Chapitre 4 - Partie 4

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  Il me poussa dans une nouvelle pièce, une salle de musique. Mon estomac se noua. Avec ses canapés disposés autour d’un piano à queue, elle ressemblait beaucoup trop à la mienne, celle que Kalor m'avait dédiée.

  –Les partitions sont ici, m'expliqua l'Inconnu en désignant un meuble dans mon dos, je te laisse faire ton choix.

  Je me retournai et observai la bibliothèque asymétrique de l'Ancien Temps pleine à craquer de feuilles. Mon regard dévia sur celles d'â côté, dans lesquelles plusieurs instruments avaient été exposés : flûte traversière, clarinette, violon, hautbois, trompette... Il y avait même un bouzouki grec. D'un rapide coup d'œil, j'avisai le piano, les autres instruments, puis mon ravisseur. Il venait de se servir un verre de vin et s'installait sur un canapé.

  –Eh bien, pourquoi n'es-tu toujours pas en place ? me sermonna-t-il. Dépêche-toi.

  S'il s'attendait à entendre du piano, il pouvait toujours rêver. Je n’en jouerais pas pour lui !

  –Qu'est-ce que je risque si je vous désobéis ?

  Son regard s'illumina et son visage s'arma d'un sourire mauvais.

  –Tu es la première à le demander... Tiens-tu vraiment à le savoir ?

  –Oui.

  Il posa son verre sur le rebord de la fenêtre derrière lui, puis se leva. L'air s'alourdit subitement, comme lors d'un orage, et mon kidnappeur se rapprocha. À chaque pas, ses rides disparaissaient un peu plus, sa peau se tonifiait ; il se faisait plus musclé, plus jeune. J'avais du mal à respirer. Lorsqu'il s'arrêta devant moi, il était redevenu identique à celui qui m'avait drogué dans la maison Irigyès.

  C'est impossible...

  –Je suis un Horloger, déclara-t-il. Un Lathos capable de manipuler l'horloge biologique de tout être vivant. Si l'envie me prend, je peux très bien te changer en petit nourrisson tout juste sorti de l'utérus de sa mère ou en vielle femme à l'article de la mort, jusqu'à te rendre poussière.

  Un tel pouvoir existait chez les Lathos ? C'était de la folie !

  –Hermine et Ottilie en sont un bel exemple... Voilà ce qui t’arriveras si tu me désobéis. Alors si tu ne veux pas finir comme elle, joue.

  J’eus le cœur au bord des lèvres. Comment avait-il osé leur faire ça ?!

  –Et sache que ma patience à ses limites, Illiosimerienne.

  Un souvenir me frappa à ses mots.

  « Une Illiosimerienne. Si j'avais su que j'en trouverais une sur ces terres enneigées… Dire que ça fait plus d'un siècle que je n'ai pas mis les pieds dans ton pays. »

  C'était ce qu'il avait dit juste avant que je ne perde connaissance. S'il pouvait contrôler la vieillesse et la jeunesse de n'importe qui, dont la sienne...

  –Quel âge avez-vous ?

  Son sourire s’étira, devenant plus franc et plus grand que jamais, mélange amère d'amusement et d'arrogance.

  –Gamine, j'ai vécu la Punition. Je suis le dernier Lathos originel. J'ai connu plus de vie que tu ne pourrais jamais imaginer, voyagé à travers le monde un million de fois, goûté à toutes les femmes, à tous les plaisirs de la vie, et plus encore ! Mais à force de choisir mes femmes dans des maisons de plaisir, ça faisait plus de soixante-dix ans que je n'avais pas eu de musicienne à mes côtés. J'ai hâte de voir ce que tu vaux.

  Sous le choc de cette révélation, je ne réagis pas lorsqu'il se pencha pour embrasser ma joue. Il la caressa avec tendresse, m'observant comme si j'étais aussi précieuse que le plus pur des diamants, puis retourna s'asseoir.

  –Partitions ? me rappela-t-il en portant la coupe à ses lèvres.

  Dans un état second, je commençai à feuilleter les morceaux sans faire attention à ce que je prenais. La Punition... cet homme avait vécu la Punition ? Cela lui faisait... près de huit cents ans. Par la Déesse, comment était-ce possible ? Les pouvoirs des Lathos avait beau relevé du divin, c'était insensé ! Et il pouvait les utiliser sur n'importe qui ? Une nouvelle vague nausée me gagna lorsque les visages d'Hermine et Ottilie s'affichèrent à moi. Cela devait être horrible pour elles. D'après ce que j'avais vu chez la sœur de Sven, son esprit n'avait pas changé, seul son physique avait rajeuni. Comment se sentaient-elles dans un corps qui n'était pas tout à fait le leur ? Nous ne pouvions partir sans qu'il leur ait rendu leur vrai âge, mais nous ne pouvions pas non plus nous attarder ici. Qui savait quand il souhaiterait coucher avec Magdalena ou moi ?

  Mon corps tressaillit ; je m'empressai de me concentrer sur les partitions pour chasser les images qui me venaient en tête. Il devait bien y avoir une solution pour se sortir d'ici ! J'avais juste besoin d'un peu de temps pour la trouver.

  –Émis... gronda l'Horloger, nous n'avons pas toute la journée.

  –Une minute...

  Je tombai enfin sur un morceau que je connaissais et le posai sur le piano. Un nouveau nœud se forma dans mon estomac. Le souvenir du jour où Kalor m'avait offert le mien se rejoua dans mon esprit. Je me souvenais de toutes les fois où il s'était arrangé pour avoir le temps de m'écouter, de toutes les fois où j'avais chanté et joué pour lui, des sourires et regards aimant qui illuminait son visage dans ces moments. Je me rappelai aussi de l’après-midi où il m'avait horriblement embarrassée en m'avouant que cela avait un côté excitant ; du baiser fougueux qui en avait suivi... Que lui avais-je offert en échange de toutes ces démonstrations affectueuses ? Rien. Je n'avais fait que le blesser depuis le début de notre relation. Je jouais avec ses sentiments en acceptant ses avances pour les refuser juste après. Je lui mentais tous les jours, à chaque fois qu'il m'appelait et que je répondais à ce nom qui n'était pas celui que de ma naissance. Je prenais des risques inutiles alors qu'il faisait tout ce qui était en son pouvoir pour me protéger de la Cause... Je ne le trahirais as une nouvelle fois en jouant du piano pour cet homme, ce malade.

  Je rangeai la partition.

  –Que fais-tu ? demanda l'Horloger.

  Son ton menaçant ne me fit pas changer d'avis. Sans lui accorder le moindre regard, j'ouvris la première bibliothèque à instruments et me saisis du violon.

  –Ce n'est pas un piano, commenta-t-il.

  Je ne lui fis pas l'honneur de répondre : je plaçai l'instrument sur mon épaule, le calai avec mon menton, puis pinçai les cordes. Il était complètement désaccordé. Le visage de l'Horloger se détendit lorsqu'il me vit prendre le temps de l'accorder jusqu'à ce qu'il sonne enfin juste. Il prit une gorgée de vin pendant que je remontais les crins de l'archet pour qu'il soit suffisamment tendu.

  –Pas de partitions ? s'étonna mon ravisseur quand je gagnai le centre de la pièce avec rien d’autre que l’instrument.

  –Non.

  Il eut un demi-sourire et s'enfonça davantage dans le canapé, tout ouïe. Je connaissais peut-être quelques morceaux par cœur, mais mon niveau au violon était loin d'égaler celui au piano. Malheureusement pour lui, il devrait s'en contenter.

  Après une profonde inspiration, je frottai mon premier accord.

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