Chapitre 50 - Partie 2

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  Les mains de Kalor se figèrent à deux centimètres de la cuvette, de concert avec Magdalena et moi. Sa mère nous observa à tour de rôle, puis elle haussa les épaules, posa les affaires sur la table de nuit et repartit comme si de rien n'était. Le bruit de la porte nous ramena à nous et nous reprîmes nos soins. Kalor et Magdalena surveillèrent l'évolution de la guérison de la fracture ouverte et alignèrent la jambe de Freyja du mieux possible, afin de la soulager, pendant que je passais un linge frais sur son front. Les mots de Frigg ne cessaient de résonner dans mon esprit. Elle avait bien dit que Freyja allait se briser, juste après que cette dernière avait assurée ne pas être en verre. Ce qu'elle était, à présent. Nous avait-elle parlé de cet événement ? Ou en avait-elle évoqué un autre, semblable, appartenant au futur ou au passé ? Et qu'avait-elle dit d'autre ?

  Une plainte déchirante échappa à Freyja et le poids sur ma poitrine s'alourdit. Elle ne pouvait même plus se débattre pour essayer de chasser la douleur, prisonnière de ce corps dont elle avait perdu presque tout contrôle. Les yeux brillant, Magdalena effleura sa joue. La Guérisseuse lui adressa un semblant de sourire.

  –C'est... rien.

  Les lèvres pleines de Magdalena se réduisirent en une fine ligne.

  –As-tu la moindre idée de ce qui t'arrive ?

  –Non. La migraine a commencé... cinq minutes avant que j'arrive. Puis elle a augmenté. Augmenté. Augmenté.

  Magdalena se tourna vers Kalor, les yeux remplis de questions. Il était le seul, ici, à pouvoir peut-être lui apporter un semblant de réponses.

  La mâchoire crispée, il lui jeta un rapide coup d'œil avant de concentrer sur Freyja.

  –Comment tu te sens ?

  –Mal...

  Il se dérida un instant, le temps de lui accorder un sourire compatissant, puis retrouva un air grave.

  –Et que ressens-tu exactement ? Tu ne délires pas et tu peux encore utiliser tes pouvoirs de Guérisseuse. Tu n'as donc définitivement pas été empoisonnée à l'havankila. Et je ne sais pas si tu l'as déjà été par le passé, mais si c'est le cas, est-ce que tu ressens la même chose ?

  –Non, ça... Ça ressemble plutôt... à l'Ascension.

  –L'Ascension ? répétai-je.

  –Le moment où le pouvoir d'un élément choisit son nouvel hôte et fait de lui un Élémentaliste, me répondit Magdalena alors que le regard de Kalor s’acérait.

  –Vous... Ces pouvoirs ne se déclarent pas en même temps que les autres, à vos huit ans ?

  Comme ils avaient seulement évoqué cet âge pour l'éveil de leur nature, l'idée qu'il puisse y avoir une différence entre leurs capacités héréditaires et élémentalistes ne m'avait jamais traversé l'esprit.

  –Non, quand son hôte meurt, l'élément en choisit normalement un nouveau entre dix et douze ans, m'expliqua distraitement Kalor. (Il se pencha vers sa pair, prenant appuis sur le matelas.) Comment as-tu vécu la tienne ?

  Freyja inspira avec difficulté.

  –Migraine grandissante, intense... Fièvre... Nausées... Ossature fragile... L'impression de ne pas être complète avec ce manque... Ce manque si profond, insupportable.

  Mon estomac se noua un peu plus à chaque détail – chaque tourment – qu'elle ajoutait. Cela n'avait rien à voir l'éveil de leur propre capacité, qui se déroulait de façon tout à fait naturelle et sans souffrance, si j'en croyais ce qu'ils m'avaient raconté des mois auparavant. Pour devenir Élémentaliste, Freyja semblait avoir souffert le martyr.

  Et Kalor aussi.

  L'éclat qui naquit dans ses yeux me fit comprendre que tous ces symptômes, à part la fragilité osseuse, lui parlaient. En particulier le manque insoutenable qu'elle venait de citer.

  –Et tu ressens tout ça, maintenant ? lui demanda-t-il.

  –Oui, tout... Mais le manque.... Il... Il est là, sans être là. C'est... très étrange.

  Kalor tiqua à cette précision. Son regard se perdit un instant dans le vide avant de revenir brusquement parmi nous. La température de son corps augmenta d'un coup. Mon cœur bondit dans ma poitrine. Cela lui parlait ?

  –Altesse ? murmura Magdalena.

  Une autre vague de chaleur lui échappa et l'espace d'une seconde, ses yeux argentés virèrent à l'orange.

  –Je crois bien qu'une chose similaire est arrivée à Lokia, cinq mois avant l'arrivée de Lunixa. Je n'étais pas là au moment des faits, mais de ce qu'elle m'en a raconté, cela concorde. Elle aussi avait eu une migraine croissante avant de perdre le contrôle et elle a aussi eu l’impression de revivre son Ascension, mais avec le manque présent et absent à la fois... Elle disait avoir senti sa présence, mais pas le besoin de le combler. Est-ce aussi ton cas ?

  Freyja acquiesça.

  –C'est... (Elle grimaça.) C'est exactement ça.

  Une lueur d'espoir naquit dans le regard de Magdalena.

  –Que lui était-il arrivé ?

  –Je l'ignore, avoua avec difficulté Kalor. Nous ne l'avons jamais su... Nous sommes si rares que nos pouvoirs sont entourés de nombreuses de zones d'ombres. Même notre Ascension n'est pas bien connue.

  Il serra les poings sur le matelas jusqu'à ce que ses jointures blanchissent, puis il se redressa d'un coup, les yeux brûlants de colère.

  –Des demi-dieux, tu parles ! trancha-t-il. Nous ignorons presque tout de ce que nous sommes. (Il fit quelque pas et se passa une main irritée dans ses cheveux.) Bon sang, qu'est-ce que ça peut bien être ? Normalement, seul l'havankila devrait nous faire perdre le contrôle et ce qu'elle a décrit n'a rien à voir... Des sensations similaires à notre Ascension, mais sans le besoin de combler le vide... À ce moment-là, c'est pourtant l'une des pires sensations. Il nous ronge de l'intérieur, aspire notre énergie, cherche à se remplir...

  –C'est normal qu'elle n'en souffre pas vraiment, déclara Frigg, elle ne ressent que l'écho du gouffre.

  Mes yeux s'agrandirent en la voyant sur le seuil de la chambre, une bouteille de vin et des coupes à la main. Sous nos regards ahuris, elle posa le tout sur le buffet et commença à remplir les verres.

  –Sé… Sérieusement, Frigg ? souffla Freyja.

  –Maman, s'il te plaît, l'arrêta Magdalena. Ce n'est vraiment pas le moment.

  –Bien sûr que si. Il faut fêter sa renaissance.

  Elle nous refit face, ses lèvres fendues d’une expression aussi mystérieuse que l’éclat de ses yeux rayonnaient de joie, et brandit sa coupe.

  –Le dieu de la terre est mort. Vive le dieu de la terre !

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