Chapitre 44 - Partie 2

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  –Que s'est-il passé cette nuit, ma chérie ?

  Malgré la douceur de son ton, un profond malaise me gagna.

  –Rien... J'ai juste fait un mauvais rêve.

  Sa mâchoire se contracta.

  –Ce n'était pas qu'un mauvais rêve, Lunixa. J'ai dû chercher le médecin pour que tu te calmes cette fois-ci.

  Je voulus détourner le regard, mais il ne me laissa pas faire et empoigna mon menton pour ramener mon visage dans son axe, face au sien. Son regard plongea dans le mien. Mon cœur se serra en voyant la lueur douloureuse qui assombrissait ces magnifiques lacs d’argent liquide.

  –Un médecin, Lunixa, répéta-t-il d'une voix plus insistante. Cela signifie que je ne peux plus t'aider seul.

  –Cela ne se reproduira plus.

  Maintenant qu'Arès était parti, il ne devrait plus hanter dans mes songes. Il le fallait. Si je me laissais penser le contraire, je n'oserais plus fermer les yeux de peur de nous revoir ensemble.

  –Qu'est-ce qui ne se reproduira plus ? demanda Kalor. Ta crise de panique ou tes terreurs nocturnes ? Dans tous les cas, je ne peux te croire. (J'ouvris la bouche.) Non, Lunixa. N'essaye pas de me convaincre ; tu ne peux en être certaine. De plus, quand je repense à ton état cette nuit, à tous les autres soirs où tu t'es réveillée en hurlant, en pleurs et parfois en me menaçant de ton poignard... (Il ferma les paupières et prit une inspiration tendue.) Je sais que ces soucis ne se réglerons pas seul ; il te faut de l'aide.

  Mon pouls eut un soubresaut.

  –Que veux-tu dire par aide ? m'inquiétai-je.

  –Un traitement médical, un psychologue, qu'importe le moyen, tant qu'il te permet de ne plus souffrir. Car je n'y arrive plus, Lunixa. Ce qu'il s'est passé hier, c'était trop. Je ne peux gérer des crises où tu as perdu toutes capacités à différencier cauchemars et réalité ; ce n'est pas de mon ressort. Je peux toujours apprendre les gestes et l'attitude à avoir dans une telle situation, et je compte le faire, mais cela ne suffira pas. Cette instruction me permettra seulement d'intervenir lorsque tu auras une crise ; tu n'en seras pas libéré pour autant. Voilà pourquoi nous allons demander de l'aide à des spécialistes.

  –Je n'en ai pas...

  –Si, ma chérie, tu en as besoin. J'ai fermé les yeux pendant trop longtemps car je pensais que je pouvais m'occuper de toi, alors que c'est loin d'être le cas. Ton enlèvement, l'abandon de tes parents et ta séparation avec ta famille...

  Mon souffle se coupa.

  –Qui t'as parlé de mes parents ? Je ne t'ai jamais dit qu'ils nous avaient abandonnés.

  –Le Général Marcus, nous avons discuté de toi ce matin. (Un maigre filet d'air gagna mes poumons.) Quoi qu'il en soit, tes traumatismes sont trop importants pour être pris à la légères. Et il en va de même pour tes problèmes de poids, ajouta-t-il en me désignant. Tu as du mal à maintenir ta ligne et dès que tu ne manges pas assez, tu fonds comme neige au soleil. Une perte si rapide est aussi anormale que mauvaise pour ton corps ; pourtant, je ne t'ai jamais vu prendre un seul traitement.

  J’aurais dû être touché que Kalor s'inquiète autant pour moi, qu'il ait la force d’admettre qu'il ne pouvait pas tout faire, qu'il chercher à m'aider par tous les moyens afin de s'assurer que je retrouve la santé. Cependant, tous les troubles qu'il évoquaient étaient liées à mes secrets : mes cauchemars se nourrissaient de la peur que la vérité soit découverte et qu'il arrive malheur à mes enfants ; mes pertes de poids fulgurante étaient apparues avec mon pouvoirs. Je ne pouvais en parler à personne à part à Magdalena – et uniquement en ce qui concernait ma famille –, et ce n'était certainement pas des traitements qui allaient m'aider à conserver la ligne. Ce problème n'avait rien de médical.

  –Et si je te promets de discuter avec quelqu'un de mes craintes et de me nourrir davantage ? négociai-je.

  Il secoua la tête, l'air navré.

  –Après cette nuit, je préfère que tu voies un spécialiste en plus. Quant à augmenter tes repas, tu manges déjà comme quatre et tu n'as jamais dû dépasser les cinquante kilos. Ce n'est pas suffisant... Même si c'est un bon début, concéda-t-il.

  Il se pencha en avant, récupéra ma salade, puis me la donna sans ajouter un mot, mais le message était clair : mange. Je n'avais toujours pas retrouvé l'appétit, mais je me forçai à reprendre mon repas.

  –Je comprends que cela ne te plaise pas, ma chérie, mais s'il te plaît, essaye de me comprendre. Te voir la peau sur les os, en pleurs après une terreur nocturne, inconsolable... Je ne peux plus. S'il t'arrive quelque chose de grave par que j'ai refusé de mettre ma fierté de côté pour demander de l'aide, je ne me le pardonnerai jamais.

  Le cœur lourd, je terminai mon assiette et passai au dessert, la bouille d'avoine. Le bol fini, je le posai à côté de moi et me mis à jouer avec ma manche, mal à l'aise. Le lourd silence régnait à nouveau le salon, mais aucun de nous ne savait quoi dire pour le combler.

  Quelqu'un toqua soudain à la porte, m'arrachant un violent sursaut. Alors que je portais une main à ma poitrine, Kalor s'enquit de l'identité du visiteur.

  –C'est le docteur Lekarz, Altesses.

  Mon pouls manqua de nouveau un battement.

  Sur l'autorisation de Kalor, le médecin entra, armé de son éternelle sacoche en cuir noir.

  –Altesses, nous salua-t-il en s'inclinant.

  Je me levai et, aidée par Kalor, je rassemblai en vitesse couverts et assiettes pour faire de la place sur la table. J’invitai ensuite le praticien à nous rejoindre.

  –Je vous en prie, fis-je en désignant le second fauteuil.

  –Merci, Princesse. Vous devriez aussi vous asseoir.

  Il n'en fallu pas plus pour que Kalor me reconduise au canapé. Lui, en revanche, resta debout ; il était trop tendu pour se poser.

  –Avait-elle été empoisonnée ? demanda-t-il avant que le docteur n'ait prononcé un mot.

  Je lui jetai un regard en coin, les mains serrées sur ma robe de chambre. C'était ce qu'il avait craint ?

  –Non, répondit l'intéressé. Comme je le pensais, il ne s'agissait que d'une crise de panique ; il n'y avait aucune trace de toxine connue dans son sang.

  Les épaules de Kalor s'affaissèrent imperceptiblement.

  –Bien.

  –En effet, toutefois votre santé m'inquiète, Princesse, déclara le praticien en se tournant vers moi. Vous souffrez de terreurs nocturnes récurrentes, d'une maigreur importante qui renforce vos troubles du sommeil et qui s'accompagne de manque nutritionnel, à l’instar du fer. L'analyse de votre sang a montré que vous étiez anémique.

  Je me mordis la lèvre inférieure et baissai les yeux.

  –Pour toutes ses raisons, continua-t-il, j'aimerai que vous suiviez le traitement que je vais vous prescrire et vous ausculter pour le compléter si besoin.

  Il attendit que je hoche de la tête avant de sortir deux petites bouteilles et des bocaux en verre contenant des herbes ou de la poudre. Une plaque dorée et gravée d'un nom ornait chacun d'entre eux : huile du soleil, complément de fer, de calcium... Le praticien les sépara en deux groupes, isolant l'un des flacons, puis présenta une ordonnance totalement illisible, mais sur laquelle j'arrivais à distinguer des dosages.

  –Après chaque repas, même après l'heure du thé, je voudrais que vous preniez ces compléments, déclara-t-il en désignant le gros groupe de contenants, afin de contrer vos manques et d'atténuer vos terreurs nocturnes. Ensuite, si jamais vous craignez d'en avoir une avant de vous coucher ou s'y vous n'arrivez pas à vous rendormir après en avoir eu une, prenez ce calmant.

  Il désigna la dernière bouteille et j’opinai.

  –Tant que vous n'aurez pas regagné un poids correct, je vous demande aussi de limiter vos activités et de vous reposer car il est primordial que vous retrouviez un physique en bonne santé le plus vite possible. Les effets des compléments sont limités et votre maigreur pourrait être néfaste pour votre grossesse.

  ….

  –Ah, j'allais oublier les herbes contre les nausées, se rappela-t-il

  Il fouilla derechef dans sa sacoche et en sortit un nouveau bocal.

  –Puisque vous semblez souffrir plutôt de nausée du soir, rajoutez-en une pincée dans votre tisane, après le dîner.

  …

  Le médecin nous regarda à tour de rôle et fronça les sourcils.

  –Vous... ignoriez que vous étiez enceinte, Princesse ?

  …

  –Je vois... Je suis navré de vous l'avoir annoncé si abruptement, je pensais que vous le saviez. (Il prit une profonde inspiration.) Votre réaction est tout à fait compréhensible, Altesse. Il s'agit d'un changement de vie majeur, mais tout à fait naturel. La Déesse vous a donné à vous, les femmes, le plus grand de tous les honneurs : le pouvoir de concevoir, porter et donner la vie. Cela peut paraître effrayant, mais vous n'avez rien à craindre. Vous aurez tous les soins et tout le personnel dont vous aurez besoin à votre disposition. Tout se passera bien.

  ….

  –Je pense que je vais prendre congé pour vous laisser le temps de vous faire à cette nouvelle. Vous n'aurez qu'à me convoquer lorsque vous serez prête à passer votre examen.

  ….

  Le médecin se leva, s'inclina, puis disparut.

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