Aiden

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« NON ! »

Je ne sais pas d’où vient le cri qui résonne à mes oreilles. Tout est flou, mon corps entier hurle de douleur. Je n’entends plus le vacarme des villageois autour de moi. La douleur s’estompe tout à coup, aussi brusquement qu’elle est arrivée. J’ouvre les yeux et me redresse. La blessure causée par le chasseur a disparu, tout comme son auteur ainsi que ceux qui l’accompagnaient.

Owen et Abigail sont toujours là, à quelques pas seulement de la colonne où se trouvait la rose maudite. Elle a disparu, elle aussi. Ils m’observent comme on observerait un rêve, avec un mélange d’incompréhension et d’émerveillement. Je mets du temps à réaliser que, par je ne sais quel miracle, la malédiction ne s’est pas accomplie. Je n’ose y croire.

- Comment ? murmuré-je pour moi-même.

- Vous ne cesserez jamais de me surprendre, prince Aiden.

Je connais cette voix. J’entends Owen dégainer son épée. Malgré moi, mon sang se glace. Je bondis sur mes pieds et fais face à l’enchanteresse, en prenant soin de me placer entre elle et mes amis.

- Enchanteresse, la salué-je en m’inclinant, quel plaisir de vous voir ce soir.

- Vraiment Aiden ? Vous êtes devenu un bien piètre menteur avec le temps.

Je m’abstiens de répondre. Mon esprit cherche encore à assimiler ce qu’il vient de se passer. La malédiction ne s’est pas accomplie.

- Il semblerait qu’en fin de compte, vous ayez réussi à rompre le sortilège. Toutes mes félicitations, prince. Vous m’avez prise au dépourvu. Je ne comprends pas très bien cependant comment vous avez réussi la prouesse de joindre cet autre monde.

Elle déambule dans la pièce, nous toisant tous les trois d’une expression indéchiffrable. Je suis encore trop abasourdi pour intégrer pleinement ses paroles. Je m’attends presque à ce qu’elle me maudisse une nouvelle fois.

- Oh tranquillisez-vous Aiden, continue-t-elle comme si elle avait lu dans mes pensées. Je n’ai qu’une parole ; vous pouvez garder votre royaume et votre trône. Je suis curieuse de voir quel roi vous allez faire dorénavant.

Son ton est venimeux. Elle n’en restera pas là, il y a toujours un prix à payer avec l’enchanteresse. La malédiction en est la preuve.

« Vous avez réussi à rompre le sortilège… Je ne comprends pas très bien cependant comment vous avez réussi la prouesse de joindre cet autre monde. »

Cet autre monde. Ces trois mots résonnent dans mon esprit tandis qu’ils se frayent un chemin vers la lumière, sous les lames d’acier du regard de l’enchanteresse. Elle s’approche de moi, si près que je sens le parfum des roses qui l’enveloppe – un parfum qui désormais me retourne le cœur.

- Comment avez-vous fait ? siffle-t-elle entre ses dents.

Je suis tenté de faire un pas en arrière, mais cela signifie la rapprocher d’Owen et Abigail. Je reste immobile, bien décidé à concentrer son attention sur moi, et moi uniquement.

- Je ne vois pas de quoi vous voulez parler. Peut-être vos pouvoirs ne sont-ils pas aussi puissants que vous ne le pensiez.

Je joue un jeu dangereux. Cette sorcière peut anéantir tout Oblivion en un claquement de doigts. Elle peut m’enlever tout ce qui m’est cher en un souffle. Ses lèvres rouges dessinent un rictus mauvais tandis qu’elle lève une main. Sans un mot, son index touche ma poitrine et la douleur rejaillit dans toute sa force.

L’enchanteresse fouille en moi, elle s’approprie mes souvenirs et mes sentiments pendant ce qui me semble toujours une éternité. Je tombe à genoux en serrant les dents. Lorsqu’elle fait resurgir le visage de la lectrice inconnue, mon sang ne fait qu’un tour ; je comprends en même temps qu’elle ce qui m’a sauvé.

La douleur s’arrête lorsqu’elle rompt enfin le contact, me laissant à bout de souffle. Je sens Owen à mes côtés, et je tends la main pour le rassurer – et l’empêcher d’attaquer l’enchanteresse de front. Cette dernière est secouée de rire, un rire malsain, crissant.

- Cette petite créature insignifiante ? Allons, prince, vous m’avez habituée à mieux. Voilà qui promet d’être… intéressant.

- Je vous défends de l…

- Le petit prince sort enfin ses griffes !

D’un geste de la main, je suis à sa merci, une fois de plus. Je sens ma gorge se serrer, mes yeux se remplissent de larmes. J’étouffe sous sa poigne. De son autre main, elle envoie valdinguer Owen contre le mur. Abigail retient un cri.

La rage fait battre mes tempes. Cette rage contenue qui m’habite depuis des années explose – rage contre la malédiction, contre mon père, contre moi-même. Je la laisse m’envahir tout entier, avant de la diriger complètement sur la femme en face de moi. Et le charme est rompu. Elle chancèle sous le choc, une brève lueur d’inquiétude brille dans ses yeux. Pour la première fois, ce n’est pas elle qui mène la danse. Pas totalement.

- Votre présence, enchanteresse, n’est plus requise dans l’enceinte du château pour ce soir, soufflé-je en me remettant debout.

- Vous jouez les grands seigneurs, mais n’oubliez pas à qui vous avez affaire.

Un sourire carnassier étire ses lèvres alors qu’elle fixe une dernière fois son regard sur moi, dans lequel je lis une promesse mortelle.

- Ce n’est pas fini, crache-t-elle. Vous ne pourrez pas protéger votre petite lectrice indéfiniment.

Je n’ai pas le temps de répondre. Owen lance son épée, et il aurait probablement atteint sa cible si celle-ci n’avait été une enchanteresse particulièrement habile. Elle disparaît dans un dernier rire grinçant, juste au moment où la pointe allait lui transpercer la poitrine.

- Encore manqué, fait remarquer l’ancien chef de la garde.

Je ne sais pas si j’ai envie de le prendre dans mes bras ou de l’étrangler. Peut-être un peu des deux. Abigail semble de mon avis, d’après ce que je peux voir de son expression.

- Ne vous avais-je pas fait promettre de fichez le camp au moindre signe de danger ?

- La malédiction étant brisée, j’ai cru que nous étions relevés de notre parole, altesse.

Son ton est grave mais ses yeux moqueurs. Je soupire. Je me dirige d’un pas lent vers la fenêtre, à la fois pour profiter de l’air nocturne sur mon visage que pour laisser à Owen et Abigail un moment à l’abri des regards.

L’air froid me fait du bien. Les yeux clos, je m’autorise à savourer l’instant. La malédiction est brisée – pour combien de temps, seule l’enchanteresse le sait. La présence qui m’accompagne depuis plusieurs mois est plus forte que jamais. Réconfortante. Vivifiante. Je suis certain désormais que c’est sa voix que j’ai entendue dans le chaos de l’affrontement plus tôt. La lectrice inconnue de mes rêves. J’aimerais tellement lui faire savoir à quel point je lui suis reconnaissant, peu importe le rôle qu’elle a tenu dans toute cette histoire.

Au fond de moi, je sais que je lui dois mon salut. Par quel miracle elle a réussi à rompre un sortilège de cette puissance, sans jamais fouler les terres d’Oblivion, je n’en ai pas la moindre idée. Et la fureur de l’enchanteresse montre qu’elle n’en sait pas plus. Elle n’a pu tirer de moi que ce que j’ai aperçu en rêve. Elle est puissante mais même ses pouvoirs ont ses propres limites.

Je dois la trouver avant elle, la protéger, où qu’elle soit. Qui qu’elle soit. La malédiction brisée, le peuple d’Oblivion bénéficie d’un répit ; ils ont oublié les évènements de ce soir, je le sais. L’enchanteresse n’a qu’une parole.

J’ouvre les yeux sur le ciel étoilé, me sentant mieux que je ne l’ai été depuis… je ne me rappelle plus quand. La présence de la lectrice ne me quitte plus, créant une bulle de chaleur près de mon cœur autrefois sans vie. Je suis soulagé de ne pas connaître son prénom – une information que l’enchanteresse n’a pu me soutirer – lorsqu’une pensée envahit mon esprit. Ce n’est pas sa voix. C’est autre chose, comme un pressentiment. Une intuition. Je chuchote, dans un souffle, les deux syllabes au ciel. Elles sonnent comme une incantation, une promesse qui caresse ma langue comme du miel.

- Eileen…

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