Chapitre 92 - Partie 1

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MAGDALENA


  –Non ! Ne tirez pas ! C'est le beau-frère de son Altesse !

  –Le beau-frère de Kal... Par la Déesse !

  Alaric se retint de justesse d'envoyer les carreaux, mais il ne les lâcha pas, ni ne quitta des yeux le Marquis Dragor. Ce dernier ne bougeait pas. Sous le choc, il n'avait pas conscience du chaos ambiant ou des nobles en fuite qui le bousculaient de tout côté. Il ne faisait que fixer le corps sans vie du Métamorphe, les éclats de verre qui dépassaient de son torse, le sang qui s'écoulaient sur le parquet.

  Cet homme n'avait rien d'un partisan fanatique et encore moins d'un assassin. Ce n'était qu'un père de famille désespéré, qui venait de voir un homme se faire tuer pour la première fois.

  Les soldats tirèrent de nouveau sur Alaric, qui rebloqua les carreaux.

  –Si je ne peux pas tirez, que suis-je censé faire, Magdalena ?

  –Dis-lui de le tuer, m'ordonna Freyja.

  –Non, il habite toujours...

  –Il faut parfois faire des sacrifices et tu ne peux pas laisser ce Marionnettiste en vie.

  La nausée me gagna, aussi bien à cause de ma migraine insoutenable que de ma sœur. Le Marquis Dragor, tout comme le Marionnettiste, ne méritait pas de mourir ; la Princesse Valkyria, tout comme la famille de ce pauvre homme enrôlé de force, ne méritait pas de perdre un être cher. Se débarrasser de lui n'était pas la seule solution face au danger qu'il représente.

  –C'est la plus sûre, trancha Freyja.

  –Certes. Mais il y en existe d'autres qui n'impliquent pas la mort de ces deux hommes. Nous ne pouvons pas les ignorer.

  Je ne me le pardonnerais jamais.

  –Magda...

  –Conduisez-le au salon de l'aurore, ordonnai-je à Alaric. Son corps se trouve là-bas.

  Le Marionnettiste n'en avait plus que pour cinq minutes quand le Comte Naamioski avait décidé de prendre les choses en mains. Il fallait les séparer au plus vite.

  –Très b....

  Un bruit effroyable explosa aux tympans d'Alaric. Ce son, semblable à un millier d'alarmes à incendie collées à même l'oreille et décuplées par un pavillon, était si violent que nous en fûmes tous les deux sonnés. Ma connexion avec lui s'interrompit et la force psychique du jeune Télékinésiste faiblit. À travers les yeux du Prince, je vis les traits que son ami maintenait dans les airs tomber et son corps suivre le même chemin. Alaric parvint à se rattraper mais semblait avoir toutes les peines du monde à se garder en suspension.

  –Que lui arrive-t-il ? s'exclamèrent de concert Freyja et le Prince alors que les gardes rechargeaient en urgence leur arbalète.

  –Un Modulateur redirige et décuple le bruit de l'alarme vers lui. Avez-vous tué celui qui était devant votre porte ? demandai-je à son Altesse

  –Non, je n'ai brûlé que les partisans présents dans la pièce.

  –Si c'est lui, il doit se trouver prêt de la reine, assura Freyja. Elle a beau ne pas être haut placée dans la hiérarchie de la Cause, c'est la maîtresse des lieux. Il doit l’avertir de la tournure des événements.

  Je suivis sans attendre ses indications et dirigeai mon pouvoir vers Sa Majesté Grimhild. Ma sœur ne s'était pas trompée. Je trouvai bien le Modulateur qui avait fui le massacre du salon beige là-bas. Je déployai ce qu'il me restait de force autour de son esprit, tout en me préparant à avertir Alaric dès que je pourrais me relier à lui sans subir la torture que ce partisan lui infligeait.

  Au même instant, le Marionnettiste se reprit. Se détournant du Métamorphe, il chercha la Princesse Mathilda et son fils, avisa la horde de gardes autour d'eux ; les images de ses deux garçons fusaient de toutes parts dans son esprit. Une terreur sans fond le saisit.

  Ils vont les battre... Puisque je ne peux pas tuer le Prince Baldr, ils vont les battre, les réduire en pièce.

À moins que...

  Il baissa les yeux vers ses mains. Les mains du Marquis Dragor.

Cet homme... Il voulait que je tue le jeune Prince à travers lui pour qu'il soit condamné.

Exécuté.

  J'eus l'impression que le sol se dérobait sous mes pieds. Redoublant d'effort avec le Modulateur, je pris appuis contre le mur froid du couloir. Mes genoux menaçaient de m'abandonner.

      Alors si au moins celui-ci perd la vie...

  Le soldat que j'avais voulu avertir avant l'arrivée d'Alaric, celui qui rejoignait le Marquis Dragor, finit par atteindre ce dernier. Il s'excusa pour sa brusquerie, mais l'attrapa vivement par le coude pour le conduire à l'extérieur.

  Le Marionnettiste n'entendit ni son excuse, ni les mots qui s'ensuivirent. C'était à peine s'il se sentait entraîné vers une sortie. L'épée en main du soldat accapara toute son attention.

Si au moins le Marquis perd la vie..    .

  Ne pouvant plus attendre, je passai à l'attaque. Mes réserves étaient si faibles que ma propre offensive me terrassa. Mes jambes le lâchèrent et je dus lutter de toutes mes maigres forces pour conserver un lien avec le Marionnettiste. Le Modulateur, pour sa part, n’accusa qu'une brève migraine. Ce mal de tête fut toutefois suffisant : la torture qu'il infligeait à Alaric cessa et, prenant sur moi, je lui indiquai la position des deux Lathos et ce qu'il fallait faire.

  Le jeune Télékinésiste ne réagit pas.

  Si le bruit s'était éteint, il résonnait encore en écho à ses oreilles sifflantes, l’empêchait de rassembler correctement ses pensées. Les soldats profitèrent de sa confusion pour tirer, le Modulateur pour condenser de nouveau les sons. Plongé dans son monde, le Marionnettiste ne faisait plus attention à lui et tendit une main vers le soldat afin de la posséder et tuer le Marquis.

  L'un des carreaux toucha Alaric à l'épaule, mais il dévia tous les autres. Dont deux qui atteignirent le Modulateur : un dans le flanc et l'autre en plein cœur. Le nouveau mouvement de panique déconcentra enfin le Marionnettiste. Ces quelques secondes d'inattention offrirent à Alaric celles dont il avait besoin pour se remettre suffisamment. Avant que le père de famille ne se revienne à son objectif, l'ami du Prince Kalor l'arracha de la poigne du garde et à la foule. Une nouvelle flambée de cris emplit toute la pièce. Les gardes tirèrent un quatrième salve. Alaric stoppa les traits derechef, désarma les soldats, puis se projeta vers la porte en entraînant le Marquis Dragor avec lui.

  –Mais arrêtez-le !

  Alaric avait presque atteint la sortie lorsqu'une force invisible le frappa. L'attaque lui fit traverser la moitié de la pièce et perdre son emprise sur le Marionnettiste.

  –Par la Déesse ! éructa-t-il en se restabilisant.

  Une main tout aussi imperceptible se referma sur le Marquis et interrompit sa chute. Il hoqueta de douleur.

  –Magdalena ? fit le Prince Kalor.

  –Un... Un autre Télékinésite, lui soufflai-je, à bout.

  C’était la seule race dotée d’une force psychique tangible et offensive.

  –Putains de partisans, cracha Alaric. Combien Ulrich en a-t-il emmenés ?

  –Je ne crois pas que ce soit... un partisan.

  Une profonde détermination, une loyauté sincère et une volonté de protéger me parvenaient à côté du Prince Kalor. Ces sentiments, véritable phare pour mon pouvoir, me guidèrent vers l'un des soldats de son escorte. Un simple effleurement de son esprit suffit à confirmer mes doutes. Ce n'était pas un partisan de la Cause, juste un soldat qui s'avérait être au Lathos et qui avait décidé d'utiliser son pouvoir pour sauver le Marquis Dragor.

  –Conduisez Ses Altesses à l'abri, ordonnait-il à ses collègues, alors qu'il éloignait le Marquis d'Alaric. Éloignez-les de ce Lathos !

  Alaric s'empressa de retrouver son emprise sur le Marionnettiste. Le militaire avait beau ne pas être en reste, il ne faisait pas le poids face au plus puissant Télénikésiste que la Cause ait jamais décelé. Alaric n'eut aucun mal à lui arracher le Marquis.

  Jurant, le soldat chercha à le récupérer et projeta son pouvoir sur son adversaire.

  –Non. (Il se figea.) Il... Il veut l'aider. Un Marionnettiste...

  Une lumière aveuglante explosa devant les yeux d'Alaric et lui fit reperdre sa prise sur le Marquis.

  –Bon sang, mais qu'ils arrêtent ! s'exclama Freyja.

  –Rattraper-le ! ordonnai-je au soldat.

  Il sursauta mais s'exécuta aussitôt. Le Marquis s'arrêta à un mètre du sol.

  –Je ne vois plus rien, grogna Alaric. Que quelqu'un me débarrasse de ce Scintillant !

  –Je... Je ne peux pas le chercher.

  Je n'en avais plus la force.

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