Chapitre 37 - Partie 2

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  Comme toujours, Lunixa et moi dansâmes et dansâmes sans plus nous arrêter. Quel bonheur de sentir à nouveau son corps se mouvoir avec grâce contre le mien, nos pas se suivre comme si nous avions toujours danser ensemble ! Je n'avais jamais senti une telle harmonie avec une autre partenaire ; même avec Lokia. Dès que ma main se posait sur la taille de Lunixa et la sienne sur mon épaule, le monde disparaissait autour de nous pour nous laisser seuls, dans notre propre univers.

  Nous n'étions hélas pas seuls dans cette salle de bal et même si j'aurais aimé être l'unique cavalier à profiter de ses talents de danseuse, nous changeâmes à plusieurs reprises de partenaires. Nicolas entraîna Lunixa dans une gigue tandis que je faisais de même avec Valkyria ; Thor l'invita à une pavane pendant que je proposais cette danse à l'une de ces compatriotes ; un menuet nous réunit le temps d'un mouvement avant de nous séparer à nouveau par le changement de partenaire constant de cette danse de groupe...

  Alors que ma belle Illiosimerienne passait entre les mains du Duc Taniec, je me retournais pour convier la Comtesse Balcerdottir à la redowa quand ma mère se glissa devant moi. Tous mes muscles se tendirent. Il nous arrivait souvent de danser ensemble au cours des bals, mais je n'en avais aucune envie en cet instant. Je lui en voulais toujours d'avoir tenté de m'endoctriner à nouveau deux jours plus tôt, et pour sa dévotion de plus en plus forte pour la Cause. Hélas, je ne pouvais me défiler ; nous nous tenions au beau milieu des danseurs et mon père était juste à côté. À contrecœur, je finis par lui tendre la main. Les doigts de ma mère se posèrent au creux de ma paume.

  –L'as-tu vu ? murmura-t-elle lorsque j'amorçai le premier pas.

  –Pardon ?

  –Le Gardien, souffla-t-elle encore plus bas. Il est sorti de la salle il y a une demi-heure et n'est pas revenu depuis.

  Un soupir m'échappa.

  –Il n'avait peut-être plus envie de danser, a pu se rendre à la salle des jeux ou bien il est sorti prendre l'air.

  –Il n'a invité que six jeunes femmes, contra ma mère. Il est surtout resté sur le côté, à nous observer.

  Je fermai les yeux et comptai jusqu'à dix avant de reprendre la parole.

  –Cet homme est un soldat envoyé par son Roi pour protéger le Général en chef des armés. Qu'il étudie son environnement et les personnes qui l'entourent n'a rien d'étrange.

  –Certes, mais il ne nous scrutait pas autant pendant le repas.

  –Vous avez eu cette impression car il n'était pas placé face à vous. Il analysait également la tablé et la salle à manger avec beaucoup d'attention.

  Les doigts de ma mère se crispèrent.

  –Je n'aime pas cela. Il a mangé plusieurs fois dans cette pièce ; il la connaît. Tout comme il connaît déjà un certain nombre de nos invités. Il n'a plus besoin d'être autant à l'affût.

  –Le danger peut venir de n'importe où et de n'importe qui. Il est même souvent bien plus proche qu'on ne le pense, ajoutai-je en la regardant droit dans les yeux. Mais vous devriez déjà le savoir, mère. N’est-ce pas ? (Elle me lança un regard noir.) Sous combien de belles parures se cache une menace, ce soir ?

  Son expression se fit mauvaise.

  –Il y a en effet bien des menaces dans cette pièce, mon fils. Et au plus près de nous, comme tu l'as si bien fait remarquer : ton père, ton demi-frère, ton humaine... (Un muscle de ma mâchoire tressauta sous ma peau.) Veux-tu que je poursuive ? Non ? Alors cesse de détourner la conversation et concentre-toi sur le problème immédiat. Tu as parlé de danger ; le Gardien nous vous donc bien ainsi, en fin de compte, comme un danger pour les nôtres ?

  –Je vous ai déjà dit que ce n'était pas le cas.

  –Comment peux-tu en être certain ? Je n'ai jamais vu quelqu'un aussi inexpressif. Son apparente indifférence n'a d'égal que l'intensité pénétrante de son regard.

  –Vous avez l'impression qu'il peut voir à travers nous car dans une certaine mesure, c'est le cas et vous le savez, ce qui fausse votre jugement.

  –J'en ai bien conscience, rétorqua-t-elle, mais cela ne change rien. La façon dont il nous observe...

  –Est caractéristique d'un soldat en mission, comme je viens de vous le dire. Il ne cessera donc d'être sur ses gardes qu'une fois sa tâche accomplie.

  Mes mots tombèrent tout droit dans l'oreille d'un sourd. Profitant du fait que je la lâchai pour lui permettre de tourner autour de moi, ma mère embrassa l'ensemble de la salle d'un regard méfiant. Un soupir tendu m'échappa. Discuter avec elle ne servait à rien ; elle s'était arrêtée sur une idée dès qu'elle avait vu le Marquis et j'aurais beau argumenté, sa défiance ne disparaîtrait pas tant qu'il serait là. Je cessai donc de répondre et me concentrai sur nos passes.

  Lorsque la redowa prit fin, la tension qui m'avait gagné s'atténua enfin. J'offris ma révérence à ma mère, puis m'écartai d'elle sans plus tarder afin de retrouver Lunixa. Pour ne pas l'inquiéter, je refoulai le reste de mes soucis sous un sourire ; sans grand succès. Ses yeux se plissèrent à mon approche, soucieux.

  –Quelque chose ne va pas ? s'enquit-elle.

  –Non, rien de grave. Seulement ma mère.

  Elle pinça les lèvres tout en acceptant ma main.

  –« Ta mère » et « rien de grave » ne sont pas vraiment synonymes, me fit-elle remarquer.

  Cette fois-ci, un sourire sincère, bien que crispé, étira mes lèvres.

  –Tu as raison. Mais pour une fois, c'était bien le cas, je te le promets.

  Je lui volai un baiser, puis la fis tourner en la soulevant par la taille. Son regard plongea dans le mien et l'éclat qu'elle affichait depuis le début de la soirée revint illuminer ses traits. Les dernière traces de tension qui m'avait gagné s'envolèrent et, plus léger, je la guidai tout au long de la volte.

  Nous exécutâmes encore la danse suivante avant de nous arrêter, le temps d'une pause. Une musique étrange s'éleva au même instant. Dérouté, je me tournai vers l'orchestre, imité par bien des invités, à l'exceptions des Illiosimeriens. Ces derniers semblaient plus surpris que perdus, mais également ravi par ce morceau.

  –C'est une danse illiosimerienne, me souffla Lunixa alors que ses compatriotes prenaient place. Un ballos. Je me suis permis d'en glisser quelques-unes.

  –C'est une excellente idée. Vas-tu pas te joindre à eux ?

  Elle secoua la tête.

  –Il y en aura d'autres et j'ai vraiment besoin d'une pause.

  –Dans ce cas...

  Je glissai une main au creux de ses reins et la conduisis à l'écart des danseurs. Un domestique vint à notre rencontre pour nous proposer du vin. Nous en prîmes chacun un verre, puis je m'adossai au mur pour observer la délégation, tout en invitant Lunixa à se blottir contre moi.

  Comme le laissait supposer la musique, le ballos se révéla être une danse entraînante, joyeuse et pleine de légèreté. L'ensemble de la délégation y participait, même le jeune Marquis Marcus, qui avait dû revenir depuis peu, car je ne l'avais pas remarqué plus tôt – à moins que Lunixa n'ait trop accaparé pour attention pour que je m'en rende compte avant. Les hommes tournaient autour de leur cavalière tandis que ces dernières sautillaient sur place, les mains sur les hanches. Puis ils les rejoignaient pour les faire tournoyer à plusieurs reprises, s'écartaient pour effectuer quelques pas en position ouverte... Avec sa grâce et son élégance, j'imaginai sans mal Lunixa l'exécuter.

  Lorsque cette danse se termina, nous restâmes encore sur le côté pendant la polka qui s'ensuivit, puis nous rejoignit nos invités pour une galopade groupée. Toute ma famille prit également place au milieu des autres participants, ma mère surveillant du coin de l'œil le Gardien, adossé à un mur depuis la fin du ballos. Elle reporta seulement son attention sur mon père quand la danse débuta.

  En rythme avec les autres cavaliers, je guidai Lunixa durant quelques passes, puis nous nous séparâmes pour changer de partenaire. Elle passa alors entre les mains du Duc Solski tandis que je me retrouvais en compagnie de la Comtesse Sneg. Comme avec ma belle Illiosimerienne, j'eus à peine le temps de partager une dizaine de pas avec cette femme qu'elle laissa sa place à la Marquise Louloúdi. La Duchesse Aligas succéda à cette dernière, puis la Duchesse Zimnoska s'ensuivit et je dansais ainsi avec une quinzaine de cavalières avant que Valkyria n’arrive devant moi. Au même moment, la musique s'arrêta. Fermant les yeux, elle secoua la tête.

  –Nous y étions presque, déclara-t-elle. Tu m'offres la prochaine danse, à la place ?

  –Te la refuser serait cruel, la taquinai-je.

  Tout en prononçant ces mots, je cherchai Lunixa du regard pour la prévenir. Malgré les nombreux participants, sa chevelure immaculée attira tout de suite mon attention.

  Elle se trouvait entre les mains du jeune Marquis Marcus.

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