Chapitre 27 - Partie 2

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  Déconcertée, je fronçai les sourcils. Cette voix. Frigg ? Depuis quand était-elle dans le couloir ? Nous avait-elle entendues ?

  Magdalena dut sentir la vague de peur qui me gagna, car elle m'assura :

  –Ne vous inquiétez pas, Madame. Elle vint juste d'arriver.

  Mes muscles se relâchèrent alors qu'elle se tournait vers le battant. L'éclat lumineux qu'elle affichait disparut, remplacé par un faible sourire sans joie. En silence, elle s'approcha de la porte.

  –Maman pourquoi n’es-tu pas avec Freyja ? la questionna-t-elle sans ouvrir.

  –Parce que... chuuuuut... c'est un secret.

  –Quel est ce secret, Maman ? C'est moi, tu peux tout me dire.

  –Oui, je sais, mais pas derrière la porte. Trop de monde de ce côté. Chut chut chut. On va m'entendre et Freyji Freyja va pas être contente.

  Magdalena ferma les yeux et prit une profonde inspiration.

  –S'il te plaît, s'il te plaît, s'il te plaît, insista sa mère. Je veux voir la Silencieuse. Et après je te dis tout, ma petite madeleine en sucre, je te promets. Je te dis mon secret.

  –Cela vous dérange-t-il ? me demanda-t-elle. Je comprendrais que vous ne vouliez pas.

  –Pourquoi tu racontes des bêtises, ma Magdi ? marmonna Frigg avant que je réponde. La Silencieuse veut me voir. Pas vrai, Silencieuse ?

  Magdalena fit la sourde oreille et attendit ma réponse.

  –Non, c'est bon, déclarai-je. Elle peut rentrer.

  –Je te l'avais dit, ma Magdi.

  Elle ne releva pas.

  –Une dernière chose, maman. Si j'ouvre, tu promets de ne pas toucher à la Princesse ?

  –Oui, oui, je promets. Je touche pas la Silencieuse. Faut pas la toucher.

  Magdalena finit enfin par ouvrir la porte. Le battant s'était à peine écarté que sa mère s'engouffra dans la chambre. Dès que son regard ingénu se posa sur moi, elle s'arrêta et sautilla sur place. Je lui offris un sourire crispé. Même si j'avais accepté qu'elle nous rejoigne, je n'étais pas très à l'aise. Comment étais-je censée me comporter avec elle ? Je n’avais pas l’habitude de côtoyé des personnes avec des problèmes mentaux.

  Mes yeux s'agrandirent en la voyant empoigner le bras de sa fille à deux mains et la secouer comme un prunier.

  –Tu as vu ça, ma Magda ? Elle ne dit rien du tout ! C'est une Silencieuse ! Une Si-Len-Ci-Eu-Seuh !

  –Oui, Maman, c'est une Silencieuse, soupira Magdalena en la forçant à arrêter. Maintenant, peux-tu me dire ton secret ?

  –Oui, oui. J'ai promis de le dire, donc je vais le dire. Mais chut, il faut pas répéter, d'accord ? Toi aussi Silencieuse, hum ?

  Sans nous laisser le temps de répondre, elle sourit enchaîna en souriant de toutes ses dents.

  –Le feu et la terre se parlent, alors j'ai craché les médicaments.

  Les épaules de sa fille s'affaissèrent.

  –Maman, tu ne dois pas faire ça. Freyja te les donne pour ton bien, il faut que tu les prennes.

  –Oui, mais pas quand le feu et la terre se parle, pas vrai Silencieuse ? Il faut rester attentif aux éléments, car un jour ils se rassembleront et l'imposteur sera démasqué.

  Perdue, je ne réagis pas. Que devais-je répondre ? Je jetai un œil à Magdalena et mon cœur se serra. Elle semblait vraiment peinée de voir sa mère aussi peu maître d'elle-même.

  –Frigg, c'est bien ça ? interpellai-je cette dernière.

  Ses lèvres se soulevèrent davantage et elle hocha de la tête à toute vitesse.

  –Oui. Frigg c'est moi. Moi c'est Frigg.

  –Vous aimez votre fille ?

  –Bah oui. Pourquoi cette question ? C'est mon bébé. Ma Magdi Magda. Ma madeleine en sucre.

  –Alors il faut l'écouter et prendre vos médicaments pour ne pas la rendre triste, déclarai-je avec douceur, comme si je m'adressais à un enfant. Même quand les éléments sont là. D'accord ?

  Son visage se rembrunit et elle fit la moue, à l’instar d’une fillette à qui on aurait confisqué son jouet.

  –D'accord... Je veux bien prendre mon médicament, abdiqua-t-elle.

  Magdalena poussa un soupir de soulagement et plongea son regard dans le mien.

  –Merci.

  –Il n'y a pas de quoi.

  –Allez maman, tu viens ? l'appela-t-elle en gagnant le couloir.

  Un éclat malicieux s'alluma dans les yeux de Frigg et un rictus fendit ses lèvres. Elle y porta un doigt et prononça un « chut » silencieux en se dirigeant vers la sortie. Loin d'être rassurée par ce comportement qui me rappelait bien trop celui d'un enfant sur le point de faire des bêtises, je me tournai vers sa fille.

  –Magdale...

  Avant que je finisse de prononcer son nom, Frigg claqua la porte et nous enferma à double tour. La poignée s'agita dans la seconde.

  –Maman, ouvre tout de suite ! lui ordonna Magdalena.

  –Non, non, tu dois chercher l'autre clef, déclara-t-elle en cachant le double dans sa poche alors que je me redressais. En attendant...

  Elle se précipita vers moi. Oubliant que je me trouvais juste devant le lit, j'eus un mouvement de recul et tombai sur le matelas. Lorsque je rouvris les yeux, Frigg se tenait juste au-dessus de moi. Son rictus s’étira encore et je me pétrifiai. L'éclat fou de son regard, ce sourire... Un vent de peur s'insinua en moi.

  Sans me quitter des yeux, elle se pencha vers mon oreille. Son souffle caressa ma peau lorsqu'elle prit la parole dans un murmure.

  –Je t'appelle Silencieuse parce que tu ne parles pas, mais je sais qui tu es vraiment, Créatrice. (Mon cœur s'arrêta.) Il faut que tu fasses attention à toi. Même si tu es une Stracony, tu ne peux pas te permettre de mourir. Néant serait triste. Il te cherche depuis tant de siècles. Vous devez vous retrouver, votre séparation a duré assez longtemps.

  Comment ?

  La porte s'ouvrit avec fracas.

  –Frigg ! s'exclama Freyja.

  Elle traversa vivement la pièce et la fronça à reculer.

  –Magdalena t'a dit de laisser la Princesse tranquille.

  –Mais j'ai pas touché, se défendit Madame Raspivitch. On a juste parlé. Pas vrai, Silencieuse ?

  –Je...

  J'avais du mal à respirer.

  –Freyja, ramène-la dans sa chambre, lui demanda Magdalena en entrant à son tour.

  Sa mère s'arracha à la poigne de la guérisseuse.

  –Non, non, non ! hurla-t-elle. Je veux pas descendre ! Je reste ici pour parler avec la Silencieuse !

  Freyja ouvrit l'une des escarcelles à sa taille. L'instant suivant, elle tombait à genoux sur le parquet en hurlant et en se tenant la tête entre les mains.

  –Maman ! Arrête ça ! s'écria Magdalena.

  –Non. La déesse de la terre voulait me donner le poison. J'aime pas le poison. Ça fait mal.

  Sous le choc, je ne pouvais rien faire d'autre que dévisager Frigg. Tout trace d'innocence avait déserté ses traits et elle toisait Freyja avec tant de suffisance et d'inimité que j'avais l'impression d'être face à une toute autre femme.

  –Karl ! hurla Magdalena alors que des bruits de pas retentissaient dans l'escalier.

  Madame Raspivitch fut traversée par un violent spasme. Une vague de panique chassa aussitôt la froideur de son visage et Freyja cessa de crier.

  –Non... murmura-t-elle en reculant d'un pas, apeurée. Faut pas appeler Karl. Karl doit pas savoir. J'ai promis...

  Le souffle court, Freyja se releva, une seringue à la main, au moment où le commandant arriva. Frigg se mit à pleurer.

  –Non... S'il te plaît, Magda... Freyji... Je veux pas la piqûre. Ça brûle.

  La guérisseuse ne l'écouta pas et tenta de l'approcher. Frigg courut se réfugier à l'autre bout de la pièce.

  –Karl, peux-tu l’immobiliser ? lui demanda Magdalena.

  Son époux acquiesça en se dirigeant vers sa belle-mère.

  –Non ! Non ! Non !

  Frigg se recroquevilla dans un angle de la chambre.

  Dans ce tumulte, je croisai le regard de Kalor qui me rejoignait, l'air tout aussi perdu que moi. Dès qu'il fut à mes côtés, notre attention se reporta sur Frigg. Pliée en deux dans son coin, elle se balançait d'avant en arrière.

  –Je voulais juste parler avec la Silencieuse. J'ai été gentille. J'ai promis. Pas besoin de la piqûre. Non, non, non. Je l'ai pas touché. Pas besoin...

  Ses soliloques cessèrent brusquement lorsque son gendre toucha son épaule.

  –Allez, Frigg, il faut laisser Freyja vous donner votre médicament.

  Elle secoua vivement la tête. Le commandant grimaça, puis glissa ses mains sous ses bras pour la forcer à se relever.

  –Magda, geignit-elle, les larmes ruisselant sur ses joues pleines. S'il te plaît. J'ai besoin d'entendre.

  Magdalena détourna le regard alors que Freyja arrivait devant sa mère. Cette dernière tenta de reculer, de sortir de l'étau qui la bloquait, en vain. La guérisseuse la força à pencher la tête sur le côté, puis enfonça l'aiguille dans sa gorge. Frigg poussa un hurlement strident qui me glaça le sang avant de s'effondrer quelques secondes plus tard, inconsciente.

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