Chapitre 22 - Partie 2

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  Ses traits se tendirent. L'idée que je souffre devait lui être aussi insupportable que celle que je ressentais pour lui, pourtant il finit par accepter. J'étais tellement à bout qu'une larme m'échappa. Je me blottis contre lui.

  –Merci.

  Il referma ses bras autour de moi et embrassa le haut de mon crâne. À côté de nous, Freyja s'éclaircit la voix pour avoir notre attention, ce qu'elle eut tout de suite.

  –Au cas où mon pouvoir ne serait pas aussi précis que d'habitude, j'ai besoin de savoir quand vous avez couché ensemble la dernière fois. Pour ne pas faire d'erreur.

  Elle roula des yeux en voyant mes joues s'empourprer.

  –Allons, Princesse.

  –Un mois et demi, répondit Kalor.

  Les paupières de Freyja papillonnèrent, ses sourcils bien haut sur son front.

  –Un mois et demi ? répéta-t-elle. Vraiment ? (Je confirmai.) Eh bien, c'est pas à ce rythme que vous allez nous pondre un enfant, tous les deux.

  Mon estomac se noua alors qu'elle se dirigeait vers la porte en soupirant.

  –Au moins, je ne risque pas de me tromper... Vous venez ? ajouta-t-elle en ouvrant.

  La main de Kalor trouva sa place aux creux de mes reins et nous lui emboîtâmes le pas. Malgré   mes inspirations lentes, le rythme de mon cœur accéléra de plus en plus à mesure que nous approchions de notre destination, nourri par le doute, l’appréhension.

  Et si tu te trompes ? Et si tu te trompes ? Et si tu te trompes ?

  Ces mots ne cessèrent de tourner dans ma tête, devenaient plus forts, plus oppressants, à chaque pas supplémentaire. À cause de cette incertitude grandissante, mon corps finit par se remettre à trembler. Kalor s'arrêta en le sentant.

  –Ce... ce n’est rien, assurai-je.

  –Tu tiens à peine sur tes jambes.

  Une seconde plus tard, il me tenait dans ses bras. Je ne luttai pas contre le besoin d'être rassurée et me laissai aller contre lui. Sa douce chaleur et sa tendresse empêchèrent la panique de répandre davantage de poison dans mes veines. Je me répétai également une phrase en boucle pour essayer de chasser celle que le doute avait instaurée en moi.

  Tout ira bien, tu n'as pas tort. Tout ira bien, tout ira bien...

  Si ce mantra avait eu un quelconque effet, il vola en éclats dès l'instant où Kalor mit les pieds dans une chambre aménagée pour une consultation médicale : le lit avait été installée au centre de la pièce, un tabouret se trouvait au bout du matelas, à côté d'une table de nuit sur laquelle était disposé un plateau contenant plusieurs instruments en métal. De nouveau terrifiée, je m'accrochai à Kalor comme le survivant d'un naufrage à sa planche de salut.

  –Lunixa ?

  –Tout va bien, déclara Freyja en jetant un tissu sur le plateau. Je ne vais pas m'en servir sur vous.

  Cette nouvelle ne me rassura pas. Je tremblais toujours autant quand il me déposa sur le lit et avais beaucoup de mal à respirer.

  Et si tu te trompes ? Et si tu te trompes ? Et si tu te trompes ?

  –Respirez, Princesse, fit Freyja en s'installant à ma droite.

  Une main passa dans mes cheveux.

  –Veux-tu que je reste ou que je parte ? me demanda Kalor.

  Je voulais qu'il parte, pour ne pas voir la douleur et la trahison envahir ses yeux si jamais je me trompais. Mais je fus incapable de prononcer un mot. Face à mon silence, il leva les yeux vers Freyja.

  –Tu devrais partir, répondit-elle. Je t'appellerais si j'ai besoin d'aide.

  Ses traits se tendirent, mais il obéit et sortit de la pièce après avoir déposé un baiser sur mon front. Plusieurs secondes s'écoulèrent avant que j'ose me tourner vers la femme qui tenait ma vie et celle de mes enfants entre ses mains. Ses yeux bleu glace plongèrent dans les miens. Alors qu'ils semblaient toujours avoir été taillés dans du topaze, son regard n'avait pas sa dureté habituelle. Il était au contraire empli de douceur et de compassion.

  –Vous a-t-il violée ?

  Mon souffle se coupa. Mon cœur reprit sa course folle.

  Et si tu te trompes ? Et si tu te trompes ? Et si tu te trompes ?

  C'était ma chance, la dernière que j'avais pour revenir en arrière et ne pas mettre en danger Alexandre et Éléonora.

  Et si tu te trompes ? Et si tu te trompes ? Et si tu te trompes ?

  Il me suffisait de confirmer. Je trouverais bien un moyen de me brûler plus tard. Je devais le faire, j'allais le faire !

  Mais au moment où j'ouvris les lèvres pour acquiescer, la tendresse de celles de Kalor se fit à nouveau sentir sur mon front, comme s'il était là et l'embrassait, et une toute autre réponse sortit de ma bouche.

  –Non...

  Une larme accompagna ce mot presque inaudible. Si je m'étais trompée, je venais de les condamner.

  Freyja continua de m'observer pendant un moment après cela, me fixant avec intensité, comme si elle cherchait à voir à travers moi, à s'assurer de ma sincérité. Elle était restée si immobile que je sursautai lorsqu'elle se tourna.

  –Puis-je vous posez une question, Princesse ?

  Je hochai faiblement de la tête tandis qu'elle s'installait au pied du lit.

  –Comment se fait-il que votre dernier rapport date d'aussi longtemps ? Vous n'aimez pas ça ?

  Ma gorge était si nouée que mes mots eurent du mal à sortir.

  –S... si. Mais... je ne suis pas à l'aise. J'ai... un blocage.

  –Pourquoi ?

  –Avant... Je voulais être célibataire et j'ai… encore du mal.

  –Je vois... Pourquoi vouliez-vous être célibataire ?

  Alors que j'allais répondre, elle souleva mes jupes. Je me crispai immédiatement, même si ma marque était cachée sous un bandage.

  –Tout va bien, assura-t-elle d'une voix douce que je ne lui connaissais pas. Ne vous occupez pas de ce que je fais. Pourquoi vouliez-vous être célibataire ?

  –Pour… Pour pouvoir rester… auprès de mon frère et de ma sœur.

  –Ils sont plus jeunes que vous ?

  –Oui.

  Elle retira mon dessous et écarta mes jambes. Tout mon corps se mit à trembler.

  –Et si vous me parliez un peu d'Illiosimera ? me proposa-t-elle en me regardant à nouveau. Je n'y suis jamais allée.

  Il me fallut quelques secondes avant d'être capable de parler.

  –Il... Il fait chaud... plus chaud qu'ici.

  Un petit rire lui échappa.

  –Ce n'est pas bien difficile. À quel point ?

  –Vos étés sont un peu plus froids... que nos hivers.

  –Donc il n'y a jamais de neige ?

  –Non. C'était la première fois que j'en voyais en venant... ici. À Illiosimera, le soleil brille presque tous les jours… Mais il peut y avoir de... de très fortes averses, en particuli...

  Je me pétrifiai. Quelque chose de long et froid venait de se glisser en moi.

  –En particulier ? demanda-t-elle sans me quitter des yeux.

  –Je...

  –Continuez de me parler, Lunixa. Quand les averses sont-elles fortes ?

  –Au printemps... et en... en été. Quand... Quand il y a... de l'o… de l’ora...

  Je cessai de respirer en la sentant retirer ce qu'elle avait insinué en moi.

  –Et voilà, c'est fini pour le prélèvement, déclara-t-elle en remontant ma lingerie et rabaissant ma robe.

  –Vrai... vraiment ?

  –Oui.

  Sur cette affirmation, elle se leva, puis quitta la pièce. Tout l'air qui s'était bloqué dans mes poumons ressortit d'un coup et plusieurs larmes dévalèrent mes tempes. J'étais déjà dans tous mes états alors que l'examen n'était pas terminé. Haletante, j'enfouis mon visage derrière mes mains et essayai de retrouver mon souffle pour la suite. Je n'y étais toujours pas arrivée lorsque Freyja revint. Elle s'assit à côté de moi, puis m'aida à me redresser.

  –Tenez.

  J'acceptai d'une main tremblante le verre qu'elle me tendait. Malgré la fraîcheur de la boisson et son doux goût sucré, elle ne parvint pas à me calmer.

  –Voulez-vous attendre un peu avant la suite ?

  Je secouai la tête. L'attente allait finir par me rendre folle.

  –Très bien. Voulez-vous que j'aille chercher Kalor ?

  Je refusai à nouveau et lui rendis le verre. Elle m'invita à m'allonger, puis me montra une boule de tissu.

  –Pour éviter qu'on vous entende, si jamais mon pouvoir vous fait trop souffrir.

  J'eus l'impression de me retrouver sous l'eau lorsqu'elle la plaça dans ma bouche. Sentant mon profond malaise, Freyja ne me fit pas patienter plus longtemps : l'une de ses mains prit la mienne et l'autre vint se poser sur mon sternum.

  Un éclair d'une violence inouïe me frappa aussitôt. Même s'il n'était pas aussi douloureux que l’incendie provoqué par les pouvoirs de l'Horloger, je ne pus retenir un gémissement. Il fusa à travers mes veines et se concentra dans mon bas-ventre. Je me cambrai de douleur. C’était comme si une tempête de morceaux de verre y avait élu domicile.

  Puis, aussi brutalement qu'elle était apparue, la douleur s'éteignit. Je retombai contre le matelas, vidée de toute énergie, bien que cela n’ait duré qu’une poignée de secondes. Ma respiration pantelante résonna dans la chambre lorsque Freyja retira le linge. Un fin sourire sur les lèvres, elle chassa quelques mèches de mon front transpirant.

  –Cette fois, c'est vraiment fini.

  À bout de force, je ne pus lutter plus longtemps contre mes pleurs. Si elle avait senti quoi que ce soit d'anormal, jamais elle ne m'aurait souri ainsi.

  Mes doigts se resserrèrent sur la main que je tenais encore.

  –Merci, sanglotai-je.

  Elle ne dit rien, se contentant d'étreindre ma main en retour, puis la lâcha pour sortir. Quelques secondes plus tard, la porte se rouvrit et des bras puissants, dont la chaleur traversait les vêtements, me redressèrent et se refermèrent autour de moi. Ma tête vint se placer au creux de son épaule. Lui aussi tremblait de soulagement.

  –Dame Nature, merci...

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