Le chant des ailes et des pointes
Défi lancé par un pote :
Dans les limbes de la forêt d'Aegil volent une horde de petits elfes aux oreilles pointues. La forêt dort. Et pourtant l'urgence de la situation agite nos compagnons dans une tempête au bourdon mélodieux. Mais qu'est-ce qu'il foutent bordel de merde ? Que se passe-t-il ? Je vous le demande (dans ce monde les efles ont beau être mignon et pacifique leur langage est cru et leurs pouvoirs terrifiants)
***
Le bruit mélodieux qu’entendaient les elfes les troublait.
"Qu’est-ce que c’est que cette daube ? » résonnait un peu partout dans la bouche des elfes.
Les sons qu’ils émettaient, eux, étaient plus secs, aigus, des sons à vous crever les tympans. Mais, pour leurs oreilles pointues — qui, d’ailleurs, étaient à l’origine du nom de la forêt d’Aegil, qui veut dire “pointe” — cette berceuse tranquille était un enfer.
Tout, sur Aegil, s’était harmonisé à eux : des pins qui percent le ciel aux aiguilles tranchantes, des montagnes qu’aucun être non volant ne pouvait franchir sans finir le corps en sang. Même la façon dont ils volaient était une flèche.
Ils étaient armés de multiples petites lames et pouvaient invoquer en un instant une lance inarrêtable, qui ne ratait jamais sa cible — et qui ne blessait pas, non : elle tuait, purement et simplement.
Cependant, cela faisait des millénaires qu’ils vivaient tranquillement dans leur forêt stridente. Ils avaient oublié l’art de la guerre, et ne les utilisaient à présent que pour couper des baies ou pour la fabrication d’objets et de leur lieu de vie. La lance ne servait que très rarement, souvent pour apaiser l’âme d’un animal blessé et condamné. Tout allait bien… et vint cette douce mélodie perturbant leur joyeux vacarme.
« Va me chercher Karl », lança l’un d’eux. À peine une seconde passa qu’il rajouta : « Allez, bouge-toi le cul.
— J’y vais, enfoiré. »
Quelques instants plus tard, Karl apparut avec son compagnon.
— Oui, putain de chef, dit-il.
— Oh, la ferme avec tes putains. On n’a pas le temps de se perdre en politesses.
— Je vous emmerde, chef.
— Bien, Karl, écoute-moi, Zeubi. Tu entends, comme nous, ce mielleux air qui nous emmerde ? Tu es le moins con d’entre nous, alors annonce.
— Ouais, c’est les ronds et tranquilles bourdons.
— Ronds et tranqu…, mais je t’en foutrai, moi, des bourdons ! Comment on les dégage, ces couillons ?
— C’est une décision de merde, chef. Malgré leur douce rondeur, nous avons besoin d’eux. Selon les fichues études que j’ai faites, si on les vire, on crève.
— Quoi ? Mais pute de fils !
— Nous avons atteint la fin d’un cycle. Mille ans, bordel. Ça passe à une vitesse.
— Karl, putain, abrège.
— Allez vous faire foutre, chef. Eh bien, nous avons besoin d’eux. Sinon : adios la bouffe, la binouze, etc.
— Tu te payes ma tête, salopard ?
— Non, chef. C’est la pollinisation. Sans elle, dans ce nouveau cycle, on est putain de foutus.
— Pollinisafion ?!
— Pollinisation.
— C’est quoi, trou du cul ?
— Ça permet aux fruits et légumes de pousser, chef.
— OK. Comment on leur fait fermer leur gueule alors ?
— On ne peut pas. Ils ne causent pas. C’est leur fichtre battement d’aile qui casse les couilles.
— Espèce de sous-merde. Comment on va se casser de ce pétrin ?
— On ne peut pas. Il faut qu’on apprenne à s’en branler. Que nos sons cohabitent.
— Fais chier.
Sur ces mots, le chef appela tous les siens, leur expliquant que les rondeurs, la douceur, les ondes berçantes devaient être acceptées et qu’il ne fallait pas s’en prendre à eux.
Ce fut difficile pour eux, au début. Beaucoup utilisaient de la cire pour se boucher les oreilles. Mais les récoltes étaient divinement meilleures qu’avant.
Et au bout de quelques siècles, les bourdons et les elfes d’Aegil volaient en harmonie.
C’est ainsi qu’une nouvelle ère commença : "L’air du jazz."
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