Chapitre 28 - Partie 2

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  Je pensais m'enfermer dans mon bureau jusqu'au retour de nos invités, afin que personne ne me dérange et que je puisse rattraper le plus de dossiers possibles. Cependant, à peine avais-je mis un pied dans le secrétariat qu'Edgar me confia un nouveau rapport arrivé durant notre visite chez Magdalena. Le premier rapport des soldats encore dans la forêt boréale. Malgré mon retard, je me penchai en priorité dessus.

  L'atmosphère de la pièce s'alourdit dès le début de ma lecture. Les restes d'une vieille femme, à moitié rongée par les vers, avait été trouvés dans des buissons à proximité du manoir. Ses vêtements presque intacts, alors qu'elle était déjà en état de décomposition avancée, et caractéristiques de l'Ancien Temps avaient permis aux soldats de conclure qu'il s'agissait d'Hermine Boracdottir, la dernière courtisane enlevée. Même si j'avais eu des doutes quant à sa survie, apprendre qu'ils étaient fondés n'avait rien de plaisant.

  Dire que l’Horloger l’avait vieilli à ce point pour s’en débarrasser…

  Mes doigts se resserrèrent autour du rapport.

  La confusion chassa une partie de mon ressentiment au paragraphe suivant. Le cadavre en parfait état d'un homme avait aussi été découvert dans la demeure ? Qui était-il ? Une autre victime ou un complice de ce salopard ? Aucune fille n'en avait parlé. La suite du rapport ne fit que me perturber davantage : lorsque les soldats l'avaient déplacé, ils avaient trouvé cet inconnu bien trop léger pour sa carrure et ils n'étaient pas parvenus à estimer la date de son décès. Son corps n'était ni chaud ni froid ; il ne présentait aucune rigidité cadavérique et ne dégageait aucune odeur. Que signifiait tout cela ? Les pouvoirs de l'Horloger étaient-ils responsables de ces phénomènes étranges ? Il faudrait que je songe à interroger le Marquis Marcus au retour de la délégation ; peut-être pourrait-il m'éclairer sur ce point. Je devrais aussi demander à Lunixa si elle connaissait cet homme.

  Le reste du rapport se résumait en une longue liste d'objets recensés dans le manoir. Sous ses airs de demeure délabrée, il abritait bien plus de richesses que personne n'aurait pu l'imaginer : tapis et mobilier luxueux, literie en soie, argenterie, services en cristal ou en porcelaine de pays lointain... mais surtout des reliques, des reliques et encore des reliques. Des dizaines et des dizaines de description d'objets de l'Ancien Temps occupaient la fin du rapport. J'avais du mal à en croire mes yeux. Comment l'Horloger avait-il pu mettre la main sur autant de biens aujourd'hui disparus ? Les déplacer sans attirer l'attention ? Les transporter avait dû lui demander des moyens, du temps et de la main d’œuvre. N'importe qui aurait parlé d'un tel trésor.

  La seule explication qui me venait à l'esprit attisa mon pouvoir. Boracdottir et l'inconnu ne devaient pas être les seuls Talviyyöriens à avoir péri des mains de l'Horloger.

  Je me servis un verre de bourbon pour calmer le feu dans mes veines avant de poursuivre ma lecture. Imprimeur à vêtements, drone, téléphone, baffle... des noms plus inconnus que les autres défilaient devant mes yeux, accompagnant la description de certaines reliques avec une brève explication de leur utilisation. Tous ces détails provenaient de cartels placés en dessous de ces objets, comme si l'Horloger s'était constitué son propre musée de l'Ancien Temps.

  Cette interminable liste finit par me lasser et je poursuivis ma lecture en diagonale. Au milieu des innombrables descriptions, les étranges noms qui continuaient à les ponctuer attiraient le plus mon regard : dispositif de vol personnel, lunettes connectée, pieds bionique, téléporteur…

  Mes paupières cillèrent plusieurs fois. Téléporteur ? Intrigué, je cessai de survoler les pages et lu cette partie avec attention.


  « Téléporteur

  Description : morceau de métal incurvé rempli de câbles fins et un autre qui semble provenir d’une large plate-forme circulaire, également en métal.

  D'après le cartel : fragments de téléporteur. Moyen de transport inventé en 2120, possédé par la majorité des villes dès 2125. Permet de se déplacer aux quatre coins du monde en une poignée de secondes. Pas de limite de distance. Un passager à la fois. »


  Les habitants de l'Ancien Temps avaient inventé une machine capable d'imiter les pouvoirs de Voyageurs ? Voilà qui était inattendu. En avaient-ils également pour reproduire d'autre capacité lathienne ? Pour obtenir la force décuplée des Puissants ? L’esprit versatile des Animalistes ? Le contrôle des sons des Chanteurs ? Celui des sens des Illusionnistes ? Si c'était le cas, cela expliquait peut-être pourquoi Dame Nature s'était montrée aussi implacable lors de la Punition. Voir que les hommes, en plus de bafouer la Terre, créaient des machines impies qui reproduisaient ses pouvoirs divins avait dû nourrir sa colère à leur égard. Et cela avait également dû attiser sa haine envers les Lathos : alors qu'elle avait voulu faire payer les hommes de s'être pris pour des dieux en imitant impunément ses capacités sacrées, nos ancêtres avaient assimilé ses pouvoirs et se les étaient appropriés. Comme s'ils avaient cherché à défier son autorité, comme s'ils s'étaient moqués de son intervention... Cela ne serait pourtant jamais arrivé si elle n'était pas venue sur Terre.

  Je pris une profonde inspiration pour chasser ces idées de mon esprit – ce qui était fait, était fait ; rien ne servait de tergiverser sur le passé – et repris ma lecture avec plus de sérieux. Comme je me l'étais demandé, les habitants de l'Ancien temps n'avaient pas seulement réussi à reproduire la téléportation des Voyageurs : l'Horloger possédait les restes d'une machine appelée « exosquelette de combat ». D'après sa description, cette invention décuplait jusqu'à vingt fois la force de l'individu qui la portait. Les Puissants auraient enfin eu un adversaire capable de rivaliser avec leurs pouvoirs si ces machines n'avaient pas disparu.

  Me resservant du bourbon, je passai à la page suivante. La bouteille se figea au bord du verre. Hébété, j'analysai les lignes qui s’étalaient sous mes yeux.

  Des armes à feu... Une centaine d'arme à feu avaient été retrouvées chez l'Horloger.

  Par la Déesse...

  Comment avait-il réussi à mettre la main sur autant d'objets interdits ? Ces reliques étaient censées être détruites dès qu'on en découvrait et en posséder conduisait à plusieurs années de prison...

  –Kalor.

  Surpris, je sursautai et fis tomber la bouteille et le verre.

  –Dame Nature... grognai-je.

  Je m'empressai de les redresser et de récupérer mes dossiers, afin de les sauver de l'alcool qui se rependait sur mon bureau.

  –S'il y a un secrétariat et une porte à franchir avant d'entrer dans cette pièce, m'irritai-je, c'est pour une bonne raison, mère.

  –Si tu étais plus attentif à ton environnement, ce ne serait pas arrivé, répliqua-t-elle en m'aidant malgré tout à prendre mes rapports. Je suis ici depuis une dizaine de secondes.

  –Excusez-moi d'être concentré sur mon travail.

  –As-tu fini de geindre comme un enfant ?

  Mes muscles se tendirent

  –J'ai beau vous demander d'arrêter de vous téléporter dans le palais, vous ne cessez d'en faire qu'à votre tête et de continuer. Aussi, sans vouloir vous manquez de respect, vous êtes celle qui se comporte le plus comme une enfant. Comment comptez-vous justifier votre présence si Edgar entre ?

  –Ton secrétaire est loin d'être stupide, Kalor. Il sait très bien que les murs abritent un labyrinthe de couloirs secrets.

  –Et s'il avait été présent au moment où vous êtes arrivée ? Ou n'importe qui d'autre ? Votre comportement est inconscient.

  Son regard se fit soudain tranchant.

  –Cesse donc de me prendre pour une sotte, tonna-t-elle. Je berne la cour et ton père depuis plus de trente ans à présent. Comment peux-tu penser un seul instant que je ne prends aucune précaution avant de me téléporter, moi qui t’aie inculqué la prudence nécessaire à notre secret ?

  Mes articulations blanchirent tant je serrais les poings, mais je n'avais rien à répliquer. Mettant cours à cette dispute, je la contournai pour déposer mes affaires sur la table basse du coin salon.

  –Es-tu disposé à m'écouter à présent ? s'enquit ma mère. Ou y a-t-il d'autres doléances dont tu voudrais me faire part ?

  Son ton condescendant ne fit rien pour apaiser mon exaspération. Au lieu de répondre, je me redressai alors de toute ma hauteur et baissai les yeux vers elle. Un muscle de sa mâchoire tressauta. Elle détestait que j'agisse de la sorte : du haut de son mètre soixante, elle se retrouvait obligée de se dévisser le cou pour soutenir mon regard. Et pour couronner le tout, ma posture donnait l'impression que je la toisai avec un certain mépris.

  –Je suis tout ouï mère, que me vaut cette visite impromptue ?

  –Le Gardien.

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