Chapitre 66 - Partie 1

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KALOR


  Avec l'approche du déjeuner, les rues étaient bien plus animées qu'à notre premier passage. Promeneurs, travailleurs effectuant une livraison ou rentrant chez eux pour le repas, enfants se rendant à la cantine commune du quartier, vendeurs postés devant leur boutique et essayant d'attirer le client... Nombreux furent les habitants à se trouver sur notre route et à s'arrêter pour nous regarder passer. Avec notre trot rapide, je serais certainement passé inaperçu si j'avais été seul, mais même à cette vitesse, Lunixa était immanquable. Les Lumipunkiens n'avaient pas besoin de l'observer deux fois pour la remarquer et la reconnaître. Si de rares regards passèrent de la stupeur au mépris, car l'idée d'avoir une étrangère, une Naulo, au pouvoir en dérangeait certains, la surprise se mua chez la plupart en éclat mêlant joie et respect.

  Je savais que Lunixa était appréciée du peuple, mais en attester de mes propres yeux fit fluctuer l'amertume qui emplissait ma bouche depuis que nous étions repartis de chez Magdalena, la renforçant ou l'atténuant à un rythme chaotique. Les voir sourire sur son passage me rappelait que le monde entier ne souhaitait pas la voir disparaître, mais que cela changerait du tout au tout si la Cause parvenait à ses fins. Son nom, l'estime que la population lui portait, ce qu'elle accomplissait pour le royaume, sa mémoire… Tout ce qui la concernait serait traîner dans la boue sans pitié. Si seulement Alaric avait pu nous éclairer davantage sur les intentions d'Ulrich… Je ne lui en voulais pas de ne pas en avoir découvert davantage – il avait déjà réuni bien des informations en si peu de temps –, mais revenir les mains vides de cette visite me laissait un goût d'échec. À part l'implication du Marionnettiste, nous étions toujours dans le noir complet.

  Malgré le sourire qu'elle adressait aux habitant, je savais que Lunixa partageait ce sentiment d'échec. Surtout qu'elle avait essuyé un second revers avec Frigg. Alors qu'elle arrivait parfois à diriger les pensées tumultueuses de Madame Raspivitch et obtenir des réponses quelques peu sensées, Lunixa s'était cette fois heurtée à un mur de folie. Rien de ce qu'elle avait pu dire n'avait guidé la mère de Magdalena vers des réflexions cohérentes.

  Cette déconvenue rejaillit sur ses traits dès que nous franchîmes le pont à la sortie de la ville et que celle-ci disparut dans notre dos. Ses lèvres retombèrent, la lueur bienveillante dans ses magnifiques prunelles s'éteignit et ses épaules s'affaissèrent. Elle ne chercha même pas à jouer le jeu plus longtemps pour moi ; elle savait que son expression avenante ne m'avait pas berné. Ne supportant pas de la voir ainsi, je me rapprochai d'elle autant que possible.

  –Ça va aller, lui soufflai-je. Nous ne sommes pas complètement démunis, et il nous reste encore quelques pistes à explorer.

  –Lesquelles ?

  –Ma mère et Lokia.

  Ses sourcils se froncèrent.

  –Je croyais que vous deviez effacer toutes traces de vos lettres dès que vous aviez fini de les lire.

  –Un oubli est vite arrivé. Ma mère a peut-être encore quelques missives dans son bureau ; cela ne coûte rien d'aller le vérifier. Et si je ne trouve rien, je peux tenter de la pousser à songer à leur plan, afin que Magdalena puisse le lire dans son esprit. De même avec Lokia.

  L'ombre dans son regard reflua.

  –C'est vrai, admit-elle d'une voix plus déterminée. Je n'aurais jamais cru dire cela un jour, mais j'espère que ton ancienne fiancée va revenir au palais. S'il y en a bien une qui doit être au courant des plans de son père, c'est elle.

  En effet. Contrairement à moi, Lokia avait fait ses preuves et gagné sa place au conseil. Elle était devenue la parfaite partisane. Ulrich pouvait avoir une confiance absolue en elle ; elle ne le trahirait jamais.

  Enfin…

  Après la proposition qu'elle m'avait faite, je n'en étais plus aussi certain. Son offre d'épargner Baldr en échange de la vie de Lunixa allait à l'encontre de la Cause. Son père l'avait-il autorisé à me laisser ce choix, car cela lui permettait de retrouver une certaine emprise sur moi ? Ou Lokia avait-elle vraiment décidé de faire cavalier seule ?




  Avec l'arrivée imminente du baptême, ma mère s'absentait régulièrement de son bureau afin de superviser les préparatifs du palais et de la cérémonie. Cependant, je savais qu'elle n'avait aucun rendez-vous au temple aujourd'hui et même si elle était occupée à l'autre bout du château, il y avait toujours un risque qu'elle revienne chercher des dossiers. Or, il me fallait du temps pour fouiller dans ses affaires. Cela ne me laissait que deux marches de manœuvre : le déjeuner et le dîner.

  Ne pouvant attendre jusqu'au soir pour essayer d'en découvrir plus, je prétextai une urgence à notre retour et, une fois certain que le secrétaire de ma mère était parti manger, je me téléportai dans son bureau. Je m'attaquai sans attendre aux premiers documents qui me tombèrent sous la main. Je n'avais que deux heures devant moi, peut-être moins. Je n'avais pas une seconde à perdre.

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