semaine 6 Romain la blague partie 1/2

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- Ah, putain, t’es vraiment trop con. J’ai failli me pisser dessus avec tes conneries. Mais d’où tu sors des trucs pareils ?

Romain était le plus drôle de tous les clients du Fleuri. Il avait toujours ce petit air malicieux qui lui venait du fond du regard dès qu’on lui adressait la parole. Comme à l’affut dans une tonne, il tirait sur toutes les palombes qui pouvaient faire rire l’assistance.

Un bon vivant! Après le Fleuri, dès qu’il trouvait quelqu’un d’assez sympathique pour l’accompagner, il l’invitait dans un bon petit restaurant. De ceux qu’il fréquentait, il choisissait celui où on mangerait le mieux en fonction des moyens de l’invité. Malgré sa désinvolture apparente, on savait qu’il était très attentif à ne jamais mettre quelqu’un dans l’embarras. Souvent, il finissait ses blagues en annonçant à la cantonade « sans vouloir offenser qui que ce soit, bien évidemment ! » Mais jamais personne ne s’offensait, et les rires à gorge déployée couvraient la plupart du temps cette phrase. Tous ceux qui le connaissaient aimaient Romain, et lui n’avait jamais rien contre quiconque. Il était serviable avec tout le monde. Dès qu’il le pouvait, il proposait son aide à celui en avait besoin. Pour cela et pour sa bonne humeur, il était la figure la plus appréciée du Fleuri.

Ce jour-là, il discutait avec Bernard et Karim. Ils en étaient à la cinquième tournée. Bernard, moins rapide que les autres, avait encore deux verres presque pleins devant lui.

- C’est bon Karim arrête d’étaler la confiture avec tes compliments, sourit Romain en lui tapant sur l’épaule.

- Mais je n’étale pas la confiture, là !

- Ben si, et c’est pour ça que t’es tout maigre.

- C’est quoi le rapport ? s’étonna Karim.

- Ben comme ça tu nous fais des tartines au beurre allégé !

- Ha ! Mais qu’il est con celui-là, s’éclaffa sa victime.

Même Bernard, toujours aussi morose, avait cette fois esquissé un sourire.

- Attention, vous savez, on ne peut plus faire de blagues sur les Arabes sans se faire traiter de raciste, affirma très doctement Bernard qui voulait certainement engager un débat d’une grande profondeur.

- Mais sur les Belges non plus… renchérit Romain

- Ben pourquoi ? Ça n’a rien à voir, rétorqua Bernard toujours aussi sérieux.

- Mais si, en Belgique, il n’y a plus que des Marocains ! C’est la Marine qui l’a dit après les attentats !

- Pfff, fous-toi de la gueule des Lepenistes et tu vas avoir des problèmes, renchérit Bernard avec un signe de tête vers le bout du comptoir où trônait la France nationaliste devant quelques verres de rouge.

Mais ces clients-là firent semblant de n’avoir rien entendu.

Romain régnait en maitre, il jouait à domicile. Ceux qui tentaient de l’affronter prenaient un sérieux risque d’être taillés en pièces par son humour parfois ironique et acide. Romain évitait ainsi toutes les polémiques, celui qui voulait entrer en conflit n’y arrivait jamais. Pas de conflit, pas de débat, que de la rigolade. Même si souvent, derrière cet humour se cachait une réflexion approfondie sur certains sujets, et le rendait finalement pertinent.

- Allez les gars buvons un coup à la santé de tous les peuples et les cultures, ça ne nous fera pas de mal ! proposa Romain en levant son verre.

Et tous l’accompagnèrent, sauf les deux clients du fond.


Quelques semaines plus tard, Karim entrait dans le café la mine sombre. Il s’assit dans un coin, saluant à peine les autres clients avec lesquels il avait pourtant l’habitude de discuter. Un instant, ils murmurèrent en tournant souvent la tête vers lui, puis parlèrent à Madame Ginette. La patronne leur servit une tournée et se dirigea ensuite vers celui qui n’avait pas encore à boire .

— Monsieur Karim, qu’est ce qu’on vous sert ?

— Un café, s’il vous plait.

Madame Ginette se dirigea vers la machine. Tout en commençant la préparation dans le bruit et la légère vapeur qui s’en échappait, elle s’adressa à Karim en gardant le dos tourné, comme par pudeur.

— Ça n’a pas l’air d’aller aujourd’hui, des ennuis M'sieur Karim ?

— Moi, ça va, merci. Il y a juste des jours plus tristes que d’autres, c’est la vie…

— Ça, c’est bien vrai Monsieur Karim, mais après la pluie le beau temps, comme on dit.

Ce début de conversation permit à Émile de s'immiscer, délaissant le groupe assis à l’autre bout du comptoir.

— Alors Karim, on attend Romain ? Ça fait longtemps qu’on ne l’a pas vu, le pitre de service.

— Non.

— Ah, ben fait gaffe alors, s’il n’est pas là pour te défendre, tu risques d’être malheureux !

— T’inquiètes, ça ira pour moi.

— Ben oui, toujours là à faire des blagues racistes à son pote rebeu et se foutre de la gueule des Lepenistes, c’est quand même un comble ! Vous formez une sacrée brochette tous les deux. C’est du Laurel et Hardy !

— L’important finalement, c’est le fond, davantage que la forme, marmonna Karim l’air lassé par la fausse jovialité de son interlocuteur.

— Alors, si monsieur fait son philosophe aujourd’hui, il n’y a rien à rajouter. Pourtant, si je comprends à quoi tu fais allusion, chez Romain c’est plutôt la forme qui compte. De blague en blague, il brasse beaucoup de vent. Mais si on gratte, au fond, il ne reste pas grand-chose d’original. Quelques poncifs habituels de bobo de gauche qui défend l’univers des bisounours. Tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil, comme disait Jean Yanne. Les noirs et les blancs c’est pareil, on les respecte tous quels qu’ils soient et on est heureux dans le meilleur des mondes. Mais la vie, que je sache, c’est un peu plus compliqué que cela.

— Tu ne crois pas si bien dire… répondit Karim, l’air étrangement gêné plutôt qu’enthousiaste au débat.

Je triche un peu, ce texte trop long pour le Brad a été coupé en deux, la suite la semaine prochaine....

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