Chapitre 56 - Partie 3

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  Du haut de son mètre quatre-vingts, Thor n'était pas aussi imposant que Kalor, pourtant sa simple présence suffisait normalement à attirer tous les regards. Tout en lui transpiraient le respect, la droiture, la prestance, le pouvoir.

  Aujourd'hui, avec ses épaules voûtées, son teint blafard et sa détresse, il n’avait plus rien d’un futur Roi. Il avait plutôt l’air d’un enfant victime de sa plus grande frayeur. Il avait beau n'avoir jamais connu sa mère, il savait très bien que celle-ci était morte pour lui donner la vie et maintenant que sa femme traversait la même épreuve, il ne pouvait s'empêcher de craindre que le même destin funeste ne l'attende.

  Prenant une profonde inspiration, je descendis les cinq marches et le rejoignis.

  –Elle n'aurait jamais dû tomber enceinte, murmura-t-il lorsque je m'arrêtais devant lui. Cela la faisait souffrir, mais au moins, elle ne risquait rien.

  –Thor...

  –Elle ne peut pas... Je ne le supporterai pas...

  Son souffle se détraqua encore plus.

  –T...

  –Si elle perd la v...

  –Thor !

  Un spasme le secoua et ses yeux perdus revinrent sur moi. L'intensité de mon regard harponna le sien aussi sûrement qu'une flèche aurait frappé sa cible.

  –Mathilda a effectivement eu des complications à cause de son décollement du placenta, mais cela ne veut rien dire. Elle n'est pas votre mère, Thor. Il s'agit de votre femme et elle a besoin de vous. Maintenant plus que jamais. Ne la laissez pas traverser cette épreuve seule.

  Si mes mots l'impactèrent, rien n'en témoigna. Mon beau-frère resta parfaitement immobile, à me fixer sans ciller, même quand la gynécologue annonça que sa femme était presque prête. Je m'attardai encore quelques secondes auprès de lui, espérant qu'il réagisse et se précipite enfin à ses côtés, mais il n'en fit rien. Le cœur lourd, je finis par le laisser en proie à ses peurs les plus profondes et regagnai la chambre.

  Le poids sur mes épaules augmenta en voyant Mathilda secouer la tête, les joues humides de larmes.

  –Non, il... Il faut attendre un peu... Ce... Ce sera sûrement son seul... son seul enfant... Il doit être...

  Une contraction horriblement longue étouffa la fin de sa plainte. Ne supportant plus de la regarder ainsi sans rien faire, je revins à ma place et lui repris la main.

  –Ce n'est rien, murmurai-je en dégageant les cheveux qui collaient son front transpirant. Nous lui raconterons comment la naissance s’est passée.

  Mathilda étouffa un sanglot.

  –Mais il… il avait dit qu’il serait là. Et j’ai… J’ai besoin de lui.

  Le rideau vola soudain dans la pièce, brusquement écarté par un nouvel arrivant. Surprise, je me tournai vers l'entrée de la chambre et mon cœur bondit dans ma poitrine. Thor se tenait là, en compagnie de Kalor. Ce dernier ne semblait pas très serein, mais, la main posée dans le dos de son frère, il l'aida à avancer jusqu'au lit. Dès qu'elle vit son époux, Mathilda lâcha la sage-femme qu'elle tenait avec son autre main et la tendit vers lui, en pleurs.

  La voir dans cet état sembla réveiller Thor. Le souffle coupé, il accéléra le pas, se détachant de Kalor, et empoigna la main de sa femme avec force.

  –Je suis là, déclara-t-il d'une voix mal assurée. Je suis là, mon amour.

  Alors qu'elle opinait, je reportai mon attention sur Kalor et le remerciai dans un murmure silencieux. Il m'adressa un maigre sourire, puis se retira aussi vite qu'il était arrivé. Deux minutes plus tard, la gynécologue ordonna à Mathilda de pousser.

  Ma belle-sœur s'exécuta alors que mon pouls se lançait dans une course folle, et elle cria à s'en déchirer la voix.

  –Voilà, c'est bien. Vous y êtes presque, Princesse ! Poussez encore ! Une dernière fois.

  Elle obéit dans un hurlement et ses doigts écrasèrent les miens si fort qu'un gémissement m'échappa.

  Puis soudain, un petit cri retentit.

  Mon cœur s'arrêta.

  –Ne tirez pas trop, ordonna une sage-femme, le cordon est autour du cou... Voilà, c'est bon.

  Je ne m'étais même pas rendu compte que j'avais cessé de respirer avant qu'une brusque goulée d'air ne regagne mes poumons. Entre les mains d’une praticienne se trouvait un petit nourrisson à la peau toute fripée et aux gestes saccadés. Des vagissements ininterrompus emplissaient la pièce.

  –Tu l'as fait... Il est né, Mathilda !

  Me lâchant la main, elle porta la sienne à ses lèvres, secouée par des sanglots de joie. Thor, lui, s'était figé, en état de choc.

  –A… Alors ? demanda-t-elle.

  La maïeuticienne s'approcha de nous avec le bébé, que je détaillais avec attention. Comme ses parents, il possédait une chevelure noir corbeau et devait également avoir hérité de leurs yeux bruns. Quant à son sexe...

  –Je crois bien que ce sera Baldr, déclarai-je, la gorge nouée par l'émotion.

  –Baldr ? répéta Mathilda. Un fils ? Nous avons eu un fils ?

  Ses pleurs s’accentuèrent. Un immense sourire aux lèvres, je m'écartai pour laisser la place aux praticiennes. Deux d'entre elles baissèrent le haut de sa chemise de nuit pour dénudée sa poitrine, puis celle qui tenait le bébé le déposa contre sa peau.

  –Oh Dame Nature, sanglota-t-elle.

  La main tremblante, elle caressa ses cheveux plus fins que des fils de soie et un rire lui échappa.

  –Tu es magnifique, mon trésor. (Elle embrassa son front.) Tellement magnifique... Et sa marque ? demanda-t-elle soudain. Où est-elle ? Il doit en avoir une.

  –Elle est juste ici, déclara la gynécologue en désignant les lignes noires qui marquaient la peau du bébé. Sur sa cheville gauche. Il s'agit bien de votre fils, mon Prince.

  Ces mots ramenèrent soudain Thor parmi nous, pourtant, il ne jeta même pas un œil à la tache de naissance. Hébété, il observa l'enfant sans bouger, puis, lentement, il posa la main sur lui. Tout l'air contenu dans ses poumons lui échappa aussitôt.

  –Tu l'as fait... Tu l'as vraiment fait, Matty.

  Sa femme rit et pleura de plus belle en même temps.

  Je me sentais soudain de trop ici. Ce moment, il l'avait attendu pendant presque toute leur vie et j'avais l'impression d'interférer dans leur bonheur en en étant témoin.

  Alors, sans un bruit, je m'éloignai, quittai la chambre, puis les appartements.

  Valkyria, Kalor, leurs parents et de nombreux nobles arpentaient le couloir de long en large, dans l’attente. En me voyant sortir, tous se figèrent. Un immense sourire fendit mes lèvres, accompagné d'une larme de joie.

  –Ils vont bien... Ils vont tous très bien et un petit garçon vient de rejoindre la famille. Un magnifique garçon nommé Baldr.

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