Chapitre 11 - Partie 3

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  Vieillie... Il m'avait vieillie ? Morte d'inquiétude, je me ruai vers le miroir de la salle de bain. Mes joues étaient un peu plus creuses qu'il y a deux jours à cause de mon combat contre le patron et de mon jeûne de la veille, jamais je n'aurais porté un tel accoutrement, mais c'était bien mon reflet que réfléchissait le verre. Pourquoi les filles pensaient-elles que l'Horloger m'avait vieillie ? Je me redressai, un peu perdue, et une mèche glissa sur le côté de mon visage. Mon sang se glaça dans mes veines. Interdite, je relevai mes cheveux.

  Par la Déesse, ma teinture s’en va…

  Je ne m'étais pas lavé les cheveux pour éviter ce problème, mais visiblement, l'humidité avait suffi à en faire partir. La couleur naturelle de mes cheveux commençait à réapparaître. Dame Nature, il fallait absolument que je cache cela ! L'Horloger savait très bien qu'il n'avait pas utilisé son pouvoir sur moi ; s'il la voyait, il allait vouloir découvrir ce qui m'arrivait. Les muscles tendus, je me coiffai de sorte que mes mèches blanches soient enfouies sous les noires, puis je retournai dans la chambre.

  –Qu'as-tu fais pour être punie ? s'enquit Ottilie d'une voix pleine de compassion.

  –Je n'ai pas tout de suite voulu jouer pour lui.

  –Et malgré ça tu veux t'enfuir ? s'exclama Hedwige. Ça ne t'a pas suffi la première fois ?

  Je me retins de l'incendier du regard. Même si ses interventions pour me convaincre d'accepter cette situation commençaient à m'irriter, cela ne venait pas d'une mauvaise intention. Elle avait peur de notre ravisseur et craignait ce qu'il pouvait nous faire.

  –J'ai de la famille qui m'attend dehors, rétorquai-je à la place, et il vaut tous les risques du monde.

  –Il ?

  Je ne comptais pas répondre à cette question et même si je l'avais voulu, je n'en aurais de toute façon pas eu le temps : l'Horloger déverrouilla la porte une seconde plus tard. Mon regard se posa aussitôt sur Magdalena. Je me pétrifiai.

  Non...

  Ses magnifiques cheveux roux flamboyants, ceux qui, une demi-heure plus tôt, lui arrivaient encore au milieu des cuisses en dégringolant son dos telle une cascade de lave, avaient été coupés en carré court au niveau du cou.

  De légers tremblements agitaient ses mains lorsqu'elle passa le seuil de la chambre avec la desserte. Trouvant qu'elle n'avançait pas assez vite, l'Horloger la poussa à accélérer le pas.

  –Dépêchez-vous de manger, nous ordonna-t-il une fois à côté de la table. On a beaucoup de chose à faire aujourd'hui et vous êtes toutes réquisitionnées.

  Lorsque la porte claqua dans son dos, deux larmes échappèrent à Magdalena. Ottilie s'empressa de la prendre dans ses bras, alors que j'étais incapable du moindre mouvement.

  –Il les trouvait trop long, expliqua Magdalena d'une voix chevrotante.

  Je suis désolée, je suis tellement désolée.

  J'aurais voulu lui dire ses mots, m’excuser, pourtant aucun son ne franchit mes lèvres. Aucune excuse ne serait suffisante pour faire me pardonner. Par ma faute, sa splendide chevelure de feu qu'elle avait entretenue pendant dans années avait été massacrée.

  –Mais ce n'est rien, fit Magdalena. Ce ne sont que des cheveux, ils vont repousser.

  Elle cilla à plusieurs reprises pour chasser ses larmes, puis désigna la desserte.

  –Qui a faim ? demanda-t-elle avec un petit sourire. J'ai fait de mon mieux avec ce qu'il y avait dans la cuisine.

  Le faible sourire qui accompagna ses mots me transperça le cœur avec plus d’efficacité qu’un coup de poignard en pleine poitrine. Magdalena me tendit une assiette mais je n'eus pas la force de la prendre.

  –Allez, Émis, me sourit-elle, Kal va m'en vouloir si je te laisse dépérir.

  Comment pouvait-elle me sourire, ou encore s'inquiéter pour moi, alors que je l'avais blessée de la pire des façons ? Une énorme boule se logea dans ma gorge. Je n'avais jamais pensé que mes actions auraient de telles conséquences, pourtant c'était bien ma faute, et uniquement ma faute, si Magdalena était ici, avec moi, privée de sa chevelure, de ses pouvoirs, de sa liberté.

  Des larmes perlèrent à la lisière de mes cils.

  Pourquoi n'avais-je pas appris de mes erreurs ? Pourquoi continuais-je à prendre de mauvaises décisions ? J'étais une mauvaise fille qui avait couché avant le mariage. Une mauvaise mère qui ne s'était pas assez battue pour rester auprès de ses enfants. Une mauvaise épouse qui repoussait continuellement son mari. Et une mauvaise amie qui avait blessé la première personne vers qui je m'étais tournée dans ce pays et qui avait toujours été là pour moi, même quand je n'en savais rien.

  Magdalena reposa l'assiette. Une première larme roula sur ma joue.

  –Émis...

  –Je suis désolée, Magdalena. Je suis tellement désolée. Sans moi...

  Elle me prit dans ses bras ; je fondis aussitôt en larmes.

  –Je suis désolée. Je suis désolée...

  –Je ne vous en veux pas, murmura-t-elle en passant une main réconfortante dans mon dos. Alors ne vous en voulez pas non plus.

  –Si seulement je ne t'avais pas demandé de m'accompagner....

  –Je suis une femme capable de prendre mes propres décisions. J'aurais très bien pu refuser de vous suivre. Donc séchez vos larmes et soyez forte, c'est ce que voudrait votre mari. (Elle me regarda et essuya mes joues.) D'accord ?

  J'opinai d'un faible hochement de tête, puis elle me présenta à nouveau l'assiette.

  –Tiens. Et n’en laisse pas une miette, m’intima-t-elle d'un ton malicieux. Tu es déjà suffisamment fine comme ça.




  Après le petit-déjeuner, que j'eus du mal à manger malgré les douces paroles de Magdalena, l'Horloger vint nous chercher, toutes les cinq. Il nous emmena hors de la chambre, puis nous conduisit une à une dans les pièces qui longeaient le couloir. Il avait déjà enfermé Berta et Hedwige lorsqu'il me poussa dans la même salle qu'il m'avait présenté la veille, celle avec le canapé flottant en forme de nuage et le robot.

  –Rassemble les objets et ne casse rien, m'ordonna-t-il, comme il l'avait fait avec les autres, je t'apporte des malles dans cinq minutes.

  Le loquet retentit derrière moi et je me retrouvai seule. Je tentai d’apaiser la tension qui m'habitait, en vain. L'Horloger avait complètement modifié son emploi du temps, comment étais-je censée bâtir un plan dans ces conditions ? Je n'avais plus rien sur quoi m'appuyer. Je relevai les yeux et balayai la pièce du regard. Le robot attira toute mon attention. Cette invention me répugnait autant qu'elle m'intriguait ; aussi m'en approchai-je et l'étudiai-je avec appréhension. Une machine avec un visage d'homme... Les habitants de l'Ancien Temps avaient des idées bien étranges. Je trouvais même cela assez malsain. Il me semblait si humain, prêt à se lever et à me parler à tout instant. Comment pouvait-on faire la différence lorsqu'il se mouvait ?

  Alors que je l'observais toujours avec méfiance, comme s'il allait se redresser tout seul dans la seconde, je sentis une larme rouler dévaler ma joue. Par la Déesse, je n'allais pas me remettre à pleurer ! Il m'était déjà arrivé la même chose, la veille. Pourquoi cette pièce me mettait-elle dans cet état ? Je ne me sentais même pas triste. J'essuyai mes joues et luttai contre ses maudites larmes. Elles finirent par s'arrêter au bout d'une minute. Soulagée d'avoir retrouvé le contrôle, je remis le robot en place, malgré le dégoût qu'il m'inspirait, puis commençai à rassembler les plaques de verre avec le revêtement noir ; des portables d'après mon ravisseur. Même si je connaissais désormais leur nom, leur utilisation restait un véritable mystère. Ce n'était que des plaques en verre, à quoi pouvaient-elles servir ?

  J'étais encore en train d'en inspecter une lorsque l'Horloger revint, les bras chargés de trois énormes malles. Il les déposa à côté de moi, puis s'installa sur le canapé flottant. L'assise s'abaissa un peu sous son poids avant de revenir se placer à la bonne hauteur. Comme si je n'étais pas là, il ouvrit un livre et chercha la page où il s'était arrêté. Je serrai les dents. Je n'avais rien tenté lorsqu'il m'avait enfermée ici car je savais qu'il allait revenir sous peu, mais je ne pensais pas qu'il comptait rester par la suite. Je ne pouvais rien faire tant qu'il garderait à l’œil !

  Son regard glissa vers moi.

  –Ne perds pas de temps, j'aimerais qu'on parte le plus vite possible.

  Mon cœur eut un soubresaut.

  –Partir ? répétai-je. Où ça ?

  –Je réfléchis encore... Probablement dans l'un des pays désertiques.

  Dame Nature ! il comptait quitter le pays ?

  –Quand comptez-vous partir ?

  –Dans deux-trois jours si possible. C'est pour ça, dépêche-toi.

  Hébétée par cette annonce, je me mis à déposer machinalement les portables dans la première malle. Je n'avais pas pensé à une telle possibilité. Même s'il envisageait ce départ après notre union, cela renforçait l'urgence de la situation. Kalor ne pourrait jamais nous retrouver si nous quittions Talviyyör !

  Mes doigts se resserrèrent sur la plaque en verre.

  Peu importe les risques, dès que l'Horloger sortirait de cette pièce pour surveiller une autre fille, je me rendrais à l'entrée et ouvrirais la porte de notre prison.

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