Chapitre 74 - Partie 2

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  Une coupe presque vide à la main, en compagnie d'un groupe de jeunes femmes, mon ancienne fiancée lorgnait Lunixa avec inimité.

  –Elle ne devrait pas être ici, m'informa Magdalena. Son père lui avait ordonné de ne pas venir.

  Sentant probablement l'attention de ce dernier pesé sur elle, Lokia se tourna vers lui et soutint son regard sans ciller. Mes doigts coururent sur le pied de mon propre verre.

  –Pourquoi ?

  –Car le Marquis se méfie d'elle. Il semble qu'elle se soit ouvertement opposée au plan lorsqu'il lui en a fait part et n'a pas changé d’opinion depuis. Il lui a interdit de venir au baptême pour être certain qu'elle ne lui mette pas des bâtons dans les roues.

  Lunixa ne s'était donc pas fourvoyer ? Lokia avait bien fait cavalier seule lorsqu'elle m'avait proposé de l'assassiner ?

  Mais quel aspect du plan pouvait lui déplaire au point qu'elle, la plus fervente partisane de la Cause, désapprouve son père et chef ? Il comptait se débarrasser de Lunixa, ce dont elle rêvait depuis des mois.

  –Magdalena ?

  –Je ne sais pas.

  Alors qu'une nouvelle vague de chaleur se propageait dans mes veines, le regard de Lokia dériva sur le côté et tomba sur moi. Une seconde passa, puis elle se détourna et quitta ses interlocuteurs. Alors qu'elle se rapprochait du buffet, elle me coula un nouveau regard oblique, lourd de sous-entendu. Je n'avais aucune envie de lui parler, mais après un dernier coup d'œil à Lunixa, je pris à mon tour la direction du buffet.

  –Surveillez ses pensées, Magdalena.

  S'il y avait bien une personne au courant de l'ensemble du plan en dehors d'Ulrich, c'était sa fille.

  Au lieu de rejoindre Lokia, je m'arrêtai à un différent endroit du buffet. Elle voulait me parler ? Soit. Mais ce serait selon mes conditions. Il était hors de question que je lui donne la satisfaction de croire qu'elle n'avait qu'un mot ou un regard à m'adresser pour que j'accours à ses côtés.

  Je ne lui offris pas non plus la satisfaction de vérifier qu'elle me rejoignait. Les yeux rivés sur les coupes et plateaux pleins devant moi, j'attendis sans jeter le moindre coup d'œil sur le côté. Quelques secondes passèrent ainsi avant qu’un murmure ne me parvienne.

  –Pourquoi est-elle toujours en vie ?

  Me forçant à rester calme et sans lui accorder plus d'attention, j'empoignai une coupe.

  –Je t'ai offert un moyen de lui offrir une mort douce, poursuivit-elle. De vous soustraire à des souffrances inutiles. De sauver...

  –Nous soustraire à des souffrances inutiles ? la coupai-je avec sécheresse. Car tu penses que je pourrais lui ôter la vie et ne rien ressentir derrière ?

  –Peut-être pas rien du tout, mais vu ce que tu as fait, ne me fais pas croire que tu tiens autant à elle que tu le prétends.

  –Pardon ?

  Un étrange sourire passa sur ses lèvres.

  –Oui, je suis au courant, murmura-t-elle. Tu reviens à la raison, mon amour, alors laisse-moi t’aider.

  –Je ne sais pas ce que tu t’imagines, mais je ne suis et ne serais plus jamais ton amour.

  J’avais presque craché ses mots, révolté qu’elle ose encore user de ce surnom. Son sourire retomba aussi sec. L’espace d’un instant, elle resta figée, comme si elle n’arrivait pas à croire ce que je venais de dire, puis son visage se durcit. L’air se rafraîchit de concert.

  –C’est pour le mieux, Kalor, je te l’ai déjà dit. Je te l’ai déjà dit. Si tu laisses mon père mener à bien son plan...

  La température chuta encore. À côté de nous, un noble frissonna, puis leva la tête vers les fenêtres. Pinçant les lèvres, Lokia ferma les yeux et pris une lente inspiration. Lorsqu'elle les rouvrit, le froid se résorba et elle posa les doigts sur le pied d'une coupe. Alors qu'elle la faisait glisser vers moi, la pierre d'une de ses bagues se décrocha, tomba dans le vin d'un profond rouge bordeaux et s’y liquéfia. Mon cœur pulsa avec violence.

  –C'est ta dernière chance, Kalor. Si tu ne le fais pas pour toi, fais-le pour elle et ton neveu. Il survivra et elle ne souffrira pas avec cela ; je te le promets.

  Une telle rage s'empara de moi, que je pivotai d'un coup vers elle et lui arrachai le verre des mains.

  –Ja-mais !

  Je ne fis qu'articuler ce mot, mais la colère me brûlait tant que ce fut comme si je l'avais hurlé. Un éclair de douleur traversa le visage de Lokia, juste avant que ses yeux s’obscurcissent et ne virent au bleu glace. La température chuta de nouveau, ma gorge s'assécha.

  La tension entre nous devint si forte qu’une noble qui s’approchait de nous ralentit le pas.

  –Mademoiselle, hésita-t-elle en glissant son bras sous celui de Lokia. Vous devez vous reprendre, votre père vous demande. Et vos yeux...

  Ces derniers retrouvèrent leur couleur naturel mais ne me quittèrent pas.

  –Kalor..., commença Lokia sur un ton de mise en garde.

  Sans plus me soucier d'attirer les regards, je jetai la coupe par terre. Un hoquet de stupeur échappa à la foule et couvrit le bruit de verre brisé tandis que Lokia cessait de respirer.

  Un silence tendu passa avant que je ne reprenne mes esprits.

  –Oh, quel maladroit. Quelqu'un pourrait-il appeler un domestique ?

  Pendant qu'une servante accourait avec une balayette et de quoi éponger le vin, la partisane éloigna Lokia sans attendre. Mon ancienne fiancée me fixa jusqu'à disparaître derrière les convives. L’attention de ces derniers continua toutefois de jongler entre l'endroit où elle s'était tenue et moi. En réponse à leurs interrogations silencieuses, je leur offris un sourire avenant et leur présentai ma coupe pour leur souhaiter une bonne réception. Puis, comme si de rien n'était, je me refondis à mon tour au milieu d'eux.

  Déesse merci, personne ne chercha à en savoir plus, car à l'intérieur de moi, le feu était à deux doigts d'échapper à mon contrôle.

  –Par pitié, Magdalena, dites-moi que vous avez quelque chose.

  Seul le silence me répondit. Sentant mon pouvoir gagner mes yeux, je fus forcé de m'arrêter et de les fermer.

  –Je suis navré, Altesse, s'excusa-t-elle alors que je luttais pour retrouver mon calme. Elle n'arrêtait pas de se dire que vous deviez tuer votre femme avant que son père ne mette la main sur elle et elle pensait également à votre mariage. Pour elle, vous ne pourrez jamais vraiment lui appartenir si vous ne vous occupez pas de votre épouse. Et elle refuse d'être le second choix. Elle désire être la seule et unique femme à vos yeux.

  –Elle devrait pourtant savoir que je suis incapable d'un tel geste !

  –Il se trouve qu'elle a appris votre passage au quartier des plaisirs, le soir où vous êtes allé récupérer Madame, m'informa Magdalena. Quelqu'un vous a reconnu dans les allées.

  L'espace d'un instant, mon cœur s'arrêta à l'idée que Lunixa ait aussi été reconnue. Mais cette peur s'envola aussi vite qu'elle ne m'avait gagné. Si c'était le cas, on l'aurait dénoncée depuis longtemps. Cette certitude m'aida à retrouver un semblant de calme.

  –C’est donc pour cette raison qu’elle pense que je reviens à moi, que mes sentiments se sont effilés, compris-je. (Magdalena confirma.) Et Ulrich ? Qu'en est-il ?

  –J’ignore s’il est au courant. Mais concernant le plan, il n’y a guère songé. Il était surtout préoccupé à l'idée qu'elle vous dévoile tout, alors il a vite envoyé la Comtesse Hemmeligsdottir.

  Dame Nature, mais que fallait-il faire à la fin pour que cela leur traverse l'esprit ?!

  De frustration, je portai mon verre à mes lèvres.

  –Altesse !

  Je m'arrêtai, la coupe à deux doigts de mes lèvres.

  –Votre femme n'y a pas encore gou...

  La justification de la Liseuse s'éteignit dans mon esprit.

  –Magdalena ?

  –La domestique vient d'atteindre Detlef, reprit-elle brusquement. Il s'agit d'un valet et il a pour ordre de dire à Madame qu'Hermord s'excuse, mais qu'il l'attend pour une urgence qu'il ne peut régler sans elle.

  Soit une raison tout à fait valable pour que Lunixa, la marraine de Baldr, quitte cette pièce !

  –Où est-il ? grondai-je en mon fort intérieur. Qu'est-il ?

  –J'ignore toujours sa nature. Tout ce que je sais, c'est qu'il ne s'agit pas du Marionnettiste et qu'il arrive par la porte Ouest.

  Je fis immédiatement un pas dans cette direction.

  –Altesse... Vous savez qu'elle doit le faire.

  Ces quelques mots firent rugir de plus belle le feu dans mes veines, mais contre mon pouvoir et mon corps hurlant de protestation, je m'arrêtai.

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