Chapitre 64 - Partie 1

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LUNIXA


  Magdalena revint m'apporter mon petit-déjeuner alors que les premières lueurs de l'aurore n'avaient pas encore traversé le voile de la nuit. Un maigre sourire souleva le coin de mes lèvres à la vue du grand café qu'elle m'avait apporté. Après que Kalor avait prévenu Valkyria pour le Marionnettiste et tout ce qu'il en avait déduit, nous étions finalement retournés nous coucher sans discuter. Kalor comptait retrouver son informateur le lendemain et sa sœur nous avait fait remarquer qu'il valait mieux attendre qu'il en sache plus sur la situation avant d'en parler ; autrement, nous allions perdre notre temps à passer en revue tous les scenarii possibles et inimaginables. Quand bien même nous voulions trouver au plus vite un moyen d'arrêter le Marionnettiste, personne n'avait remis en question la justesse de ses mots. Nous avions ainsi seulement convenu de redoubler de vigilance, et de nous assurer régulièrement de l'identité des uns et des autres avant que Valkyria ne parte, non sans lancer un dernier regard à Magdalena et prévenir Kalor qu'une conversation privée les attendait. Ma camériste avait pris congés quelques minutes plus tard.

  Si Kalor avait fini par s'endormir après leur départ, cela n'avait pas été mon cas. Je n'avais cessé de me retourner, incapable de repartir dans les bras de Morphée. Dès que je fermais les yeux, je me voyais une dague à la main, surplombant Baldr dans son landau. Parfois la lame était couverte de sang et le corps de mon feuil, sans vie. N'en pouvant plus, j'avais fini par m'installer sur le canapé, un livre à la place de cette maudite arme entre les mains. J'aurais pu prendre un calmant, mais ils m'embrouillaient trop l'esprit et je ne pouvais me permettre d'être dans un état second en ce moment.

  Lorsque Kalor se réveilla, une petite heure après l'arrivée de Magdalena, il ne sembla pas s'étonner de me retrouver derrière le paravent, presque apprêtée. Il était tout juste six heures du matin.

  Avec un sourire compatissant, il se glissa à mes côtés, puis embrassa ma tempe. Ce simple contact apaisa enfin un peu de ma tension. Fermant les yeux, je glissai mes doigts dans ses cheveux pour l'inciter à attarder ses lèvres sur ma peau.

  –Tout va bien se passer, murmura-t-il. Je vais aller voir mon informateur et nous pourrons enfin chercher un moyen d'empêcher Ulrich de vous nuire.

  –Puis-je venir avec toi ?

  Il s'écarta, puis avisa ma tenue. Une tenue d'équitation. Son hésitation ne dura qu'une seconde.

  –Bien sûr.

  Après un autre baiser, il se rendit dans ses propres appartements pour prendre son petit-déjeuner et se préparer. Une demi-heure plus tard, nous enfourchions nos montures sous couvert d'une balade en couple. Ainsi, personne ne se demanderait où nous étions passés.

  M'éloigner du palais, de Baldr, délesta un autre poids de mes épaules et j'eus enfin l'impression de respirer pour la première fois depuis l'annonce de Kalor. Ce soulagement ne lui échappa pas. Il m'offrit un sourire, puis ajusta l'allure de Skinfaxi afin que nous chevauchions côte à côte. Sa présence, les doux rayons du soleil levant et la brise fraîche sur mon visage, la traversée de la forêt et de la ville commençant tout juste à s'éveiller... Nous ne prononcions pas un mot, mais cette chevauchée silencieuse me faisait un bien fou.

  L'incrédulité la plus totale remplaça soudain cette sérénité quand nous nous engageâmes sur le chemin donnant chez Magdalena. La maison était envahie par la végétation. Du lierre courait sur toute sa façade et le toit, la pelouse s'élevait au-dessus du rebord des fenêtres, les rosiers se propageaient dans tous les sens, les arbres avaient trop de fruits, étaient trop feuillus... Que s'était-il passé depuis mon dernier passage ? Des années, et non quelques semaines, semblaient s'être écoulées.

  –Kalor ?

  N'obtenant aucune réponse, je lui jetai un coup d'œil et surpris ses yeux aussi écarquillés que les miens.

  –Oh Dame Nature, souffla-t-il finalement. Qu'ont-ils fait ?

  –Ils ?

  Un instant passa, puis le sens de ce mot me frappa. Mon souffle se coupa.

  –Attends, tu veux dire que....

  Je n'eus pas le temps de développer le reste de ma pensée qu'une Frigg toute échevelée jaillissait à l'angle de la maison, au milieu des hautes herbes. Sa robe de chambre avait glissé de son épaule droite et elle tenait le bas de sa chemise de nuit à hauteur de hanches pour transporter de nombreuses pommes.

  Par la Déesse...

  Je poussai ma monture au galop, imitée par Kalor, alors le visage rayonnant de Frigg s'illuminait davantage. Comme toujours quand elle nous apercevait.

  –Silencieuse, tu es revenue !

  Elle courut vers le portail.

  –Tu as vu ? Tu as vu comme le jardin est beau ! J'ai cueilli plein de pommes.

  Elle remonta encore plus le bas de son vêtement pour me présenter son butin. Sautant presque de selle avant que Nattsvart s'arrête, je confiai les rênes à Kalor et m'empressai de la rejoindre. Elle m’accueillit avec cet immense et innocent sourire qui lui était propre.

  –Tu veux m'aider à en cueillir ? Il y en a encore plein !

  Sans attendre ma réponse, elle pivota sur ses talons, prête à gambader vers le pommier. Je la retins d'une main sur l'épaule.

  –Et si nous allions déjà mettre celles-là dans le panier à fruits ? lui proposai-je en rajustant sa robe de chambre pour la couvrir du mieux possible. Tu en as déjà beaucoup.

  –Oh oui, tu as raison !

  Elle sautilla vers la porte d'entrée. Je jetai un rapide coup d'œil à Kalor pour lui faire comprendre que j'avais la situation en main avant de la suivre, le laissant conduire nos chevaux dans le petit enclos au fond du jardin. À l'intérieur aussi, la végétation avait repris ses droits : toutes les plantes en pots avaient anormalement poussé en quelques semaines.

  Je fixais celles sur le buffet, qui semblaient s'être le plus développées, lorsque Freyja apparut sur le palier de l'escalier. Elle leva les yeux au ciel en découvrant la tenue de la mère de Magdalena.

  –Frigg, soupira-t-elle.

  Tandis que l'intéresser lui montrait sa cueillette, elle dévala les escaliers en se nouant les cheveux à l'aide d'un lien en cuir. Elle posa ensuite une main dans le dos de Frigg pour la pousser jusqu'à la cuisine, où elle transféra les pommes dans le panier à fruits. Je me joignis à elle afin d'en finir au plus vite ; la mère de Magdalena nous regarda faire avec enthousiasme.

  Quand nous en eûmes terminé, Freyja la retint par le bras alors qu'elle se tournait déjà vers la porte.

  –Pas si vite. Tu ne ressors pas dans cette tenue.

  Frigg pencha la tête sur le côté, les sourcils incurvés par l'incompréhension.

  –Pourquoi ?

  –Parce que c'est une chemise de nuit et qu'on ne se promène pas en chemise de nuit dehors, justifia sa fille de cœur en la faisant lâcher l'ourlet de son jupon. Et on remonte encore moins le bas de sa robe pour transporter des fruits.

  –Mais comment je fais alors ? Je peux pas en porter beaucoup avec mes bras. Et il m'en faut beaucoup ! Varmi va bientôt rentrer, alors je vais faire des tartes aux pommes. Il aime beaucoup mes tartes aux pommes.

  Varmi ?

  Les épaules de Freyja s'affaissèrent et un faible sourire adoucit ses traits. Elle posa une main sur sa joue.

  –Je sais qu'il les adore, mais il n'aimerait pas te retrouver dehors, les jambes dévoilées aux yeux de tous, pas vrai ?

  –Bah non, il faut pas les montrer. C'est indécent.

  –Exactement. Alors va t'habiller et prends un panier pour tes pommes. En plus, ça te permettra d'en cueillir plus, ajouta-t-elle dans un murmure, comme s'il s'agissait d'un précieux secret.

  L'ébahissement de Frigg face à cette révélation contribua à cette impression. Elle fixa sa fille de cœur un instant, comme si elle n'en croyait pas ses oreilles, puis détalla vers les escaliers. Freyja la regarda gravir les marches avec tendresse avant de se tourner vers moi.

  –Merci de l'avoir ramenée à l'intérieur, même si peu de monde risquait de la surprendre.

  –C'est normal.

  Le coin avait beau être désert, surtout à cette heure matinale, il y avait toujours un risque que quelqu'un passe.

  –Ce qui ne l'est pas, en revanche, c'est votre présence ici, enchaîna-t-elle sans préambule. Que faites-vous là, toute seule ? (Elle remplit la bouilloire et la mit sur le feu.) Kalor a eu un empêchement et vous a envoyée prendre des nouvelles de son ami à sa place ?

  –Non, nous sommes venus ensemble. Il est simplement en train de mettre les chevaux dans l'enclos.

  –Ah. Parfait. Puisqu'Alaric dort encore, il va pouvoir me filer un coup de main.

  Un battement plus puissant pulsa dans ma poitrine. Ainsi je ne m'étais pas trompée ; le garçon que Kalor avait libéré et son informateur n'était bien qu'une seule et même personne.

  –Tu as besoin d’aide pour le jardin ?

  La question de Kalor, qui venait d’entrer, mit un terme à l'étrange soulagement que je ressentais à l'idée qu'Alaric et lui soient toujours en contact. Une grimace plissa les lèvres de Freyja tandis qu'il nous rejoignait.

  –Oui, pour le jardin. J'aurais dû me douter que la vague d'énergie qui nous a échappé lorsque nous nous sommes reconnus ne s'arrêterait pas aux murs de la maison. De même pour mon manque de contrôle sur le pouvoir de notre connexion. Mais toute cette histoire de résonance m'a épuisé et comme une parfaite idiote, je n'ai pas songé contrôler l'extérieur. (Elle claqua sèchement la langue.) La terre doit être complètement desséchée et vidée de minéraux à présent. Et il faut absolument atténuer les dégâts avant que les voisins se réveillent.

  S'être reconnus ? Surplus de pouvoir ? Connexion ? Résonance ?

  –Quelqu'un pourrait-il m'expliquer ce qu'il se passe, à la fin ? demandai-je en les observant tour à tour.

  Le regard de Freyja glissa vers moi et elle fronça les sourcils.

  –Il ne vous a pas dit ?

  –Dit quoi ?

  –Que mon informateur est le nouvel Élémentaliste de la terre, lâcha Kalor.

  Je le soupçonnais depuis qu’il s’était demandé ce qu'ils avaient fait en découvrant l'état du jardin, mais je pris tout de même une vive inspiration. Kalor me laissa quelques secondes pour digérer la nouvelle avant de poursuivre. Il me raconta tout ce qui était arrivé durant la nuit, dont cette histoire de reconnaissance et de résonance.

  –Désolé de ne te l'apprendre que maintenant, conclut-il. À partir du moment où mon informateur m’a averti pour le Marionnettiste, ce dernier a occupé la moindre de mes pensées.

  –Ce n'est rien, je comprends, murmurai-je en essayant d'assimiler toutes ces révélations.

  Mais mon esprit avait dû mal à les accepter. Lokia, Freyja, Arès... Un nouvel Élémentaliste venait de s'ajouter à la liste de ceux que nous connaissions, ce qui était déjà fort peu probable, mais il s'agissait encore de quelqu'un de notre entourage. C'était à n'y rien comprendre.

  –Devons-nous nous préparer à ce que les Élémentalistes féminin du vent et du feu fassent aussi partie de nos proches ? Comme Magdalena, Valkyria, Frigg ou ta mère ?

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