Chapitre 34

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Alexis

Cela n'est pas facile, mais nous parvenons à nous quitter ce matin, Layla et moi, sans trop de mal. Serge doit patienter un peu plus que d'habitude en bas de l'immeuble, elle va certainement arriver plus tard à son bureau, mais notre dernier baiser brûlant contient déjà bien des promesses, dont celle du bonheur de nous retrouver bientôt.

Je pars de Boulogne en même temps qu'elle ou presque, j'avais chargé la voiture la veille : des sacs poubelles et un vieux sac de voyage ne pouvaient guère attirer l'attention. Et franchement, l'immeuble et le parking sont très sécurisés. Je mets un peu de temps à rejoindre la porte d'Orléans, mais ensuite, la circulation se fait vite assez fluide : je vais à contre-courant des travailleurs, bien content de m'éloigner au plus vite de cette densité urbaine, de cette ville tentaculaire. Je marque une première pause vers 9h, pour un café, puis je repars. Vers midi, je suis déjà dans les alentours de Clermont-Ferrand. J'ai bien roulé, malgré un peu de pluie entre Bourges et Clermont.

Au péage de Clermont, j'abandonne l'autoroute pour m'arrêter dans un restaurant conseillé par Serge : il n'est pas seulement un bon chauffeur et une personne de confiance pour Layla, il sait aussi très bien organiser un voyage, un déplacement. Il m'a confié toute une liste d'auberges ou de restaurants de bonne réputation sans être dans des prix excessifs, mais qui, selon lui, conviennent bien mieux que les selfs des aires d'autoroute. S'y arrêter permet aussi de faire une pause un peu plus longue et j'imagine que lorsqu'il conduit sur une longue distance, il apprécie.

J'envoie un petit message à Layla pour lui donner des nouvelles, elle me répond de ne pas traîner en route : une baisse des températures est annoncée sur le centre de la France et il pourrait même y avoir des chutes de neige sur le plateau. Il n'est pas prévu de fermetures des cols, mais je dois être prudent à descendre la côte de la Chavade. Je lui promets de faire attention et de lui envoyer un message quand je serai à Mayres. Au pire, si les conditions deviennent plus mauvaises plus rapidement qu'annoncées par les services de Météo France, je ne rejoindrai pas Antraigues par la nationale, mais en passant par le plateau : même s'il y a un peu de neige, la voiture est équipée en pneus d'hiver et je ne mettrai pas plus de temps à emprunter cette route.

C'est Maurice qui m'avait alerté sur ce point, quand j'avais dit que je devais aller quelques jours sur Paris. Il m'avait conseillé de changer mes pneus, d'aller au garage de Vals pour cela. Son gendre y travaille et il m'a fait ça en un rien de temps et pour une somme modique. Si, à l'aller, le temps était encore beau et sec, dix jours plus tard, c'est effectivement différent. Néanmoins, la neige annoncée n'est pas encore tombée et je peux m'engager dans la descente de la Chavade en toute sécurité.

J'avais été impressionné à l'aller, au retour, je le suis encore plus. Par moment, je parviens à jeter un coup d'œil au paysage, mais je me concentre vraiment sur la route, d'autant que c'est une Nationale et qu'elle est quand même empruntée. Arrivé à Mayres, tout en bas ou presque, je fais une pause et j'envoie un message à Layla pour lui dire que la descente s'est bien passée, que j'avais fait un petit arrêt chez le charcutier à Lanarce. Elle me répond en me disant que ce soir, elle va s'offrir quelques tranches du saucisson et du jambon fumé que je lui ai apportés. Et qu'elle est bien contente de me savoir maintenant dans la vallée.

Il me reste encore presque trois quarts d'heure de route pour atteindre Antraigues et j'y parviens à la nuit tombante. Le gîte est froid, je n'avais pas remis le chauffage encore : quand j'étais parti, il faisait plutôt doux. Mais là, l'humidité et le froid se sont invités et je relance le poêle à bois. Le gîte était pourvu d'une petite provision de bûches, stock laissé par le précédent locataire, mais j'en ai fait rentrer en septembre, grâce à Samuel. Il possède de belles châtaigneraies et il a toujours du bois "en rab" quand il fait l'entretien. Il me l'a vendu pour pas très cher. En échange, j'ai proposé d'aller l'aider quand il s'occupera d'une parcelle. Il m'a dit qu'on profiterait de belles journées d'hiver, froides et ensoleillées, pour cela.

A Lanarce, je me suis acheté une part de tourte au fromage et aux lardons que je réchauffe. Je n'ai plus de légumes, mais j'avais acheté quelques fruits hier ; avec un morceau de fromage, cela fera un repas acceptable pour ce soir. Pour une fois, je m'installe dans le canapé, pas loin du poêle pour dîner, afin de profiter de la chaleur qui commence à s'en dégager.

Layla m'appelle alors que je suis en train de ranger mes dernières affaires. Sa journée s'est bien passée, mais elle se sent un peu fatiguée et ne va pas traîner. Paraît-il que c'est de ma faute car elle n'a pas beaucoup dormi la nuit dernière...

J'espère qu'elle dormira mieux la prochaine. Pour ma part, malgré le voyage, je pense que je vais avoir quelques problèmes de sommeil cette nuit : me retrouver seul après dix jours passés avec elle, ça va être dur.

**

C'est au cours du week-end suivant que Bruno m'appelle. Il savait que je rentrais à Antraigues en milieu de semaine et veut prendre des nouvelles. C'est le début d'après-midi, je m'apprêtais à monter au village pour la partie de pétanque. Comme il fait bon, je demeure sur la terrasse pour lui répondre. Il y a du soleil, c'est une belle journée d'automne : difficile d'imaginer qu'il a neigé sur le plateau et pourtant, c'est le cas.

- Salut, vieux ! Comment vas-tu ?

- Bien, et vous ?

- Ca roule.

- Vous n'êtes pas en balade ?

- Il fait un temps dégueulasse à Paris. Jules regarde un dessin animé avec sa mère et moi, je t'appelle.

- Je vois. Ici il fait encore beau. J'allais partir au village et tu vois, je peux rester sur la terrasse. Bon, j'ai un sweat sur le dos, mais il ne fait pas vraiment froid.

- Veinard !

- C'est ça d'être dans le sud, que veux-tu ! souris-je. Et puis, si ça ne te convient pas, tu n'as qu'à te plaindre à Adèle : après tout, c'est de sa faute si je suis à Antraigues.

- Ouais, c'est ça. Fais ton malheureux tant que tu y es ! Plains-toi d'être à Antraigues. Tu y as pêché une jolie héritière !

- Le fait qu'elle soit une héritière n'est pas tellement le plus important, tu sais. Loin de là.

- C'est sûr. N'empêche que je me demande bien pourquoi tu veux reprendre le boulot : tu pourrais te laisser vivre, faire des randos, continuer tes parties de pétanque, en te faisant entretenir...

- J'y crois pas que c'est toi qui dis ça !

- Hé, ce serait possible, non ?

- Non, répliqué-je en souriant, sachant pertinemment qu'il blague.

- Tu as raison. On a la vocation. Et à ta place, je répondrais la même chose.

- Les gens d'ici ont besoin d'un médecin, Bruno. Comme tout le monde partout en France. Et vraiment, d'avoir remis les pieds en région parisienne, ça m'a fait un choc. Comme si c'était un autre monde, que j'y étais désormais totalement étranger. La vraie vie est ici.

- Et pourtant, Layla sera à Paris. Vous allez faire comment ?

- Pour l'instant, on fait comme on peut. Elle va venir en novembre, une dizaine de jours. Ensuite, je ne sais pas. Je remonterai à Paris de toute façon, peut-être pour les fêtes. Si le dossier administratif avance bien à l'ARS, qu'on a leur accord, voire une petite subvention pour aider à l'installation comme la commune peut y prétendre, il me faudra de toute façon m'occuper de mon déménagement, vendre l'appartement...

- Tu peux confier la vente à un agent immobilier.

- C'est sans doute ce que je ferai, mais pour signer chez le notaire, il faudra que je sois là. Donc ça offre encore quelques perspectives de déplacements, et ce, assez souplement, avant mon installation.

- Tu penses que ça se fera à quelle date ?

- Je n'en sais rien. D'après François, le maire, au plus tôt ça pourrait être au printemps. Mais lui comme moi, on table plus sur l'été prochain. Parce que l'administration, ce ne sont pas des rapides : comme partout dans la fonction publique, ils manquent de moyens. Puis, ils ont un peu de pouvoir, à l'ARS, alors forcément, il faut qu'ils le montrent...

- Ouais... Au fait, tu as eu les éléments de la part de l'Ordre ?

- Oui, de ce côté-là, c'est bon. J'ai tous les papiers.

- Ok, tu nous tiendras au courant pour votre rendez-vous.

- Bien sûr.

Il marque une petite pause, j'entends un vague bruit, comme s'il reposait quelque chose sur la table. Il est peut-être en train de finir son café.

- Sinon, Layla, elle est chouette ! J'en reviens pas qu'une fille comme elle soit originaire d'un tout petit village !

- L'histoire des entreprises françaises regorge de ce genre d'exemples.

- C'est vrai. Elle est canon... Tu ne dois pas t'ennuyer.

Sa remarque me fait sourire :

- Je ne m'ennuie pas.

- C'est bien. Tu le mérites. Profites-en bien !

- C'est dans mes intentions.

- Vous avez l'air de bien vous entendre, en tout cas. C'est chouette. Je suis vraiment content pour toi. Et le moral, alors, ça va ? Même si tu es loin de ta chérie ?

- Ca va. Je tiens le coup. Je pense que ce serait beaucoup plus difficile si c'était l'inverse.

- Comment ça ?

- Si j'étais à Paris et elle ici. D'être à Antraigues, ça m'aide à garder le moral. Parce que j'apprends à connaître de mieux en mieux sa région, que je la découvre en une saison différente, que je comprends bien des choses qui touchent Layla, pourquoi elle y est si attachée. Bref, même si elle n'est pas avec moi, physiquement, elle est quand même présente.

- Je vois, fait-il.

Je le sens un peu dubitatif face à mes explications, mais je ne trouve pas à dire les choses autrement. Ce pays me parle de Layla plus sûrement que si ses proches me parlaient d'elle, me racontaient des tas d'anecdotes ou de souvenirs liés à elle.

**

Je reprends vite mes habitudes et mon petit train-train quotidien. La pluie et le petit coup de froid ont duré deux jours, puis le soleil est revenu. Je repars en randonnée, autour de Balazuc, dans la garrigue au-dessus de Vogüé. Et bien sûr, je rejoins régulièrement les "champions".

Trois semaines après mon retour, avec François, le maire, je me rends auprès de l'ARS. Les bureaux sont à Privas. Nous partons une heure et demie avant notre rendez-vous : même si la distance est courte - une trentaine de kilomètres -, il faut compter près d'une heure pour y arriver, en passant par les petites routes. Durant le trajet, nous échangeons encore pour préparer au mieux ce premier rendez-vous. Il a monté tout un dossier et de mon côté, j'ai rassemblé divers documents : diplôme, états de service, justificatifs divers obtenus auprès de l'Ordre des Médecins et je me suis plongé dans mes bouquins depuis mon retour de Paris.

A l'ARS, nous sommes reçus par une des conseillères. Le rendez-vous dure deux bonnes heures. Parfois, j'ai du mal à suivre certains détails assez techniques et administratifs, mais François semble comprendre, donc je me fie à lui. Heureusement qu'on est venu avec un dossier déjà bien fourni, que François lui remet, car il faut encore certaines pièces. Néanmoins, à l'issue de cet entretien, nous nous retrouvons plutôt satisfaits. Maintenant, reste à patienter. La réponse de l'ARS ne devrait nous parvenir qu'en début d'année prochaine.

Nous regagnons Antraigues après avoir déjeuné à Privas, je tenais à l'inviter et à payer le repas. En arrivant au village, je lui dis de me laisser là, que je vais rejoindre mes compagnons de pétanque. Il en sourit :

- Cela fait plaisir, Alexis.

- Qu'est-ce qui fait plaisir ?

- Que tu te sois bien intégré ici. Les gens t'aiment bien. Et ils sont contents de savoir qu'ils vont bientôt avoir un médecin, et que ce médecin, c'est toi. Et pas quelqu'un qui débarque et qu'on ne connaît pas.

- Pourtant, j'ai débarqué moi aussi, au printemps dernier...

- Oui, mais on a eu le temps d'apprendre à te connaître. Et réciproquement, ajoute-t-il en souriant. Maintenant... Il te reste à prendre l'accent pour être un vrai Antraïgain !

Nous rions et je le salue alors qu'il s'éloigne. En passant, je m'arrête à la boulangerie, demande à Florence de me mettre un pain de côté, que je récupérerai après la partie de pétanque. Mes champions sont là et bien contents de me voir arriver, d'autant que Vincent allait s'en aller. Je prends donc sa place pour quelques parties bien disputées.

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