Chapitre 49 - Partie 1

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LUNIXA


  –Frey ? Qu'y a-t-il ?

  Mon malaise s'accentua en entendant l'incertitude dans la voix de Magdalena. Si même celle que Freyja considérait comme une sœur trouvait son expression inquiétante...

  Le regard tranchant de la Guérisseuse glissa vivement vers ma femme de chambre.

  –Rien. Juste une putain de migraine qui vient de commencer.

  –Une migraine ? répéta Frigg tandis que Freyja refermait la porte et accrochait sa cape au porte manteau. Ma Freyji Freyja a une migraine ?

  Cette dernière ne lui répondit pas. Elle traversa la pièce à vivre, passa à côté sans nous accorder la moindre attention, puis posa le panier en osier qui pesait son bras sur le plan de travail. Elle en sortit un bocal en verre qu'elle voulut ranger dans un placard, mais son visage se crispa et elle suspendit son geste. Les traits de Kalor s’assombrirent.

  –Est-tu sûr que ça va, Freyja ?

  –Oui, c'est bon, souffla-t-elle en posant le contenant sur l'étagère. Je ne suis pas en verre. Je ne vais pas me casser.

  –Si, tu vas te briser.

  Tous nos visages se tournèrent vers Frigg. Elle fixait Freyja sans ciller, les yeux grands ouverts.

  –Vous êtes liés. Bientôt, il renaîtra et tu vas souffrir, comme lui. Ce n'est qu'une question de temps.

  Un sourire s'étira lentement sur ses lèvres et elle tourna la tête vers Kalor dans un geste si mécanique qu'il me fit froid dans le dos.

  –Ce n'est aussi qu'une question de temps avant que tu le retrouves, dieu du feu.

  Il haussa un sourcil perplexe alors que Freyja poussait soupir excédé. Elle se massa les tempes, puis abandonna son rangement pour se préparer une tisane.

  –Écoute, Frigg, je n'ai vraiment pas la tête pour écouter ton verbiage, alors s'il te plaît arrête de parler.

  –Mais...

  –Frigg !

  Freyja cingla son nom si sèchement et en frappant si fort le bois du plan de travail que je sursautai avec ma voisine. Magdalena et Kalor la dévisagèrent avec des yeux ronds.

  –Je t'ai dit de te taire, gronda Freyja. Alors tais-toi ou va ailleurs.

  Les traits de Frigg se contractèrent et elle serra les poings sur la table. Ses yeux se mirent à luire, puis elle se redressa d'un coup. Sa chaise tomba à la renverse, mais elle n'y fit pas attention. Alors que le bruit de l'impact claquait à nos oreilles, faisant grimacer la Guérisseuse, elle saisit une poignée de biscuit et les lança sur son dos.

  –Méchante Freyja ! hurla-t-elle.

  Puis elle courut vers l'escalier. Par réflexe, Magdalena se redressa, mais elle ne se lança pas à sa poursuite et la laissa gravir les marches quatre à quatre. Une porte claqua peu de temps après que Frigg eut disparu.

  Un lourd silence s'ensuivit. Je me tournai vers Kalor, tout aussi perdu que moi, puis vers Magdalena qui fixait son amie sans comprendre.

  –Qu'est-ce qui t'as pris ? murmura-t-elle.

  Le dos de la Guérisseuse se voûta.

  –Par la Déesse, grinça-t-elle.

  Elle s'appuya un instant sur le plan de travail avant de nous faire face. Son teint me parut plus pâle que d'habitude et une brillance anormale avaient gagné ses yeux depuis son arrivée.

  –Je suis désolée, Magda. Je ne voulais pas lui crier dessus comme ça. C'est cette migraine...

  Comme si l'évoquer amplifiait la douleur, ses traits se tendirent. Elle pressa sa tempe avec le bas de sa main pour essayer de la faire passer.

  –J'irai m'excuser dès que j'aurais pris ma tisane, souffla-t-elle quand son visage se décrispa. Ça ira mieux après.

  Elle se retourna le temps de préparer la décoction en question. Après avoir remplit une tasse d'eau bouillante, elle prépara une boule à thé avec des herbes médicinales, puis la plongea dans l'eau. Ses maux de tête lui firent plisser les paupières à plusieurs reprises pendant qu'elle touillait dans sa boisson. Était-ce une bonne idée de lui demander de m'examiner alors qu'elle se sentait si mal ? Je désirais plus que tout savoir si j'étais enceinte, mais la voir dans cet état m'inquiétait.

  En jetant un œil aux autres, je constatai que je n'étais pas la seule à me faire du souci. Le corps tendu, prêt à agir, Kalor la surveillait avec attention, comme si elle risquait de s'effondrer à tout moment. Magdalena s'était quant à elle légèrement rapprochée et l'observait d'un air préoccupé.

  –Je vous ai dit que ça allait, assura Freyja en retirant la boule à thé. Pas besoin de me fixer comme ça.

  Elle tapota sa cuillère sur le bord de la tasse, puis se tourna vers nous.

  –Bon, quelqu'un peut m'expliquer ce que vous faites-là ? Magdalena m'a juste dit que vous aviez besoin de moi et que c'était urgent. Elle n'a pas été plus spécifique.

  Je lançai un regard incertain à Kalor. Freyja claqua sa langue dans sa bouche.

  –Allez, crachez le morceau. Plus vite nous en aurons fini, plus vite vous repartirez et plus vite je pourrais me reposer.

  Kalor l'étudia à nouveau et l'hésitation contracta sa mâchoire, mais il finit par se lancer.

  –Quand tu as examiné Lunixa après son enlèvement, nous avons discuté de son important problème de pudeur et tu as dit qu'il pourrait l'amener à faire des choix dangereux, comme dissimuler un accouchement. Était-ce ta façon de me dire qu'elle est enceinte ?

  La tasse s'arrêta à quelques centimètres des lèvres de Freyja. Une seconde passa, puis elle releva la tête, sourcils froncés.

  –De quoi parles-tu ? Pourquoi t'annoncerais-je ça avec un message pareil ? Plus nébuleux, tu meurs. Si elle était enceinte, je vous l'aurais dit, tout simplement.

  Une brusque goulée d'air gagna mes poumons et ceux de Kalor.

  –Tu n'as donc rien senti quand tu m'as auscultée ? soufflai-je.

  –Senti quoi ? grimaça-t-elle avant de prendre une première gorgée.

  –Un bébé, répondit Kalor. Le docteur Lekartz, le médecin du palais, nous a annoncé sa grossesse pas plus tard que ce midi.

  Freyja cessa de boire et haussa un sourcil dubitatif.

  –C'est une blague ? (Nous secouâmes la tête.) Sur quoi s'est-il basé ? L'absence de règle ? Après un traumatisme, ça n'a rien d'anormal.

  –Non, il a effectué un test de grossesse.

  Alors qu'elle allait continuer sa boisson, elle interrompit son geste et son expression se durcit.

  –C'est impossible. Si vous aviez été enceinte, Princesse, je l’aurais détecté tout de suite et ça n’a pas été le cas. Et si tu l'avais fécondée après mon examen, Kalor – ce qui, je le rappelle, n'est pas prêt d'arriver avant un moment –, le résultat aurait été négatif. L'analyse n'est sensible qu'à partir de quatre semaines.

  –Il m'a dit que ça faisait deux mois, glissai-je.

  –Il a dû inverser votre test avec celui d'une autre. C'est la seule explication.

  Kalor la contredit d'un geste de la tête.

  –Seuls les analyses de notre famille sont réalisées au palais.

  Freyja prit une inspiration tendue et me scruta avec sévérité.

  –Se pourrait-il que tu ne l'aies pas remarqué ? intervint Magdalena.

  –Ou plutôt qu'il s'agisse d'un faux positif ? contrebalançai-je.

  –Non pour votre question, Princesse. L'analyse est infaillible à partir du premier mois. En revanche, il se peut tout à fait que j’ai manqué l'embryon. Cependant, si c’est bien le cas, il y a un problème. En plus de celui de la paternité.

  Une vague de chaleur échappa à Kalor, mais il ne fut pas le seul dont la température grimpa en flèche. Mes joues s'échauffèrent brusquement à ces mots.

  –Kalor est le seul à m'avoir touchée ! m'exclamai-je.

  –Lunixa...

  Je l'incendiai du regard.

  –Ne recommence pas.

  Une flamme s'embrassa dans ses yeux et il se releva d'un coup, me dominant de toute sa hauteur.

  –Tu crois que ça me plaît de songer à la possibilité qu'un autre ait pu profiter de toi ? La simple idée me met hors de moi ! Cependant, je suis un Lathos, toi une humaine et notre première fois remonte à seulement quatre mois. Alors si tu es vraiment enceinte, c'est la seule...

  –Stop ! cria Freyja. Arrêtez tout de suite de vous hurlez dessus ou je vous fous à la porte.

  Toujours remontée, je me détournai de Kalor avec difficulté pour lui accorder mon attention. Mon emportement retomba aussitôt. Les traits déformés par la douleur et les dents serrées, elle appuyait avec force sur sa tempe. Elle me semblait encore plus pâle qu'avant.

  –Frey ? l'appela Magdalena d'une voix posée, en total contradiction avec l'inquiétude qui obscurcissait le saphir de ses yeux. Tu devrais t'asseoir.

  –Non, c'est bon. Cessez juste de hurler.

  La Guérisseuse vida sa tasse, puis se décolla de son appui.

  –Allez vous allonger sur le canapé, Princesse, qu'on comprenne enfin ce qu'il en est.

  Et sans me laisser le temps de répondre, elle se dirigea dans le salon. Même avec sa robe, son pas mal assuré me sauta aux yeux.


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