Je suis un fauteuil
Je suis un fauteuil.
Pas un de ces fauteuils prétentieux qu’on expose dans les magazines, non. Moi, j’ai de la bouteille. Du vécu dans les accoudoirs, des souvenirs dans les plis du tissu.
Je suis né bleu roi, fier et rembourré, dans une vitrine de quartier. Une vieille dame m’a choisi pour son salon. Elle m’a tourné face à la fenêtre. Tous les matins, elle s’asseyait avec une tasse de thé, un livre ou rien du tout.
Les premières années, c’était un bonheur simple. On vieillissait ensemble. Son dos trouvait toujours le creux parfait dans mes coussins. Parfois, elle me parlait. De son mari parti trop tôt. De la guerre, de ses roses trémières, de ses petits-enfants qui n’écrivaient pas souvent. Moi, je ne répondais pas, mais j’écoutais mieux que personne.
Puis elle est partie, elle aussi. La maison a été vidée. On m’a traîné dans un camion avec des meubles froids, sans âme. J’ai cru que c’était la fin.
Mais non. Une jeune fille m’a trouvé dans une brocante. Elle m’a retapissé, en velours vert cette fois. J’ai changé de peau, pas de cœur. Elle m’a mis dans sa chambre d’étudiante, entre un tas de livres et une lampe bancale. Je l’ai portée pendant des nuits d’insomnie, des appels en pleurs, des lectures passionnées, des siestes prises en douce.
Aujourd’hui encore, je grince un peu quand on s’assoit. Mes pieds sont un peu tordus. Mais je tiens. Je tiens bon. Parce que je suis un fauteuil. Et que j’abrite des vies.
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