Chapitre 53 - Partie 3

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  Je me retournai d'un bond en étouffant un cri. La mère de Magdalena se tenait à côté de la porte, mon solitaire entre les doigts.

  –Par la Déesse, Frigg...

  Mon cœur avait failli s'arrêter.

  Alors que j'y portais une main, elle me sourit, puis s'approcha de moi.

  –Elle est jolie, déclara-t-elle en observant le diamant. Une jolie bague pour une jolie Créatrice.

  Mon sang se glaça. Paniquée à l'idée que quelqu'un l'ait entendue, je me tournai vivement vers le couloir. La porte qui le séparait du palier eut beau s'avérer close, mes muscles se relâchèrent à peine.

  Indifférente à mon trouble, la mère de Magdalena me rendit le solitaire avec un grand sourire. J'eus toutes les difficultés du monde à le passer à mon doigt à cause de ce coup de frayeur.

  –C'est le dieu du feu qui te l'a donné ? s'enquit-elle quand j'y parvins enfin.

  –Non, je me le suis acheté seule.

  –Oh, j'ai dû me tromper. Dans ma tête, il va te mettre une bague. Une bague qui compte beaucoup beaucoup.

  –Mon alliance ?

  –Oui ! s'exclama-t-elle. L'alliance, c'est ça ! Au début tu l'aimais pas. Puis après tu l'aimeras beaucoup et tu voudras plus la retirer.

  Ma tension se relâcha et je ne pus m'empêcher de sourire.

  C'est déjà le cas.

  –Moi aussi j'aime bien le dieu du feu, tu sais, poursuivit-elle. Même s'il est pas très stable et qu'il dit des bêtises, je l'aime bien. Il est gentil.

  –Des bêtises ?

  –Hum, oui. L'histoire sur Néant et Créatrice.

  Je fronçai les sourcils, perdue, puis mon cœur s'emballa tant qu'il menaça de jaillir de ma poitrine quand je compris.

  –Les deux Lathos funestes du mythe... Ce sont le Néant et la Créatrice ?

  Frigg opina et je sentis le sol se dérober sous mes pieds. Le visage de l'Horloger et du Télékinésiste qui m'avait agressé pour avoir vu mes pouvoirs en action emplirent brusquement mon esprit. Je revis la haine déformer leurs traits, les réentendis cracher le mot « Créatrice », ressentis leur envie de meurtre, perçus à nouveau leur empressement de mettre fin à mes jours... avant que je ne mette fin aux leurs.

  Mes jambes devinrent si faibles que je dus m'appuyer au lavabo pour rester debout.

  –Non, ce n'est pas vrai. Je... Ce sont justes les personnages d'une légende. Ils ne sont pas réels.

  –Bien sûr que si qu'ils le sont ! me contredit Frigg, les poings sur les hanches.

  Mon pouls devint complètement fou.

  –Non. (Je secouai la tête, désespérée.) Vous vous trompez. C'est impossible. Je ne peux pas...

  Je ne peux pas abriter un pouvoir qui a pour seul désir d'éradiquer les Lathos.

  –Pas quoi ? demanda Frigg. (Je n'arrivai presque plus à respirer.) Créatrice ?

  –Ne m'appelez pas ainsi !

  Ses lèvres retombèrent et elle écarquilla les yeux en reculant d'un pas. Haletante, je la dardai d'un regard aussi désespéré qu'impétueux.

  –Ne... Ne m'appelez ainsi, répétai-je. Je... Je ne suis pas... Je ne suis pas ce monstre.

  Alors que ma voix se brisait à ce mot, Frigg fronça les sourcils, troublée.

  –Pourquoi tu me dis ça ? Je sais très bien que tu n'es pas un monstre.

  Je me figeai et la dévisagea, perdue. Mon hébétude lui rendit le sourire.

  –Bah oui ! Ma tête est peut-être toute cassée, mais moi je sais la vérité. Je sais que l'histoire a été déformée et qu'elle est pleine de bêtises.

  Je savais que Magdalena nous avait conseillé de ne pas faire attention à ce qu'elle disait, mais en cet instant, je me raccrochai aux paroles de sa mère comme un naufrager à sa planche de salut. Si je ne le faisais pas, j'allais définitivement sombrer. À la simple idée que je puisse être l'hôte d'une entité souhaitant du mal à Kalor...

  Et puis, Frigg ne nous avait-elle pas montré à plusieurs reprises que ses verbiages n'étaient pas aussi insensés qu'ils en avaient l'air ? Ma grossesse nerveuse, Freyja... Si je parvenais à guider ses pensées, à déceler la vérité de la folie…

  M'appuyant autant sur ces maigres convictions qu'au lavabo, je me redressai.

  –Qui sont-ils, alors ?

  Elle pencha la tête sur le côté.

  –Qui ?

  –La Créatrice, Syriane, Enkelion et le Néant. Tous ceux qui terrifient les Lathos.

  –Oh... Enkelion est Néant. Syriane est Créatrice et elle est toi. Tu es Siryane. Tu es Créatrice. Vous devez vous retrouvez.

  –Mais qui sont-ils ? insistai-je. Ou que sont-ils ?

  Un air espiègle des plus mystérieux gagna ses traits. Glissant les mains dans son dos, elle se hissa sur la pointe des pieds. Son souffle caressa mon oreille.

  –Des dieu, murmura-t-elle. Vous êtes des dieux. Des dieux faits de chair. Tu es la déesse et il te faut retrouver le dieu.

  Une déesse et un dieu ?

  –Comme les Élémentalistes ?

  Frigg dodelina de la tête tandis que ses lèvres s'étiraient encore plus.

  –Hum, oui et non.

  –C'est à dire ? Nos pouvoirs sont-ils régis par les mêmes lois ? Choisissent-ils leurs hôtes ? Si Néant meurt, vais-je souffrir de sa renaissance ? Et qu'en est-il de la véritable personnalité qu'ils sont censés posséder ? Était-ce l'une des bêtises de l'histoire ?

  –Oui, ils sautent aussi d'hôte en hôte, mais il y a pas d'Ascension ; non, non, pas pour eux. Et non, les personnalités, c'est pas une bêtise. Ils vivent toujours à travers les pouvoirs.

  Mon visage se vida de toutes couleurs. Il y avait donc vraiment une entité dotée de conscience… en moi ? Mais dans ce cas…

  –Pourquoi je ne la sens…

  –Lunixa ? (J'eus un violent sursaut.) As-tu trouvé ta bague ?

  Je n'eus pas le temps de répondre ni même de penser quoi répondre, que Frigg se planta soudain juste devant moi. J'eus un brusque mouvement de recul. Elle ne souriait plus, n'affichait plus le moindre air espiègle, mais cela n'avait rien à voir avec son moment de lucidité. La lueur de folie dans son regard…

  –Même si tu es une Stracony, tu ne dois pas mourir, Créatrice. Comme les Karkydas croient l'Imposteur, cache tes pouvoirs. Ne les montre qu'à Enkelion. Tu le reconnaîtras immédiatement. (Elle écarquilla tant les yeux qu'ils semblèrent sur le point de jaillir de leurs orbites.) Ses yeux sont plus noirs que les ténèbres d'un gouffre sans fond, son souffle plus froid que la mort et sa voix plus profonde que les profondeurs de la terre. Mais n'es crainte. Il t'aime plus que le monde et fera tout pour te retrouver.

  Pétrifiée par la peur, je ne bougeai pas, le bord du lavabo mordant douloureusement mes reins. Frigg me fixa encore un instant, puis, lentement, elle recula et ses lèvres se soulevèrent. Au moment où elle retrouvait l’expression mutine qui la caractérisait tant, la porte au fond du couloir s'ouvrit.

  –Lunixa ?

  L'air gagna d'un coup mes poumons. Alors que Kalor traversait le corridor à grandes enjambées, je tentai de reprendre possession de mon corps, de chasser l'effroi qui gelait mes veines, en vain. J'avais à peine retrouvé le contrôle de mes membres qu'il arriva. Mon expression effrayée lui sauta aussitôt aux yeux. Un battement plus tard, il était à mes côtés.

  –Ma chérie ? Qu'y a-t-il ?

  –Je...

  Un rire retentit dans le coin de la pièce.

  –C'est moi qui lui ai fait peur, déclara Frigg. J'ai fait les grands yeux qui font peur et j'ai fait croire que j'allais jeter la bague par la fenêtre.

  L'incrédulité entrouvrit mes lèvres alors que Kalor lui lançait un regard courroucé. Loin de s'en formaliser, Frigg rit de plus belle. Entre deux éclats, elle mima le visage dénué d'expression au regard fou qu'elle avait affiché devant moi un instant plus tôt, puis sortit de la pièce en courant, manquant de heurter sa fille. Juste avant de disparaître vraiment, je la vis tourner la tête vers moi et m'adresser un clin d'œil.

  –Qu'a-t-elle encore fait. ? déplora Magdalena.

  –Elle s'amusait à faire peur à Lunixa, répondit Kalor.

  Ma femme de chambre ferma les paupières et un soupir tendu lui échappa.

  –Je suis navrée Madame. Je vais lui demander de ne plus recommencer.

  –Me... (Je déglutis avec difficulté.) Merci.

  Kalor passa une main réconfortante dans mon dos.

  –Allons, ma chérie, respire. Tout va bien. Ce n'était qu'une plaisanterie de mauvais goût.

  Je lui obéis et cette nouvelle goulée d'air me ramena brusquement à moi. C'était comme si je venais de crever la surface de l'océan de peurs dans lequel m'avait plongé Frigg

  Rassemblant mes esprits, je repoussai cette mer aussi étouffante qu'inquiétante et posai enfin les yeux sur Kalor. Un sourire fendit ses lèvres. Je le lui rendis, de façon bien maladroite, puis acceptai son soutien et le laissai me reconduire dans l'entrée. Au moment où Magdalena nous ouvrit la porte, sa mère sortit la tête de la cuisine. Tous mes muscles se bandèrent.

  –À bientôt dieu du feu, dit-elle, appuyée par de grands signes de la main. À bientôt Silencieuse. Revenez vite ! Je vous aime bien.

  Kalor la salua pour nous, puis m'emmena dehors.

  J'avais été terrifié à l'idée d'être un monstre et avait vu en Frigg ma planche de salut, mais sa vision des choses n'avait rien de plus rassurant.

  Qui était vraiment Enkelion et Syriane et que me voulait ce dernier ?

  « Il t'aime plus que le monde et fera tout pour te retrouver. »

  Un frisson dévala mon échine au souvenir de ces mots. Encore une fois, les réponses à mes interrogations ne m’avaient apporté que davantage de questions. Et je n'étais même pas sûre de la fiabilité de ces informations !

  D'une façon ou d'une autre, je devais en savoir ce qu'il en était. En particulier concernant la transmission de mon pouvoir. Car si Frigg avait dit la vérité sur ce point, alors mes enfants n'avaient rien à craindre.

  Mes capacités n'étaient pas héréditaires.

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