Chapitre 21 - Partie 1

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KALOR


  Alors que le Commandant Raspivitch et le médecin s'apprêtaient à prendre la parole, et Freyja à s'avancer vers nous, un soldat fit irruption dans le hall.

  –Je suis navré, votre Altesse, s'excusa-t-il en lui barrant le passage. Nous ne l'avons pas vue entrer. (Il se tourna vers elle.) Madame, veuillez me suivre, s'il vous plaît.

  Freyja lui décocha un regard noir. Le soldat en fut légèrement décontenancé, mais il se reprit tout de suite et lui indiqua la sortie. Je revins brusquement à moi.

  –Non, attendez. Laissez-la. Je souhaite entendre ce qu'elle a à dire.

  Le bras qu'il avait tendu pour lui barrer la route retomba.

  –Si c'est ce que vous désirez, Altesse.

  Le soldat s'inclina, puis repartit. Freyja le suivit des yeux jusqu'à ce qu'il referme la porte avant de s'approcher de nous.

  –Je vous en prie, Madame...

  –Mademoiselle Freyja Veneitri.

  Elle était célibataire ?

  –Altesse..., commença le médecin.

  Je l'interrompis d'un geste de la main tandis qu'elle enchaînait sans lui accorder la moindre attention.

  –Votre femme s'est faite enlever par un homme qui violentait et violait ses prisonnières. Et vous vous étonnez qu'elle ne veuille pas qu'il l'ausculte ? fit-elle en désignant le docteur d'un mouvement de tête. Ce qui est réellement étonnant c'est que les autres victimes aient accepté. Vous auriez dû faire venir des praticiennes.

  –Les femmes sont rares dans la profession, lui rappela-t-il.

  –Oui, rares. Pas inexistantes. Et même si aucune d'entre elle n'était disponible, il reste les sages-femmes. Elles sont tout aussi aptes à réaliser un examen gynécologique et font preuve de beaucoup plus de tact.

  À quel point étais-je idiot pour ne pas y avoir songé seul ? Freyja avait raison sur toute la ligne. Même si l'Horloger n'avait pas déshonorée Lunixa, elle m'avait avoué qu'il avait essayé. Et moi, je lui demandais de laisser un homme ausculter son intimité ? Alors qu'elle n'avait jamais osé se dévoiler devant moi ? Dame Nature, mais à quoi pensais-je ? Elle était déjà complètement traumatisée par ce qu'elle venait de traverser. Si un autre homme que moi la touchait, même pour des raisons médicales, cela allait seulement lui faire revivre la tentative de viol à laquelle elle avait échappée.

  Je jetai un coup d'œil à la porte dans mon dos. Elle avait beau être close, j'avais l'impression de voir Lunixa à travers le bois, toujours assise sur le canapé, le corps encore secoué de tremblements et la tête enfouie entre ses mains. Si cela ne tenait qu'à moi, je l'aurais tout de suite ramenée au château, sans lui faire passer cette maudite auscultation. Mais je ne pouvais l'en soustraire. En revanche, je pouvais faire en sorte que la personne qui s'en chargerait fasse preuve de compassion, la rassure, et par-dessus tout, ne lui rappelle pas l'Horloger.

  –Y a-t-il une sage-femme dans ce village ? demandai-je au lieutenant.

  Même si elles ne pratiquaient normalement pas d'examens gynécologiques, Freyja disait vrai : elles avaient les connaissances nécessaires pour.

  –Vu sa taille, j'en doute, répondit l'officier. Je peux toujours envoyer un de mes hommes vérifier, sinon, la ville la plus proche se trouve à un quart d'heure d'ici.

  Ce qui signifiait qu'il faudrait plus d'une demi-heure pour en faire venir une. C'était trop long. Je voulais que Lunixa se fasse ausculter au plus vite pour qu'elle puisse enfin commencer à mettre cette histoire derrière elle.

  Freyja prit une profonde inspiration lasse.

  –Voulez-vous que je m'en charge ? soupira-t-elle.

  Je haussai un sourcil. Sous-entendait-elle de l'examiner avec ses pouvoirs ou normalement ? Maintenant que j'y pensais, je ne savais pas du tout ce qu'elle faisait dans la vie.

  –Je suis apothicaire, précisa-t-elle comme si elle avait lu dans mes pensées. Mais j'ai été sage-femme pendant deux ans avant ça.

  Elle passa une main sous son manteau, puis farfouilla dans la petite pochette en cuir accrochée à sa ceinture. Elle me tendit le document qu'elle en sortit. Un diplôme d'apothicaire fraîchement reconduit. Le dernier tampon de renouvellement datait d'il y a deux mois.

  –Votre Altesse, intervint le médecin. Pouvons-nous nous entretenir un instant en privé ?

  Même si je me doutais déjà de ce dont il voulait parler, j'acceptai. Nous nous rendîmes dans la cuisine. Au moment où nous entrions, le commandant Raspivitch nous rattrapa. Je l'autorisai à se joindre à nous. À peine avait-il fermé la porte derrière lui que le docteur se lança.

  –Je comprends pourquoi cette proposition vous tente, Altesse, mais vous ne devriez pas l’accepter. Cette femme est sortie de nulle part. Rien ne garantit que son diplôme ne soit pas un faux. Et elle vous a également manqué de respect en s'adressant à vous sans vous avoir salué en premier lieu et en se présentant dans cette tenue. Si vous ne voulez pas que j'examine votre épouse, vous devriez plutôt faire chercher une sage-femme.

  Ma mâchoire se contracta. Cela m'énervait de l'admettre, mais il n'avait tort. D'un point de vue extérieur, Freyja était suspecte. Elle avait réussi à se faufiler dans la maison sans que personne ne la remarque, alors que les soldats avaient envahi le village et qu'elle n'avait pas un physique des plus discrets avec son teint chocolat. Elle ne serait malheureusement pas la première à se prétendre apothicaire. Et elle portait à nouveau un pantalon en cuir. Comme les praticiennes, les femmes apothicaires ne courraient pas les rues. Aucune ne prendrait le risque de remettre en cause sa réputation en se vêtant de la sorte. Le bon sens voulait que je refuse l’offre de Freyja.

  Cependant, elle était la meilleure personne pour cette auscultation. Malgré son manque de tact, elle prenait soin de ses patients et était à leur écoute. J’en avais été témoin quand nous avions séjourné chez elle. Lunixa savait aussi tout cela. Je devais absolument trouver un moyen pour accepter sa proposition sans que cela ne paraisse étrange. Par la Déesse, pourquoi nous étions nous comportés comme deux étrangers ? Il n’y aurait eu aucun problème si j’avais admis qu’elle faisait partie de mes connaissances.

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