Chapitre 59 : Parfaites imperfections

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Tandis que mes lèvres parcouraient le bas de son visage, Adam ne bougeait plus. Il était immobile. Pétrifié aurait été plus exact. Sa respiration était courte, alternant inspirations superficielles et sessions d’apnée. On aurait dit qu’il avait peur de remuer un cil. Peut-être craignait-il de m’effrayer par un mouvement trop brusque qui m'aurait fait tout arrêter. Du coup, il restait dans sa posture, allongé sur le dos, statufié. J’étais sûre qu’il refuserait de faire le premier pas.

Après avoir goûté son menton, je me relevai en douceur sur un coude et le regardai. Dans la pénombre de la grotte, je voyais ses yeux me fixer et les commissures de sa bouche se relever. Il attendait. Le cœur battant et, avançant au ralenti, je posai mes lèvres sur les siennes, chaudes et moelleuses.

C’était la première fois de ma vie que je le touchais ainsi, aussi intimement, et ce qui me vint à l’esprit, c’est que cela me parut tout à fait normal. Embrasser Adam Bellaji était étrangement et absolument normal. Je l’avais si souvent fait dans ma tête que m’y adonner dans la réalité semblait naturel. Or ce n’était pas le cas. La preuve en était, il tressaillit devant mon audace.

Cependant, il resta inerte, me laissant les commandes. Ma boucha s’écrasa sur la sienne puis, de la pointe de ma langue, j’entrouvris ses lèvres scellées. Il accepta mon intrusion, se laissant guidé par les mouvements que j’entreprenais au hasard. Mieux, ses lèvres s’ouvrirent davantage pour laisser s’insinuer ma langue inquisitrice. Elle alla taquiner la sienne, jusque-là très chaste et patiente.

Enfin, il se réveilla, peut-être encouragé par la musique. « Leave a light on » de Tom Walker avait démarré calmement. Mais, au moment du refrain, plus nerveux, ses lèvres remuèrent en rythme sur la chanson, comme revenues à la vie. Sa langue se mit à danser dans ma bouche, vivante et volubile.

Quel baiser fabuleux. Je n’avais jamais rien connu de tel, évidemment. Tout y était. La puissance de ses élans, la douceur de ses lèvres, l’impétuosité de sa langue qui s’immisçait dans ma bouche, avant de s’en retirer, pour revenir ensuite à la charge, inlassablement. On aurait dit qu’elle suivait le reflux de la mer qui était à nos pieds.

Sa main se posa derrière ma tête pour m’inciter au rapprochement. Mon corps suivit sa demande et je collai ma poitrine contre son torse. J’étais à moitié allongée sur lui, une jambe par-dessus sa cuisse.

Ma main vint encadrer son beau visage. Je promenai mes doigts le long de sa mâchoire anguleuse, que les années semblaient avoir taillé dans le granit. Tandis qu’il s’emparait de ma bouche avec ferveur, mes doigts remontaient vers sa joue, autrefois si abîmée dans l’accident. Il restait deux longues cicatrices qui blanchissaient et se voyaient de moins en moins au fil du temps. Je ne voulais pas les voir disparaître tant elles lui allaient bien. Ces marques faisaient partie de lui, de son histoire, et symbolisaient la chance qu’il avait eu ce jour-là. Je les aimais autant que le reste, si ce n’était plus. Je caressais les irrégularités de sa peau, tombant amoureuse de ses imperfections. Malgré les défauts qu’elles créaient sur son visage, je ne l’en trouvais que plus parfait.

Je profitai qu’il reprit son souffle pour retirer l’écouteur et m’en ouvrir à lui :

— Tes cicatrices, je les trouve belles.

Il sourit d’abord, flatté, puis grimaça.

— J’aurais préféré ne jamais les avoir.

Aïe. Évidemment, j’aurais dû m’y attendre. Mon compliment sincère était finalement tombé à plat et n’avait fait que raviver d’anciennes plaies jamais refermées. Je les connaissais ces plaies. Dans une moindre mesure, j’avais les mêmes. Mais Adam ne souffrait pas que de la perte de ses compagnons d’infortune, il vivait avec le poids de sa culpabilité.

— On ne peut pas réécrire le passé, Adam.

— Je sais... J’aimerais pourtant. Revenir en arrière, agir différemment.

— Je peux te jurer que quoi que tu aurais fait, tu n’aurais rien pu changer à ce qui s’est passé cette nuit-là. Vous vous êtes faits rentrer dedans. Tu n’y es pour rien. Tu dois t’en convaincre et te pardonner.

— C’est plus facile à dire qu’à faire, Anna, crois-moi. Pas une journée ne passe sans que je ne pense à eux.

— Aucun des deux n’aurait souhaité que tu t’en veuilles à ce point.

— Aucun des deux n’aurait souhaité mourir ce soir-là.

Je me mordis la lèvre. J’avais loupé une belle occasion de me taire...

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