Chapitre 28 - Partie 4

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  –Je ne veux plus que toi ou Valkyria vous retrouviez seul avec ce Marquis, claqua soudain ma mère.

  –Nous sommes au château, murmurai-je en portant mon verre à mes lèvres. Nous sommes rarement seuls.

  –Ce n'est pas négociable, Kalor. Tu es bien trop important pour qu'on laisse place aux hasards, peut-être et autres suppositions.

  Mon pouvoir s'agita alors que je fermais les paupières, aussi fatigué qu'irrité. Nous en revenions encore à la Cause.

  –Mère..., soupirai-je en me redressant. Que le jeune Marcus me vole ou non mes pouvoirs ne fait aucune différence vis-à-vis de vos plans.

  Ses yeux s'agrandirent de stupeur.

  –Comment peux-tu dire une chose pareille ?

  –Parce que vos plans me concernant sont terminés depuis des mois : je suis marié à Lunixa et Thor va avoir un enfant. C'est fini.

  –Je t'interdis de dire ça, cingla-t-elle.

  –J'essaye de vous faire entendre raison. Nous devons trouver un autre moyen qu’inverser la situation pour mettre un terme aux exécutions.

  –Un autre moyen ? répéta-t-elle sèchement. À quoi penses-tu ? À changer les mœurs ? À prouver à tous ces humains que nous ne sommes pas des erreurs de la nature et que nous méritons de vivre ? Comment peux-tu être aussi naïf ? Nous sommes persécutés et exécutés depuis de siècles, Kalor ! Si notre situation avait pu être changé en douceur, cela se serait déjà produit ! Alors que cela te plaise ou non, tu dois te faire à cette réalité. Et cesse donc de te leurrer à cause de ta relation avec cette humaine. Tu penses que l'amour qui vos unis te protégera si jamais elle découvre la vérité ? Permets-moi d'en rire ! Elle te haïra, purement et simplement, comme tout ceux de son espèce, car les bons sentiments n'ont jamais fait évoluer leur mentalité. Tant que nous n'agiront pas, les persécutions et les exécutions ne cesseront jamais, et les nôtres continueront de mourir.

  Les muscles tendus, je serrai les dents pour retenir le flot de mots qui se bousculait sur ma langue. Je ne pouvais lui dire que Lunixa m'avait accepté pour lui prouver qu'elle se trompait, cela la condamnerait sur le champ. Même si Ulrich lui ait ordonné de la laisser tranquille, ma mère ne laisserait pas Lunixa vivre une seconde de plus si elle le découvrait.

  –C'est pour ça que nous devons nous emparer du pouvoir, poursuivit-elle. Lorsqu'un Lathos à la marque royale siégera sur le trône, personne ne pourra remettre son autorité en question et nous pourrons enfin faire bouger les choses. Et ce Lathos, c'est toi, mon fils. Tu es notre Sauveur.

  –Qu'importe ma marque, les humains n'accepterons pas l'un de nous sur le trône. Pas à l'heure actuelle.

  –Bien sûr que si, assura-t-elle avec suffisance. Elle est la preuve que Dame Nature t'as jugé digne de régner sur Talviyyör. Ils n'oseront jamais remettre en doute la décision de notre chère déesse. Tu seras intouchable.

  –Personne n'est intouchable, rétorquai-je. Dans l'histoire, des rois se sont fait assassiner pour moins que cela.

  –N'aies crainte, tu auras les meilleurs d'entre nous pour te protéger. Tu épouseras même une Élémentaliste, Kalor, une demi-déesse ! Et n'oublie pas que tu fais toi-même partie des plus puissants de notre race. Quel autre Voyageur peut se vanter de pouvoir se téléporter sur une centaine de kilomètres en un saut ? De pouvoir transporter une personne avec lui sur une dizaine de kilomètres ? De pouvoir téléporter des objets d'une main à l'autre ?

  –Valkyria, répondis-je toujours crispé, et sûrement d'autres. Je ne suis pas exceptionnel.

  –Ta sœur est également très forte, mais elle ne t'égale pas. Tu es unique, mon fils. Notre sauveur et futur roi. Pense à tous ceux qui tremblent de peur, jour après jour, dans la crainte d'être démasqués ; à tous ceux déjà morts, exécutés sans jugement et dans la violence pour la simple raison d'être venus au monde...

  Je commençais à avoir du mal à respirer, oppressé par ses mots. Cela faisait des années que je n'avais pas subit un tel endoctrinement. Après tous les coups que j'avais reçus d'Ulrich, j'avais oublié que les doucereuse paroles de ma mère étaient toutes aussi dangereuses. Me montrer à quel point j'étais spécial, me rappeler notre détresse, me convaincre que j'étais le seul capable y mettre un terme... Ses idées cherchaient à s'insinuer dans mon esprit aussi sournoisement que le venin d'un serpent.

  –Songe aussi à ces parents qui craignent l'éveil de leurs enfants. Des familles entières ont déjà été condamnées car les pouvoirs de leur fils ou leur fille se sont manifestés pour la première fois sous les yeux de nos persécuteurs. Tu en as toi-même été témoin, mon fils. Souviens-toi de ce jeune Éthérien qui s'est mis à traverser les passants en pleine fête du Renouveau. Il a à peine eu le temps de comprendre ce qu'il lui arrivait que lui et ses parents ont été molestés, puis exécutés sur l'estrade principale. Pourquoi tant de haine ? Ils étaient simplement capables de dématérialiser leur corps, ils n'avaient commis aucun crime.

  –Assez...

  –Ces Lathos, tous autant qu'ils sont, prient chaque soir, espérant que quelqu'un endente leur détresse et vienne les en libérer. Cette personne, c'est toi mon fils. Tu es le seul capable de nous libérer du joug des humains.

  –Arrêtez...

  –À partir du moment où tu siégeras à la tête de ce pays, notre existence ne sera enfin plus condamnée par la mort. Nous n'aurons plus à trembler, nous cacher ou renier notre nature. Nous pourrons vivre à la lumière du jour et nous servir quotidiennement de nos pouvoirs. Les Lathos des pays voisins viendront s'installer ici, dans ce royaume devenu notre terre promise.

  –Mère...

  –Nous obtiendrons enfin la place qui nous revient de droit et que les humains nous ont usurpé depuis toujours. Gouverné par notre espèce, Talviyyör deviendra le plus puissant pays du monde. Et tout cela aura été possible grâce à toi, mon fils, le Prince Lathos, le sauveur que nous avons attendu pendant des siècles. L'Histoire se souviendra à jamais de ton nom. Tu seras...

  Mon poing s'abattit brutalement sur la table. Un lourd silence de plusieurs seconde s’ensuivit.

  –J'ai dit « assez », articulai-je, le souffle court.

  Le sourire qui avait fleuri sur ses lèvres retomba.

  –Kalor...

  –Sortez, mère. Maintenant.

  J'étais à deux doigts de perdre le contrôle sur mon pouvoir.

  Sans me quitter des yeux, elle prit son temps pour terminer son verre avant de se lever.

  –Tu sais que j'ai raison, Kalor. Au fond de toi, tu le sais.

  Puis elle se téléporta.

  Enfin libéré de sa présence, je cessai de lutter. Le feu en moi explosa dans mes veines ; les flammes dans l'âtre réagirent en conséquence et s’embrasèrent d'un coup, atteignant en une seconde le manteau de la cheminée. Taraudé par les paroles de ma mère, je me pris la tête entre les mains et appuyai mes coudes sur mes genoux, paupières closes.

  Respire...

  Mon souffle s'apaisa petit à petit et mon pouvoir se calma de concert, rendant aux flammes une taille normale. Cependant, le venin de ma mère continuait d’empoisonner mon esprit.

  Je savais qu'elle avait raison. Sur de nombreux points la vérité était aussi cruelle qu'elle me l'avait présentée. Mais elle avait tort sur tout le reste... Elle devait avoir tort.

  Par la Déesse, voilà que je recommençais à douter…

  Ses mots faisaient rejaillir tous ceux qu'elle n'avait pas eu le temps de prononcer avant que je la chasse, tous ceux des anciens discours suprémacistes qui avaient bercé mon enfance. Il fallait que je les bloque. Je ne pouvais laisser son intervention mettre à mal l'opinion que j'avais réussi me forger malgré mon endoctrinement. Mes convictions n'avaient rien de naïf. Tout n'était pas aussi sombre et fataliste qu'elle voulait me le faire croire. Lunixa me l'avait prou... vé.

  Mes yeux se rouvrirent d'un coup. Dans un état second, je me rendis au secrétariat.

  –Edgar, faites chercher ma femme.

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