Chapitre 18 - Partie 2

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  Sans cesser de presser la détente, de produire ses misérables cliquetis, je poussai sur mes jambes pour m'écarter. Il fallait que je m'éloigne de lui. Maintenant. Je préférais affronter une dizaine d'Horlogers que de me retrouver seule avec lui.

  Mon corps affaibli ne me porta pas bien loi. Arès me rattrapa avant que j'aie parcourus deux mètres. Il posa un genou à terre et ses doigts sur ma main armée. Ce contact me pétrifia complètement. Mes membres, mon cœur, mes poumons, ils se figèrent, tous.

  Arès baissa mon bras en douceur.

  –Comtesse, tout va bien, assura-t-il d'une voix calme en me prenant le revolver. C'est fini. Votre agresseur est mort. Vous l'avez tué.

  Alors que j'étais encore incapable d’effecteur le moindre geste, les larmes franchirent la frontière de mes cils. Il avait raison, c'était fini. Il allait me reconnaître, il ne pouvait en être autrement.

  Arès glissa le revolver à l'arrière de sa ceinture sans y accorder un seul coup d’œil. Maintenant que l'arme avait disparu, toute son attention était portée sur moi. Son regard doré parcourut chaque parcelle de mon visage. Sans brusquerie, il leva la main vers mon menton et me fit tourner la tête à droite, puis à gauche. Je fermai les yeux.

  C'est fini... Je vais mourir...

  –La coupure est superficielle. Vous devriez vous en sortir avec une cicatrice à peine visible.

  Pardon ?

  Mes paupières se soulevèrent d'un coup et je me forçai à le regarder. Arès observait la blessure à ma joue.

  –Vous a-t-il touché ailleurs ? s'enquit-il en plongeant son regard dans le mien.

  Mon souffle se bloqua dans mes poumons. Il... ne me reconnaissait pas ? C'était impossible, il me connaissait par cœur ! Le faisait-il exprès ? Car il suffisait que je dise que nous avions couché ensemble pour qu'il soit tout aussi condamné que moi ? Non. Nous étions seuls. S'il le savait, il aurait dit quelque chose, au moins murmuré mon nom. Alors, pourquoi ? Je me concentrai sur ses iris semblables au plus pur des ors et me rappelait soudain la couleur des miens. Mes larmes coulèrent de plus belle. Mes yeux... C'était mes yeux... Les teintures permettaient peut-être de changer temporairement la couleur de ses cheveux, mais rien ne pouvait changer celle des iris. Rien du tout. C'était impossible. Alors, même si j'avais vieilli et qu'il devait voir une ressemblance avec celle que j'avais été, il y a presque neuf ans, ou avec ma mère, il ne pouvait pas savoir que j'étais Artémis à cause de mes yeux turquoise. Ce changement contre-nature venait de me sauver la vie.

  Comme je ne répondais toujours pas, Arès détourna le regard de mon visage, puis examina le reste de mon corps. Il s’attarda un peu sur mon cou avant que mon bras en sang n’attire son attention. Je tressaillis quand ses doigts me touchèrent pour relever ma manche. Il ne m'avait peut-être pas reconnu, mais j'étais toujours terrorisée par sa présence. À la moindre erreur, plus rien ne protégerait mon identité.

  –Celle-ci, en revanche, est plus profonde.

  D'un mouvement brusque qui me pétrifia, il arracha ma manche. Il la retira de mon bras, puis la banda autour de la coupure. J'avais du mal à respirer. Lorsque ses yeux se posèrent sur mon ventre maculé de sang, celui de mes veines se glaça. Sa main s'approcha. Je l'éloignai d'un revers.

  –Je... ce n'est... (J'eus du mal à déglutir.) Ce n'est pas... mon sang.

  Mon souffle n'avait plus rien de régulier, les battements de mon cœur non plus. D'une seconde à l'autre, il allait jaillir hors de ma poitrine. Arès n'insista pas et poursuivit son inspection. Mon état ne fit qu'empirer lorsque son regard passa sur ma marque royale. Elle avait beau être couverte par une culotte courte, un collant opaque et un bandage, j'avais l'impression qu'il pouvait la voir à travers toutes ces couches de tissus, se rappeler la façon dont il la parcourait du bout des doigts au-dessus de mes robes, quand nous nous allongions tous les deux, mon dos blotti contre son torse.

  Tandis qu'une de ces scènes se rejouait dans mon esprit, il releva la tête. Je sursautai.

  –Même si aucune de ces blessures n'est mortelle, il faut vous conduire à un médecin avant qu'elles s'infectent. Pouvez-vous vous levez ?

  J'opinai sans un mot. Même si j'avais eu les jambes brisées, j'aurais acquiescé.

  Arès se déplaça pour se mettre à ma droite. Je ne le quittai pas des yeux tout du long. Lorsqu'il passa un bras dans mon dos et que ses doigts effleurèrent mon flanc, j'eus un violent mouvement de recul. Il m'observa une paire de secondes, puis releva. Pendant qu'il s'approchait de sa monture, je tentai de me mettre debout, en vain. J'étais toujours à terre quand Arès revint, une gourde à la main. Il me la tendit.

  –Tenez, ça vous fera du bien.

  Un moment s'écoula avant que je ne la prenne. Elle me sembla horriblement lourde et s'il ne l'avait pas soutenu par le dessous, elle aurait glissé entre mes doigts. Avec son assistance, je bus quelques gorgés. L'eau fraîche et vivifiante qui coula dans ma bouche ne m'apporta toutefois aucun apaisement. Mon corps continuait de trembler comme une feuille. La peur pulsait toujours dans mes veines. Tant que je me trouverais en présence d'Arès, rien ne pourrait les calmer.

  Quand je repoussai sa gourde, il retourna l'accrocher à sa monture avant de revenir s'occuper de moi. Il réitéra les mêmes gestes que tout à l'heure et, cette fois-ci, je n'osai pas m'écarter ou le repousser. Sa paume se posa sur ma taille. Je ne pus contenir un frisson à ce contact. Un sanglot se bloqua dans ma gorge. Il m'offrit également mon bras. Je l'acceptai d'une main tremblante, puis il m'aida à me redresser.

  Dès que je fus debout, je fis un pas sur le côté malgré mes jambes flageolantes, puis m’empressai de rajuster ma culotte courte pour qu'elle couvre du mieux possible mes cuisses et je refermai mon gilet autour de moi. Je devais mettre le plus de barrières possibles entre mon corps et le regard d'Arès. S'il voyait ma marque, la couleur de mes yeux ne pourraient plus rien pour moi.

  –Ne bougez pas, je reviens.

  Je hochai de la tête, le regard baissé. Tandis qu'il allait chercher son cheval pour le rapprocher de moi et m'éviter de trop marcher, je relevai les yeux et l'observai à travers mes cils. Pourquoi était-il ici ? Loin d'Illiosimera ? Cela n'avait aucun sens. Les soldats de son escadron ne quittaient jamais le territoire, sauf pour escorter des personnalités importantes. Mon cœur eut un soubresaut.

  La délégation...

  Ma respiration devint encore plus chaotique. Je n'arrivais plus remplir mes poumons.

  –Comtesse ?

  Si Arès était venu avec la délégation, cela signifiait qu'il allait rester une semaine au château, avec moi. Je... Oh, Dame Nature, et Kalor ? Ils allaient forcément passer du temps ensemble. Je... Je ne pouvais pas. C'était un cauchemar, je devais me réveiller.

  Quelque chose se posa sur mon épaule. Je bondis en arrière dans un hurlement, puis portai les mains à mes lèvres pour contenir la crise qui grandissait en moi, menaçait d'exploser. Arès cilla une fois et me présenta ses paumes en signe de paix.

  –Je ne vous veux aucun mal, Comtesse, je vous le promets.

  Aucun mal ?

  De nouvelles larmes roulèrent sur mes joues. La dernière fois que nous nous étions vus, il m'avait aussi promis que je n'aurais pas mal, que j'éprouverais même du plaisir. Mais je n'en avais jamais ressenti. Je n'avais que souffert, à tel point que j'en avais perdu connaissance. Jamais je n'avais enduré de douleur plus intense et violente que celle-ci. Mon accouchement, la guérison de Freyja et le pouvoir de l'Horloger n'étaient rien en comparaison.

  L'espace d'un instant, l'image de son visage penché au-dessus du mien pendant qu'il bougeait en moi se rejoua dans mon esprit. Un sanglot m'échappa.

  –Je veux seulement vous conduire loin d'ici, poursuivit Arès. Auprès de votre mari.

  Mon cœur s'arrêta. Je rouvris les yeux.

  –Kalor ? croassai-je.

  –Oui, nous nous sommes séparés afin d'avoir plus de chance de vous retrouver. Il vous cherche depuis des jours.

  Ils avaient déjà passé du temps ensemble ? Mes pleurs s'accentuèrent. Voyant que je n'étais pas en état de bouger, Arès glissa une main derrière moi et me ramena auprès de son cheval. Il déplaça la selle un peu plus en arrière, puis plaça ses mains autour de ma taille pour m'aider à monter au niveau du garrot. Je ne pus m'empêcher de tressaillir. Mais quand il s'installa à son tour et m'invita à m'appuyer contre son torse, je me mis à pleurer comme rarement je l'avais fait. Mes larmes semblaient intarissables. Elles déferlaient sur mes joues, ravageaient mon visage. Je ne pouvais pas, c'était trop. J'étais en train de vivre l'une de mes terreurs nocturnes, l'un de ces cauchemars dont Kalor avait besoin de me sortir pour que je revienne à la réalité et arrête de hurler.

  –Tout va bien se passer, Comtesse, assura Arès en entendant mes sanglots. Vous allez rentrer chez vous et toute cette histoire sera terminée.

  Il pressa ses jambes contre les flancs de notre monture et elle partir au grand galop.

  Sentir le torse d'Arès dans mon dos, son souffle sur ma nuque, ses bras qui m'entouraient, entendre sa voix prononcer des paroles rassurantes pour essayer de mettre fin à mes pleurs... Tout cela fit ressortir des souvenirs que j'avais enfuis au plus profonds de ma mémoire et avais tentés d'oublier. Mes tremblements empirèrent, le nombre de mes larmes aussi. Nous avions passé tant de moments ensemble, avions partagé tant de chose, avions été si proches... Il connaissait tout de moi, absolument tout. Il avait été mon ami, mon confident, puis un fiancé. L'homme avec qui j'avais rêvé de faire ma vie. Celui qui avait été là pour me soutenir à le mort de Poséidon, m'avait aidé à surmonter son décès. Celui pour qui mon cœur avait saigné lorsque mon père m'avait annoncé qu'il avait rompu notre engagement pour me promettre au Prince Náttmörður. Il était aussi l'homme qui m'avait déflorée, le premier à faire de moi une femme... le père de mes enfants.

  Comment pourrais-je faire face à Kalor alors qu'Arès, et tous ce qui nous liait, se trouverait à côté ? S'il découvrait la vérité, tout ce que nous avions serait détruit, sans possibilité d'être reconstruit.

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