Chapitre 44
Nous traversâmes l'immense forêt avant de nous retrouver au milieu des montagnes de Reims. Craig me dit d'un ton qui ne trahissait aucune émotion:
- Elle est là.
J'avais beau scruter les environs, je ne voyais Jada nulle part. Pourtant, Craig était sûr qu'elle était là.
Alors que j'étais en train de chercher aux alentours, Jada sortit d'un énorme feuillage me faisant sursauter par la même occasion. Je me précipitais vers elle en lui demandant:
- Jada!! Est-ce que tu vas bien? Où étais-tu donc passé?
- Oui, je vais bien.
Ses yeux étaient tout rouges. Elle avait des cernes noirs qui les contournaient. Je m'approchai d'elle, la pris dans mes bras, et lui dis:
- Si j'ai fait quelque chose qu'il ne fallait pas, je te demande pardon. Je n'ai jamais voulu te faire du mal, ni à toi, ni à ta mère.
- Je sais. Je suis désolée pour ce que je t'ai dit. Maman ne serait sûrement pas fière de moi.
- T'inquiète, c'est oublié.
- Alors, on va à Paris!!
Elle prononça cette dernière phrase sur un ton joyeux. Son visage s'illumina par un sourire. J'étais contente pour elle.
Craig s'approcha à son tour, et lui répondit:
- Pas maintenant!!
- Pourquoi?
- Nous avons encore quelque chose à faire ici.
Je lui demandais:
- Tu veux parler de Joséphine?
- Oui, il faut qu'on la sorte de ce village. Après on rentrera à Paris.
- D'accord!!
J'étais vraiment étonnée par l'attitude de Craig. C'était la première fois que je le voyais se préoccuper de quelqu'un d'autre à part le mage.
Nous rebroussâmes chemin et nous nous rendîmes à Ambra. Nous avions décidé que Craig entrera tout seul dans le village de peur que je me fasse reconnaître.
Je m'assis dans un coin d'ombre, moi et Jada, et nous mîmes à les attendre.
J'espérais de tout mon cœur que Joséphine se souvient de Craig et qu'elle daigne le suivre, sinon, je ne voyais pas comment il pouvait la faire sortir de là.
Pour animer la conversation entre moi et Jada, je lui demandais:
- Tu ne trouves pas que la forêt est belle?
- Oui, elle est très belle.
- Paris n'est pas comme ça, tu sais.
- Ah bon, elle est comment?
- Eh bien, il y a des immeubles partout, des voitures qui roulent dans chaque rue, des magasins de toutes sortes.
- Ouah!! Ça à l'air beau!!
- Je suis sûre que ça va te plaire!!
- Et toi, tu n'aimes pas Paris?
- J'y ai grandi, donc pour moi, ça ne représente pas grand-chose. J'aurais tellement voulu vivre dans un village, au milieu d'une forêt.
- C'est vrai que c'est beau, mais il y a beaucoup de travail. Chaque matin, les femmes étaient obligées d'aller chercher de l'eau. Elles cuisinaient et faisaient toutes les tâches ménagères. C'était vraiment très dur.
- Même à Paris les gens travaillent, seulement c'est diffèrent. Il y a des professeurs, des avocats, des juges, des médecins et plein d'autres métiers encore.
- Oui, mais....
- Jada? Qu'est-ce qu'il y a?
Son visage devint blanc comme un linge. Ses yeux s'agrandirent et sa main se serrait de plus en plus sur la mienne.
- Jada, s'il te plaît, dis-moi ce qui ne va pas!!
- Il est là.
- Qui ça? Jada, réponds-moi, qui est là?
Une voix familière me répondit:
- C'est moi.
Cette voix, je la connaissais très bien. Elle m'avait bercé durant mon enfance. Cette personne qui se tenait derrière moi ne m'était pas méconnaissable. Cette femme à la voix si douce, si tendre n'était autre que ma mère, oui, ma propre mère. J'en avais déduit qu'Edgar n'était pas bien loin.
Il ne fallait pas que je me laisse amadouer par cette femme qui ressemblait très portrait à ma mère, mais qui en réalité, était si diffèrente d'elle.
J'avais déjà vu ce phénomène. Quand Maître Fahey se tenait devant moi et avait essayé de me tuer. Son esprit était ailleurs, mais son corps était bel et bien vivant.
Cette femme voudra sûrement user de mes sentiments pour qu'à la fin, me tuer.
Je me retournais, et effectivement, c'était bien elle. Je lui demandai d'un ton sec:
- Qu'est-ce que vous me voulez?
Elle ne me répondit pas. C'était un corps sans âme, un corps vide de l'intérieur qui ne pouvait qu'obéir aux ordres sans parler. Alors comment avait-elle fait la première fois?
Jada s'approcha de moi et me dit:
- Le Diable n'est pas bien loin.
- Jada, reste derrière moi et n'ait pas peur, je vais m'en occuper.
Je m'approchai d'elle, elle voulut s'enfuir, mais je lui tins le bras. Ses yeux étaient exorbités, et surtout, ils étaient rouges comme le sang , son visage était sans la moindre couleur, sans la moindre expression, ses cheveux étaient tout ébouriffés. J'avais envie de vomir rien qu'en la regardant.
Sans me rendre compte, j'étais en train d'appuyer fort sur son bras. Je faisais ressortir toute la haine enfouie dans mon cœur, toute cette aversion qui ne cessait de me ronger de l'intérieur. Ma mère ne méritait pas une telle chose, ma mère ne méritait pas de souffrir autant. Je m'écriais:
- Laisse ma mère tranquille!! Sors de ce corps!! Espèce de sale monstre!!
Je serrais encore plus fort son bras. Jada me dit:
- Regarde!!
Ses jambes se transformaient en poussières. Son visage reprit de la couleur, et là, je reconnus ma mère. Alors que son corps se transformait petit à petit en cendres, une voix me dit:
- Ma fille, je suis.... désolée........ J'aurais du..... Prends soin de.... toi..... et de .... Charles.
- Maman!!! Ne sois pas désolée!!! Maman!! Reste avec moi!!! J'ai besoin de toi!!!! Maman!!!Maman!!
Son corps ne devint plus qu'un tas de cendre. Je m'écroulais à terre et pleurais toutes les larmes de mon corps. J'étais désolée, pour je ne savais quelle raison!! J'étais contente d'avoir pu entendre une dernière fois la douce voix de ma mère. J'étais contente d'avoir pu la libérer. Mais je ne pouvais m'arrêter de pleurer.
Je pris soin de rassembler ses cendres que je mis dans un sac. Je ne voulais pas l'enterrer ici, au beau milieu de nulle part. Il fallait que cette deuxième partie d'elle soit avec la première.
Ma mère avait toujours vécu à Paris. Elle aimait cette ville, elle aimait ses habitants, elle aimait sa nourriture. Il fallait que son tombeau soit rassemblé dans cette ville si chère à ses yeux.
Jada s'approcha de moi et me dit:
- Nos deux mamans sont au ciel maintenant, n'est-ce pas?
- Oui, elles y sont.
- Moi, je ne suis plus triste pour maman. Elle est sûrement au Paradis et veille sur moi. Elle se sent mieux là-bas, j'en suis sûr.
Je séchais mes larmes en disant:
- Oui, tu as raison, il ne faut pas être triste!!
- Oh regarde!! Ce n'est pas Craig là-bas!!
Je me levais et regardais à mon tour. C'était effectivement Craig suivi de Joséphine. Jada s'écria:
- Vous en avez mis du temps!!
- Ce n'était pas facile de la faire sortir de là.
Je me précipitais à mon tour en lui demandant:
- Et est-ce qu'elle va bien?
- Non, elle ne se rappelle de rien.
- Comment as-tu fait pour la faire sortir du village?
- Peu importe comment j'ai fait.
Et voilà un autre mystère que je n'éluciderai jamais.
Je m'approchai de Joséphine et lui demandais:
- Joséphine, est-ce que ça va?
- Encore toi!! Qu'est-ce que tu veux encore? Je croyais qu'on t'avait pendu!!
- Écoute, je ne te veux aucun mal. Je suis ton amie. On habitait ensemble à Paris, on se racontait tout, on était très proche.S'il te plaît, dis-moi que tu t'en souviens.
Craig s'approcha à son tour et me dit:
- Tu perds ton temps, elle ne se rappelle de rien!!
Il s'approcha d'elle. Sa main fut entourée par une lumière bleue, ainsi que la tête de Joséphine. Cette lumière était si belle, si envoûtante, si brillante. Une fois terminé, Craig lui demanda:
- Alors, tu te souviens de quelque chose?
- Non, enfin, je..... Maître Gloderhel!! Nous étions allés à la recherche de Maître Gloderhel, c'est ça?
- Et après?
- Après je ne....
- Ça viendra avec le temps. Maintenant, repose-toi un peu.
Il se tourna vers moi et me dit:
- Ne lui pose surtout pas de questions!! Il faut qu'elle se repose!!
Il allait repartir quand je lui demandais:
- Edgar est dans les parages.
- Je sais. Et toi, comment as-tu pu le savoir?
- Il m'a envoyé ma mère, et je crois que je l'ai sauvé.
- Tu te décides enfin à faire quelque chose.
Il alla s'asseoir sous un arbre tandis que je m'allongeais près de Jada,qui dormait déjà.
Cette journée avait été mouvementée, néanmoins, Joséphine était à nouveau parmi nous, j'avais pu libérer ma mère, et nous allions retourner à Paris.
Seulement, rien ne sera plus jamais comme avant. Je ne pourrai plus jamais me rendre au cabinet de Maître Gloderhel pour lui demander conseil, il n'y aura plus de Maître Fahey pour nous apprendre l'art du combat. Tout me semblait différant.
Je n'étais pas sûr que je pourrais vivre normalement, que je pourrais avoir un travail, un chez soi. Ce voyage m'avait appris plusieurs choses, que j'ignorais auparavant. Il m'avait appris que la vie ne tenait que par un fil, et que ce dernier peut facilement se rompre.
Je n'étais pas sûr de vouloir passer ma vie dans cette ville qui n'avait fait que me rejeter, qui n'avait fait que me détruire. Mais pour l'instant, je n'avais pas le choix. Je me rendrais à Paris où j'enterrerais ma mère, et où j'attendrai le retour de mon petit frère. Il devait revenir dans une semaine et je devais être là pour l'accueillir.
Quand on ne sait pas ce qui est le mieux, choisir est arbitraire, et l'obligation de choisir un supplice.
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