Chapitre 31 : La vie au quartier

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Depuis le décès de nos frères, la vie au quartier avait changé. Quelque chose dans l’air était différent. La légèreté de l’existence, l’innocence de l’enfance, l’insouciance de l’adolescence, tout semblait avoir été balayé. La mort des deux jeunes avait recouvert d’un voile terne les visages devenus graves. Tout le monde avait vieilli.

Les gens me saluaient comme si je revenais de la guerre, avec une bienveillance exacerbée et des yeux de cockers. Leurs regards s’embuaient presque à mon contact. C’était insupportable. Cela me ramenait systématiquement à ma condition de... de quoi, en fait ? Le mot n’existe pas. On ne peut être qu’orphelin de ses parents mais il n’y a pas de terme pour d’écrire ce que l’on devient quand on perd un frère, ou même un enfant. On est juste amputé.

Le seul qui était normal avec moi était Adam. Il ne m’avait pas ménagée durant mon séjour à la villa et, d’une certaine façon, je lui en étais reconnaissante. J’aimais la normalité qu’il affichait avec moi. S’il me croisait dans la rue, il me saluait d’un signe de tête discret, comme il l’aurait fait avec n’importe qui. Nous n’avions plus eu de contact depuis notre engueulade en Bretagne. Il avait sa vie et j’avais la mienne et à part ce lien ténu lié à la mort de nos frères, rien ne nous unissait.

Mathilde me rejoignit dehors et se moqua de moi :

— Tiens, je viens de croiser l’homme de ta vie.

— Adam ?

— Bien évidemment. Qui d’autre ?

Oui, quelle question conne.

— Et ?

— Et alors, rien. Il était avec ses potes, c’est tout. Enfin, pas que.

— Ah. Une fille ?

— Une autre. Une de plus.

— Ça ne veut pas dire qu’il se les tape toutes.

— Non, mais ça ne veut pas dire non plus que tu as une chance. Elles sont souvent plus âgées que lui. On pourra lui reprocher beaucoup de choses à celui-là, mais pas d’être pédophile.

— Et alors quoi ? Tu penses que je devrais arrêter d’y penser ?

— En théorie, oui. Mais je sais bien que tu n’y arrives pas. Je ne sais pas quel sort il t’a jetée mais si c’est un filtre d’amour à sens unique, il est puissant en tout cas. Voilà des mois que tu es ensorcelée ! Pourtant, il y a des garçons dans notre classe et au moins deux s’intéressent à toi. Tu pourrais leur laisser une chance.

— Adam est le seul qui m’intéresse.

— Et le seul qui soit inaccessible, Anna.

Je soupirai. Elle avait raison, bien sûr, je ne pouvais le nier. Mais je ne pouvais pas lâcher l’affaire. Je ne sais pas ce qu’il aurait fallu qu’il se passe pour que j’ouvris les yeux sur la triste réalité. D’autant qu’il se passait toujours un infime détail qui relançait mes espérances.

Depuis la fin de sa rééducation, nous croisions Adam régulièrement dans le quartier. À pied ou en voiture, il circulait librement, paraissant toujours affairé à quelconque occupation passionnante. Seul ou entouré de sa bande de potes à l’allure dégingandée, il allait et venait comme s’il était le maître des lieux et que nous étions ses serfs, entièrement dévoués.

Comme il faisait beau, Mathilde et moi nous promenions toutes les deux. Notre binôme arpentait le bitume en parlant de tout et de rien, comme souvent, toujours à l’affût d’un évènement palpitant, qui n’arrivait presque jamais malheureusement.

Sauf ce jour-là, évidemment.

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