Chapitre 33 - Partie 1

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LUNIXA


  Deux jours. Je n'ai plus que deux jours à tenir.

  Dissimulée derrière mon paravent, je revêtais une chemise à jabot et des jupons tout en me répétant cette phrase en boucle. J'en avais besoin. Le départ de mes compatriotes me semblait si lointain que je devais me rappeler le temps qu'il restait vraiment.

  Seulement deux jours.

  Qui allaient malgré tout me paraître une éternité.

  Un frisson me secoua à cette perspective, puis l'ensemble de mon corps se crispa, mais je me forçai à prendre une profonde inspiration pour le détendre. Une partie de chasse allaient occuper les hommes durant toute la matinée, tandis que nous nous baladerions dans une autre partie de la forêt. Il n'y avait aucune chance que je tombe par hasard sur Arès ou César au détour d'un arbre. En revanche, Kalor allait passer beaucoup de temps avec eux...

  Sentant ma gorge se nouer, j’inspira de nouveau à lentement pour chasser la boule d'angoisse qui cherchait à s'y loger. Je craignais toujours qu'il ne dise un mot que les Marcus, en particulier Arès, assimileraient tout de suite à Artémis – j'en avais même cauchemardé plusieurs fois, durant la nuit –, mais ils allaient partir à la chasse. Le silence serait leur maître d’œuvre et s'ils parlaient, ce serait uniquement pour se donner des directives ; ils ne discuteraient pas.

  Imperceptiblement apaisée par ces rappels, je soulevai mes cheveux encore coincés sous le col de ma chemise pour les en dégager, puis tournai la tête vers ma chambre.

  –C'est bon, Paulina, tu peux venir.

  –Oui, Princesse.

  Un bruissement de tissu accompagna sa réponse et elle me rejoignit derrière les panneaux ouvragés, les bras chargés d'un ensemble d'équitation rouge brique.

  –Vous convient-il ? me demanda-t-elle. La couleur fera ressortir vos yeux et vous rendra bien visible dans les bois.

  –Il est parfait.

  Un franc sourire fendit ses lèvres. Toute guillerette, elle s'attela à son travail, commençant par m'assister avec cette tenue. Elle ajusta ensuite mon jabot, s'occupa de mon maquillage et termina par ma coiffure, un chignon tressé bas qui me permettrait de mettre le chapeau.

  –Êtes-vous satisfaite ? s'enquit-elle à la fin.

  Je me penchai vers le miroir pour mieux observer mon reflet, tirai mon col, puis inspectai mon cou avec attention. Paulina avait bien pensé à masquer toutes les marques violacées qui l'enserraient, même celles cachées sous le tissu de la chemise.

  –Tout à fait, assurai-je en me tournant vers elle. Merci beaucoup pour ton aide.

  Elle accueillit ma réponse d'un nouveau sourire, qui retomba juste après. Je fronçai les sourcils tandis qu'elle baissait en plus les yeux.

  –Paulina ? Y a-t-il un souci ?

  Ses doigts triturèrent le peigne qu'elle tenait encore.

  –Pas vraiment, mais... Je me demandai pourquoi vous ne voulez pas que je m'occupe complètement de vous. Votre toilette, le début de votre habillement... Ai-je fait quelque chose qui ne fallait pas ?

  Alors que j'avais commencé à me tendre en entendant sa première interrogation, mes épaules s'affaissèrent après la seconde et face à son regard peiné.

  –Non, bien sûr que non, Paulina. Tu n'as rien fait de mal. Magdalena non plus ne m'assiste pas avant que j'aie mis une première couche de vêtement.

  –Vraiment ? (J'opinai.) Mais... pourquoi ?

  –Je ne suis pas à l'aise avec mon corps. Ma maigreur... est vraiment repoussante. Je ne veux l'infliger à personne.

  Ce n'était peut-être pas la vraie raison, mais elle l'aurait été si je n'avais pas eu de marque royale. Ma minceur presque maladive était déjà inquiétante en temps normal et elle n'avait fait que s'accentuer depuis que j'avais abusé de mes pouvoirs. Dire que je n'étais pas belle à voir était un euphémisme.

  –Même si vous vous êtes un peu amincie, je vous trouve toujours très jolie, Princesse, rétorqua timidement Paulina. Je ne serais pas dérangée par la vision de votre corps.

  Attendrie par ces mots, je ne pus m'empêcher d'esquisser un sourire.

  –Tu es gentille et je ne doute en rien de ta parole, mais moi, je serais gênée. Même avec un médecin, je n'aime pas me découvrir, c'est pour dire. Enfin... Ne te tracasse plus à présent, je n'ai rien à te reprocher. Tu t'en sors au contraire très bien pour une jeune fille de ton âge.

  Prise au dépourvue, elle s'empourpra et rabaissa immédiatement les yeux.

  –Merci, Princesse... Avez-vous besoin d'autre chose ?

  –Non, ce sera tout. Tu peux disposer.

  Elle s'inclina, puis quitta l'espace dissimulé par le paravent. Le temps que je me lève pour en sortir également, elle avait atteint la porte. Elle eut un mouvement de recul en l'ouvrant. Surprise, je m'arrêtai et la regardai courber l’échine en vitesse.

  –Altesse.

  –Paulina, répondit la voix grave de Kalor.

  Les muscles de mon dos se bandèrent. Se redressant, elle s'écarta pour le laisser passer, puis s'en alla avec la desserte. Les assiettes encore à moitié pleines qui reposaient dessus n'échappèrent pas à Kalor. Son regard perçant s'y attarda jusqu'à ce qu'elle referme la porte, avant de se poser sur moi. Je détournai les yeux, comme une enfant prise en pleine bêtise. J'avais espéré qu'il n'en saurait rien.

  Avant que le silence n'ait le temps de s’installer, je m'empressai de prendre la parole tandis qu'il s'avançait vers moi sans mot dire.

  –Vous n'êtes pas encore partis ?

  Mes paupières se fermèrent face à la stupidité de ma question. Évidemment qu'ils n'étaient pas encore partis, sinon pourquoi se trouverait-il dans ma chambre. À moins qu'il ne se soit téléporté ? Mon interrogation me parut soudain moins idiote, jusqu'à ce que Kalor reprenne ma première réflexion à haute voix.

  –Je ne serais pas là si c'était le cas, déclara-t-il, mais nous n'allons pas tarder. Je voulais juste te voir avant.

  Je me pinçai les lèvres.

  –Comment vas-tu ? s'enquit-il. Tu n'as pas mangé grand-chose.

  –J'ai fait de mon mieux pour en prendre le plus possible, mais je n'avais pas très faim, avouai-je.

  –Tes cauchemars t'ont coupé l'appétit ?

  J'opinai, avant de rentrer la tête dans les épaules.

  –À ce propos...

  Les bottes de Kalor entrèrent dans mon champ de vision et s'arrêtèrent à côté de moi. Après une hésitation, je relevai les yeux vers les deux puits d'agent liquide qui emplissaient les siens et m'observaient avec attention, en attente de la suite.

  –Je suis tellement désolée pour cette nuit. Si tu savais comme je m'en veux de t'avoir maintenu éveillé... Tu devrais dormir dans tes appartements ce soir.

  –Et te laisser toute seule, en proie avec tes terreurs nocturnes ? répliqua-t-il avec une pointe de dureté. Certainement pas.

  De façon bien égoïste et malgré son ton, ce refus me soulagea. Je n'avais aucune envie de dormir sans lui.

  –En plus, tu n'es en rien fautive, ajouta-t-il d'une voix plus douce. Vu ce que tu as vécu, je me serais autant inquiété si tu arrivais à passer des nuits paisibles. Alors cesse de t'en vouloir, d'accord ?

  Même si j'acquiesçai faiblement, un fin sourire souleva ses lèvres. Il m'embrassa avec tendresse, puis posa son front contre le mien.

  –N'oublie jamais, Lunixa, j'ai promis par deux fois de te soutenir dans les épreuves et je compte bien tout faire pour respecter ce serment. Donc ne me demande plus jamais de délaisser ta couche pour mon bien-être, car ça n'arrivera pas.

  Ces mots me réconfortèrent bien plus que tout ceux que je m'étais répétés depuis mon réveil. L'espace d'un instant, j'oubliai le danger qui m'attendait hors de cette pièce et me laissai aller contre lui, calant ma tête au creux de son épaule. Ses bras puissants se refermèrent autour de moi et m'emprisonnèrent dans un cocon chaleureux, dans tous les sens du terme. Malgré mes vêtements, je sentis la douce caresse de son pouce au creux de mes reins. Que j'aurais aimé pouvoir rester ainsi pour toujours... Dans cette étreinte où je me sentais à l'abri, protégée, aimée.

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