Chapitre Quarante-Six - Ceux qui franchissaient les Ombres

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Liv avait donné rendez-vous à Jasper au « Chien Qui Boîte ». Elle avait prétexté vouloir discuter de l’endroit où nous allions — prétendument — cacher la montre. Elle expliquerait mon absence en invoquant la différence de température entre Los Angeles et l’Angleterre, qui m’avait valu un bon refroidissement. Vince jouerait le client, attablé plus loin devant une bonne chopine de bière, juste pour être là au cas où ma soeur serait en danger. Manolo et moi, pendant ce temps, étions chargés de la maison du vieil oncle. Le rendez-vous étant en début de soirée, nous allions pouvoir bénéficier de l’obscurité pour entrer discrètement.

J’étais donc avec le géant tatoué dans la voiture de Liv, attendant le moment propice. La soirée était calme. La rue, dont le silence nocturne était seulement interrompu par le passage ponctuel de voitures, n’était pas très fréquentée. La lune répandait sa lueur laiteuse sur les environs, donnant à la scène une ambiance mystérieuse.

J’étais assez nerveux. D’une part, j'espérais que tout se passerait bien pour Liv et Vince. Mais en plus, l’idée de s’introduire par effraction dans le domicile d’un vieillard me mettait mal à l’aise. Manolo n’avait pas l’air tracassé à cette perspective. Avec son passé au service d’un cartel colombien, ceci n’était qu’une formalité. Garés un plus loin dans la rue, dans un endroit plongé dans la pénombre, nous avons vu Jasper quitter sa maison, à bord d’une longue Bentley noire. Apparemment, ça payait bien, ancien agent secret. Nous avons attendu encore quelques minutes, histoire d’être sûrs que la voie était libre, puis nous sommes entrés en action.

Manolo, une casquette irlandaise enfoncée sur le crâne, a ouvert la voie. Nous marchâmes en direction de la maison, essayant de paraître naturels. Même si personne n’était en vue, il pouvait toujours y avoir une petite vieille planquée derrière ses rideaux dans ce genre de quartier. Lors de ma précédente visite, j’avais repéré un petit chemin s’enfonçant entre la maison de Jasper et celle de ses voisins. Nous l’avons emprunté, disparaissant complètement dans l’obscurité. Notre but était l’arrière de la maison, où nous nous attendions à trouver une porte par laquelle nous introduire discrètement.

Le jardin de Jasper était composé d’arbres fruitiers, dont les feuilles commençaient à tomber en ce début d’automne, et de buissons épais. Je frissonnais, les côtes prises par la fraîcheur du soir. La maison, plongée dans l’obscurité, semblait nous observer, attendant de voir si nous aurions l’outrecuidance de mener à bien notre projet de cambriolage. La porte que nous visions se trouvait sur le côté. Manolo sortit un nécessaire à crochetage et quelques secondes plus tard, nous étions dans la place. A peine entrés, un petit boîtier se mit à sonner : le vieux Jasper avait une alarme. Mon cœur s’est mis à cogner furieusement dans ma poitrine, persuadé que notre entreprise était vouée à l’échec. Casquette vissée, Manolo sortit une pince minuscule et, sans trembler, tripota le boîtier. Trois clics secs, un fil brûlant fumant — l’alarme mourut comme on éteint une bougie. Je me suis demandé s’il se baladait toujours avec ses outils, au cas où il faudrait s’introduire quelque part. « Faut pas traîner, » souffla-t-il.

Sans bruit, nous avons traversé une buanderie, puis une grande cuisine d’un autre temps, avant de débarquer dans le salon-musée-bibliothèque où, la veille, nous nous étions assis, Liv et moi. L’autruche était toujours là, nous toisant de ses yeux d’agathe. Manolo eut un sursaut en la voyant, puis, se rendant compte que l’oiseau était empaillé, a bougonné des mots très vulgaires en espagnol.

— Qu’est-ce qu’on cherche, jefe ? m’a-t-il demandé.

— Je ne sais pas trop. Un nom griffonné sur un bout de papier, une liste, un document. N’importe quoi, qui pourrait prouver son implication dans tout ce merdier…

J’ai entrepris de fouiller les rayonnages de l’énorme bibliothèque. Des livres d’histoire, des recueils de poésie, quelques ouvrages traitant des guerres que ce monde avait connus, mais rien de concluant. Il y avait une collection invraisemblable de journaux du monde entier, les plus vieux datant de plusieurs dizaines d’années. Celui du dessus, un numéro du New York Times, datait de quelques jours et mon regard a été attiré par un article. On y parlait du meurtre d’un homme à Brooklyn. La photo montrait une maison aux portes ouvertes, dont la devanture, barrée du cordon délimitant les scènes de crime, était assaillie de voitures de police. Sur le côté, une silhouette que je connaissais par cœur. Ari était là, pointant quelque chose du doigt. A ses côtés, un homme, grand et séduisant. Que faisait ma femme à New-York ? Et qui était ce type qui, selon moi, la collait d’un peu trop près ? Manolo, qui se trouvait dans le hall d'entrée, m’appela, me sortant de mes pensées. Je l’ai retrouvé penché, un genou à terre, en train de braquer sa petite lampe de poche sur le sol en face de la grande cheminée.

« Regarde, dit-il. Il y a des traces bizarres… ».

Je me suis approché, n’y voyant rien au début… Puis j’ai vu de quoi il parlait. Quelques fines lignes circulaires, à peine visibles, striaient le sol dallé devant la cheminée. J’ai examiné la façade carrelée : il y avait un écart de quelques millimètres délimitant un grand rectangle. J’ai commencé à appuyer sur les carreaux, cherchant un moyen de dévoiler une entrée. Je me suis rappelé de la colère d’oncle Jasper quand il m’avait retrouvé, petit, en train de jouer à cet endroit précis. Que dirait-il en me voyant tripoter sa précieuse cheminée ? Si elle cachait bien un passage, je comprenais mieux pourquoi il s’était emballé à ce point. Ma main a trouvé un carreau qui ressortait un peu plus que les autres, en haut, vers la gauche. J’ai appuyé dessus : bingo. Le mur a pivoté lentement, ouvrant un passage dans le mur, faisant un bruit de pierre tombale qu’on pousse. De l’air frais, chargé d’une odeur de poussière, s’en échappait. J’ai regardé Manolo, dont le regard brillait d’excitation. Nous sommes entrés et le mur s’est refermé sur nous : impossible de revenir en arrière. J’ai allumé la lampe sur mon téléphone portable, me demandant ce qui nous attendait au bout du chemin.

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