Chapitre 17 - Partie 1

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LUNIXA


  Mon cœur s'arrêta. Je commençais tout juste à me retourner qu'un poing s'écrasa contre ma tempe. Mon corps s'écroula sous la violence du coup. Malgré l’étourdissement et ma vision trouble, je me relevai en vitesse et pivotai pour contre-attaquer. Mes lames n'étaient plus qu'à quelques centimètres de la silhouette quand deux étaux se refermèrent autour de mes poignets. Toute chaleur me quitta. Je cillai plusieurs fois et le visage de l'Horloger m'apparut enfin. Le ton enjoué qu'il avait utilisé pour m'appeler par le nom de cette femme était en totale contradiction avec la haine abyssale de son regard.

  Sa poigne se resserra brutalement et me broya les os. Dans un glapissement de douleur, je lâchai mes armes.

  –Voilà qui est mieux.

  Ses doigts libérèrent mes poignets. Une fraction de seconde plus tard, il enfonça son pied dans mon estomac. Le choc m'envoya en arrière, puis mes jambes me lâchèrent. Je tombai à genoux, un bras autour du ventre, à deux doigts de vomir. L'acidité de la bile me brûlait la gorge, envahissait mon palais. Les yeux remplis de larmes de douleur, je parvins à la ravaler et relevai la tête. Je remarquai alors que l'Horloger s'était baissé et qu'il ramassait l'un de mes poignards tombés dans l'herbe.

  L'adrénaline déferla dans mes veines. Mon corps prit le contrôle de mes mouvements. Il s'écarta dans une roulade, se releva, puis récupéra la dernière lame dans mon dos. Ma seconde main se referma autour de celle qui se matérialisa dans sa paume. J'eus à peine le temps de les tenir correctement que l'Horloger se jeta sur moi, réduisant en un éclair la distance que j'avais instaurée entre nous. D'un geste vif, je m'avançai et bloquai son coup avec mon bras. L'impact me fit grimacer mais j'enchaînai immédiatement et dirigeai ma lame vers son foie. Son genou fusa vers moi au même instant. Je bondis en arrière pour l'esquiver. Avant que j'aie eu le temps de me replacer, l'Horloger poursuivit son offensive. Mon corps réagit d'instinct et je réussis à éviter son coup tout en portant une nouvelle attaque. Mon adversaire la para à la dernière seconde avec sa main libre. Le coup dévia de sa trajectoire et effleura son flanc au lieu de s'enfoncer sous ses côtes. Du coin de l'œil, j'aperçus un mouvement flou tant il était rapide : sa lame plongeait droit vers ma gorge.

  Mon cœur eut un battement puissant. Je me penchai sur le côté et entendis la lame fendre l'air juste au-dessus de mon oreille. Des cheveux blancs tombèrent devant mes yeux. Je me redressai dans la seconde et portai une estocade. L'Horloger bloqua mon bras avec le sien. Son autre main jaillit au même moment pour s'en saisir puis l'écarter, tandis que mon second poignard fusait vers lui. Au lieu de s'en écarter, de le dévier ou de le retourner contre moi, il lâcha sa propre arme et plaça sa main sur la trajectoire du coup. Mon cerveau comprit tout de suite ses intentions, mais tout allait beaucoup trop vite. Entraînée par ma propre vitesse, je ne parvins pas à m'arrêter et la lame s'enfonça dans sa paume. Un rictus mauvais fendit le visage de mon adversaire. Paniquée, je voulus lâcher mon arme, m'éloigner de lui, mais l'Horloger fut plus vif. Sa main se referma sur la mienne, m'empêchant de lâcher prise.

  Dans mon autre paume, j'inversai la position de mon poignard pour pouvoir atteindre son bras, le forcer à libérer le mien. Il le fit avant que je ne le touche et me saisit à la gorge. Mon souffle se coupa. Un sourire encore plus grand sur les lèvres, il m'approcha brutalement de lui et bascula la tête en arrière avant de la précipiter vers moi. Son front percuta violemment le mien.

  Le monde alentour se mit à danser. J'eus vaguement l'impression que ses doigts quittaient ma peau et que l'air s'alourdissait. Mes pieds firent quelques pas maladroits en arrière, puis je m'effondrai, sonnée.

  –Tu es encore plus faible que je ne le pensais...

  Relever, je dois me relever.

  Il ne fallait pas que je reste à terre, en position de faiblesse. Les membres tremblants, j'essayai de me redresser. J'arrivais tout juste à me tenir sur les coudes quand l'Horloger me poussa du pied. Je retombai sur le dos et il s'assit de tout son poids sur moi. Lorsqu'il se pencha en avant pour refermer à nouveau sa main sur ma gorge et me maintenir au sol, mon regard croisa le sien, brûlant de haine. Son rictus avait disparu.

  –Crève, chienne.

  Je recréai une nouvelle lame et la plantai dans sa cuisse. Un grognement lui échappa, cependant il ne desserra pas sa poigne. Il ne jeta qu'un simple regard à la fusée qui dépassait de sa chair. Profitant de cette seconde d'inattention, je portai un coup à sa poitrine. L'Horloger réagit bien trop vite : en un éclair, il bloqua mon attaque, me désarma et récupéra la lame avant qu'elle ne tombe d'un centimètre. Mes yeux s’agrandirent d'effroi. La peur se répandit dans chacune de mes cellules. Un nouveau poignard se matérialisa dans ma paume tandis qu'il retournait celui qu'il venait de me voler et le plaçait au-dessus de ma poitrine, pointe dirigée vers le bas.

  Bloque-le, bloque-le...

  Je n'en eus jamais l'occasion.

  Avant que l'un d'entre nous fasse le moindre geste, une chose vive et puissante percuta l'Horloger de plein fouet et dans un grondement terrifiant. Sa main fut arrachée de ma gorge et le poids qui pesait sur mon corps disparut aussitôt. Mon adversaire poussa un hurlement de douleur. Je me relevai en vitesse et découvris, interdite, l'identité de mon sauveur.

  Un énorme loup au pelage sombre.

  La bête avait planté ses crocs dans l'épaule de l'Horloger et secouait la tête dans tous les sens. Je n'eus pas le temps de me remettre de ce tableau qu'il rejeta la tête en arrière, arrachant tout un pan de chair du Lathos, mettant ses os à vif. Le bouche de l'Horloger s'ouvrit sur un cri silencieux. Le loup laissa tomber ce qu'il avait dans la gueule, puis fondit à nouveau vers sa proie, babines retroussées.

  Un éclat de rage s'alluma dans le regard de l'Horloger. Au moment où le loup allait le mordre à la gorge, il plaça son avant-bras devant lui pour se protéger. Les crocs mortels s'y enfoncèrent sans rencontrer la moindre résistance. Un ignoble craquement d'os retentit. Le sang gicla. Un spasme de douleur traversa le Lathos, pourtant la fureur de ses yeux ne flancha pas. L'air s'alourdit brusquement et il plaqua sa main valide contre le pelage de l'animal.

  J'aurais dû partir. Dès que je m'étais mise debout et avais remarqué que l'Horloger était aux prises avec un loup, j'aurais dû partir. Mais je ne pus détourner le regard de l'horrible spectacle qui se déroula sous mes yeux. Même si le loup broyait toujours le bras de l'Horloger, il se mit à vieillir à vue d'œil. Son magnifique pelage devint plus terne. La puissante musculature qui roulait sous sa peau s'affaiblit à tel point qu'il se mit à trembler sur ses pattes, incapable de soutenir son propre poids. Puis il s'effondra, la gueule toujours refermée sur le bras du Lathos. Malgré son état, il refusait de le lâcher. Sa respiration se fit haletante. Ses paupières papillonnèrent tandis que son thorax se soulevait de plus en plus difficilement, puis se fermèrent à jamais. Son poitrail cessa de bouger et le loup rendit son dernier souffle.

  Je pensais que cette vision cauchemardesque était terminée, que j'allais enfin retrouver mes esprits et me mettre à courir pour échapper à l'auteur responsable de cette horreur. Mais j'avais tort. Le corps sans vie du l'animal se décomposa. Ses poils chutèrent. Sa chair se teignit d'un noir-vert violacé et flétrit juste avant de pourrir. Alors qu'une épouvantable odeur de putréfaction se propageait dans l'air, des insectes se mirent à grouiller sur la dépouille de la pauvre bête et à la dévorer. Ses os apparurent.

  –Tu ne trouves pas que mon pouvoir ressemble à celui d'Enkelion ? fit l'Horloger en désignant son œuvre macabre tandis qu'il rajeunissait, guérissant son épaule et ses blessures par la même occasion.

  Une vague de fureur se déversa dans mes veines. Je relevai la tête et le foudroyai du regard.

  –Tu ne lui ressembles absolument pas ! Je t'interdis de te comparer à lui !

  L'Horloger se figea. La rage qui s'était emparée de moi s'envola et je réalisai soudain ce que je venais de dire. Le souffle coupé, je reculai d'un pas. Pourquoi avais-je prononcé ces mots ? Qui plus est avec tant de conviction ? Je ne connaissais pas cet Enkelion !

  Le mouvement de l'Horloger occulta mes questions : il porta une main à sa cuisse et arracha le poignard qui y était enfoncer. Il ne m'en fallut pas plus pour prendre mes jambes à mon cou, courant aussi vite que possible malgré mon corps endolori et affaibli par le combat.

  –C'est ça, cours ! Tu ne fais que retarder l'échéance de ta mort !

  Les larmes me montèrent aux yeux. Je ne pouvais pas le battre au corps à corps, il était beaucoup trop fort pour moi et son pouvoir réduisait à néant le peu de blessure que j'arrivais à lui infliger. Ma seule chance de survivre était de lui échapper !

  Non, il y en a une autre.

  Mon cœur se serra. Je m'étais jurée de ne plus jamais toucher à ces armes, mais avais-je vraiment le choix ? L'Horloger était plus en forme que moi, dès qu'il se lancerait à ma poursuite, ce ne serait qu'une question de secondes avant qu'il me rattrape. Ne pas me servir d’un moyen en ma possession juste pour éviter de me souvenir de lui et en souffrir risquait seulement de me faire tuer.

  Mes poumons et mes muscles me brûlaient. Les battements de mon cœur pulsaient dans mes tempes. J'étais à bout. Pourtant quand j'entendis l'Horloger se remettre à courir, j'allongeai encore mes foulées et arrêtai d’hésiter. Oui j’allais m’en servir.

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