais-je pu répondre ?

— Tu me dis que je suis taciturne, mais je crois que tu ne te vois pas, Anna.

Je relevai les yeux, ne comprenant pas le sens exact de ses mots. Il était seul, Dieu merci. Perplexe, je le regardai sans le voir, comme s’il était un hologramme issu de mon imagination.

— Toi, tu as toujours l’air triste. Je ne sais pas si tu t’en es rendue compte mais c’est le cas.

Je baissai les yeux, des larmes menaçants de déborder.

— Il te manque ?

Il était sérieux quand il me demandait ça ? C’était pourtant évident, non ?

— Moi, il me manque, reprit-il. Je ne le dis pas à mes parents parce qu’ils souffrent bien assez déjà. Mais... il me manque tout le temps. C’est pour ça que je suis revenu ces trois derniers jours. Pour me rapprocher de lui, de ses affaires que ma mère a gardé, de nos souvenirs d’enfance qui hantent cette baraque. Quand je reste loin de lui trop longtemps, je me sens mal. Enfin, encore plus que d’habitude, je veux dire. Je sais que tu comprends ça. On a vécu la même chose tous les deux.

Tous les deux ? Il avait dit tous les deux ?

— Sauf que toi, tu n’as pas à t’en vouloir pour quoi que ce soit, ajouta-t-il.

Aussitôt ces derniers mots effacèrent la joie que mon cœur avait brièvement nourri en l’entendant parler de nous ainsi. Il avait l’air soudain si malheureux, si désespéré.

— Toi non plus, Adam.

— Si, en quelque sorte. J’étais au volant.

— Quiconque aurait conduit à ta place n’aurait rien pu éviter. Cela n’aurait pas changé les choses, vous vous êtes faits rentrer dedans par un chauffard alcoolisé qui roulait beaucoup trop vite.

— C’est ce que les gens disent pour me rassurer, pour que j’arrête de culpabiliser, mais en vérité, je suis sûr qu’ils pensent le contraire. Mes parents y compris.

— C’est faux et tu le sais très bien.

Il se tut, comme si j’avais touché une corde sensible, que je lui rappelais quelque chose qu’il refusait de voir. J’avais le sentiment que cette culpabilité était son nouveau vêtement et qu’il ne voulait pas s’en défaire. Même douloureuse, il la portait pour se protéger. Il semblait l’avoir troquée contre la tristesse, peut-être plus difficile à supporter. Il avait tort de s’en vouloir ainsi et je voulais qu’il le comprenne, même si les mots qui sortaient de ma bouche ne feraient pas le poids face à ses remords.

— Tu n’es pas responsable. C’était un accident. Il faut t’en convaincre. Tu n’as pas à assumer les fautes d’un autre. Ça ne servira vraiment à rien. Ça ne les fera pas revenir.

Il ne répondit pas, regardant le couvre-lit comme s’il le découvrait pour la première fois.

— Tu sais que tu dors dans ma chambre, dans mon lit ?

— Hein ?

Dans mon lit ?

Je rougis.

— Ici, c’est ma chambre à la base. Quand Bastien est mort, j’ai migré dans la sienne. J’ai enlevé toutes mes affaires d’ici et je me suis installé chez lui. Ça me donne l’impression d’être près de lui.

Disant ces mots, la commissure de ses lèvres se mit à remonter, dévoilant un de ses premiers sourires, même si celui-ci était triste. Bastien lui manquait et je voyais qu’en parler lui faisait du bien.

— Tiens, ton livre, tu l’as oublié là-haut.

Et il sortit aussi soudainement qu’il était entré.

Adam était comme ça, imprévisible. Avec lui, on ne savait jamais sur quel pied danser.

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