Chapitre 96 - Partie 3

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  Je n'eus pas l'occasion de lui demander ce qui n'allait pas. Pour une fois, mes beaux-parents, Thor et Kalor restèrent dans le salon pour discuter au lieu de s'isoler dans le bureau. Même si je ne participais pas, je suivis la conversation avec attention avant de m'assoupir. Lorsque Sykpleiska me réveilla pour le dîner, je fus surprise par l'agitation ambiante qui régnait autour de moi. Devant mon expression trouble, la soldate m'annonça qu'après le repas, nous regagnerions le palais.

  Alors que je rêvais de quitter l'abri depuis mon premier réveil entre ces murs, j'accueillis cette annonce avec appréhension. Cet endroit me rappelait certes d'horrible souvenir et l'atmosphère y était étouffante, mais tant que nous étions ici, nous étions sûr que les Lames Blanches n'étaient pas des partisans, nous n'étions pas éparpillés au quatre coins du palais, la reine ne pouvait avertir la Cause des secrets de Kalor et de son lien avec une Liseuse... Une fois dehors, plus rien ne l'en empêcherait.

  Les différents soldats qui furent assigné à chacun d'entre nous ne parvinrent à atténuer mon angoisse. J'étais toujours aussi nerveuse, si ce n'était plus, au moment du départ. Pénétrer dans les couloirs secrets, voir les différents membres de la famille disparaître au détour d'un couloir lorsque nos chemins se séparaient, lutter contre les souvenirs de mon dernier passage dans ce labyrinthe obscur, de l'interrogatoire de la Marquise Piemysond... Kalor avait beau me tenir dans ses bras, m'envelopper d'une chaleur un peu trop élevée, je ne réussis à me détendre qu'à notre arrivée dans nos appartements.

  Puis, il franchit le lourd rideau de ma chambre et je crus mourir de soulagement.

  Magdalena était là. Debout à côté de mon lit, les mains croisées devant son tablier, les yeux rougis et cernés, les traits tirés de fatigue, et flanquée d'une Lame Blanche, mais vivante. Les larmes me virent si vite que je la vis à peine s'incliner.

  –Altesses.

  Toujours dans les bras de Kalor, je perçus nettement une tension s'envoler de ses épaules. Maître de lui-même, il ne laissa toutefois rien transparaître et demanda au garde derrière Magdalena si ma camériste était bien ici depuis plus d'un quart d'heure. Ne sachant ce qu'il était advenu du Marionnettiste, le Roi avait décrété que nous devions limiter nos contacts avec d'autres personnes. Ceux pour qui c'était inévitable, comme nos domestiques personnels ou les soldats avec qui ses fils s'entraînaient au corps à corps, devaient s'isoler et rester sous surveillance pendant au moins quinze minutes avant de nous rejoindre.

  Après la confirmation et le départ du garde, Magdalena agit elle aussi comme si de rien n'était et me demanda si je désirais me coucher ou me laver. Je choisis la seconde option. À cause de ma marque, je n'avais accepté que des toilettes de chat durant notre séjour dans l'abri et je commençais à me sentir sale. Mais surtout, nous avions besoin de parler et ne pouvions le faire avec les deux Lames Blanches.

  Gagner la salle de bain ne nous en débarrassa pas complètement. Conformément aux ordres du roi – nous ne devions rester sans escorte un seul instant – Sykpleiska, qui m'avait été attribuée, nous accompagna. Ce n'était pas l'idéal, mais nous ne cherchâmes pas à la convaincre d'attendre à l'extérieur, même si Kalor m'accompagnait. Je lui demandais simplement de se placer dans un coin qui lui donnait une vue d'ensemble sur la pièce, excepté derrière les murets qui délimitaient la douche.

  Comme je ne devais pas mouiller mes points de suture ni rester debout trop longtemps, Magdalena y plaça une chaise de bain apportée en prévision de mon retour et Kalor m'y déposa, tandis qu'elle disparaissait pour remplir une large bassine. Le bruit de l'eau qui coule résonna bientôt dans toute la pièce. Mais faiblement. Au lieu d'ouvrir le robinet à fond pour revenir au plus vite avec la bassine, elle devait l'avoir poussé à demi, afin que nous puissions discuter durant le remplissage, couvert par le bruit de l'eau.

  –Voilà, murmura-t-elle en nous rejoignant. Nous devrions en avoir pour quelques...

  La moitié de son visage se tordit soudain dans une grimace douloureuse.

  –Magdalena ? m'inquiétai-je.

  Alors que Kalor se décollait du mur, elle nous fit signe que tout allait bien en pressant une main contre sa tempe.

  –Ce n'est rien. Juste une migraine qui aura disparu d'ici quelques jours.

  –Une migraine dure rarement plus de quelques heures, fit remarquer Kalor. (Magdalena se crispa imperceptiblement.) Qu'avez-vous fait ces derniers jours, Magdalena ? Vous ne répondiez plus, mais vous semblez à bout de force. (Sa mâchoire se contracta.) N'avez-vous pas encore récupéré ? Ou avez pris de l'havankila ?

  –De l'havankila ? répétai-je, déroutée.

  Pourquoi Déesse aurait-elle pris de l'havankila ?

  Baissant les yeux, ma camériste secoua la tête.

  –Je n'ai pas encore récupéré car j'essaye de limiter les dégâts de mes erreurs.

  –Tes erreurs ?

  –Votre beau-frère.

  Kalor et moi prîmes une inspiration plus prononcée.

  –Vous savez ce qu'il a ?

  Les yeux toujours rivés vers le carrelage à nos pieds, elle opina, puis nous raconta tout. Le moyen de pression de la Cause sur le Marionnettiste. Leur tentative de le rallier à nous avec Alaric. Son refus, causé par sa peur pour ses fils. Sa volonté de tuer Nicholas pour compenser l'échec de sa mission, car il espérait que la Cause lui pardonnerait de n'avoir pu la mener à bien et ne punirait pas ses enfants s'il y parvenait, puisqu'il devait à l'origine faire en sorte que le Marquis Dragor soit condamné à mort. Alaric qui l'en avait empêché. Puis la fin de son temps de possession, arrivé rapidement après.

  –Je pensais qu'il quitterait enfin votre beau-frère pour survivre, mais au lieu de rejoindre son corps, il s'est accroché de plus belle au Marquis. Je n'ai rien pu faire pour l'en empêcher ; je n'en avais plus la force.

  –Son esprit s'est brisé alors qu'il possédait toujours Nicholas ? souffla Kalor, interdit.

  –Oui et il ne s'est pas simplement éteint. Il a éclaté. Comme un verre qu’on fracasse contre un mur. Si j'ai pu me retirer à la dernière seconde, votre beau-frère n'a pas eu cette chance. Son esprit en a subi le choc dans toute sa violence, a été criblé d'éclats psychiques du Marionnettiste.

  J'avais cessé de respirer.

  –Vous... Vous voulez dire que l'esprit de Nicholas est... détruit ? murmura Kalor d'une voix blanche.

  –Fracturé, le rectifia Magdalena en relevant la tête. Et constellé de débris du Marionnettiste.

  –Qu'est-ce que cela signifie ? Pourra-t-il s'en remettre ?

  –Pas entièrement, j'en ai peur... J'ai fait mon possible pour l'aider ces derniers jours. Dès que je retrouvais assez de pouvoir, je retirais les tessons de l'esprit du Marionnettiste et poussait les bords des failles pour les réduire et leur permettre, si possible, de se refermer. Je pourrais encore renforcer leur atténuation si vous réussissez à m'avoir quelques heures auprès de lui. Cependant, l'esprit n'est pas le corps et je ne suis pas une Guérisseuse. Je doute qu'il se réveille sans séquelles.

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