Chapitre 42

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Layla

- Allo, maman ?

- Bonsoir, ma chérie ! Es-tu bien rentrée ?

- Oui, tout va bien. Je voulais vous rassurer. Serge est venu nous chercher, ma jeune collègue et moi, et nous sommes arrivés sur Paris il y a une petite heure maintenant, le temps de la déposer chez elle et me voilà à Boulogne. Vous allez bien ?

- Oui, oui. Mais je me suis fait du souci à te savoir à Antraigues avec les inondations...

- Tu sais, maman, aux Auches, je ne risque pas grand-chose. Pas même un éboulement de terrain !

- Ne parle pas de malheur ! On a vu les images à la télévision, la crue était impressionnante, quand même.

- Oui, bien sûr. Heureusement que cela n'arrive pas tous les ans. Et cette année, il y a juste des dégâts matériels à déplorer.

- Oui... Bien, tu as passé une bonne semaine là-bas ?

- Oui, bien sûr. Et Maïwenn et moi avons bien avancé sur l'étude.

- Cela soucie ton père quand même, cette idée que tu as de relancer les usines ardéchoises.

- Pour l'instant, c'est juste une idée. Mais il faut voir au-delà et préparer l'avenir. Papa a toujours travaillé ainsi et je ne fais que suivre ses pas. Même si je prends des directions différentes. Bon, mais à part cela, comment allez-vous ?

- Bien ! Gabin nous amène les petits au moins une fois par semaine et je suis tellement heureuse de pouvoir en profiter ! Et ta sœur va bien aussi.

Je souris un instant, puis reprends :

- Maman, je voulais déjà te parler des fêtes.

- Nous ferons comme d'habitude, Layla. Tu arrives dès que tu peux et bien sûr, tu restes quelques jours début janvier, j'imagine ?

- Pas tout à fait, dis-je en mettant de la joie dans ma voix pour ne pas l'inquiéter.

- Ah ?

- Maman, cette année, je ne passerai pas Noël avec vous. En revanche, je viendrai pour quelques jours début janvier, oui.

- Tu... Comment cela, tu ne seras pas là pour Noël ? Mais...

- Maman. Laisse-moi t'expliquer, d'accord ?

- D'accord, laisse-t-elle échapper dans un soupir.

- Maman, j'ai rencontré quelqu'un.

- Oh et...

- Maman...

- Excuse-moi, ma chérie. Je te laisse parler.

- Merci, souris-je. Il s'appelle Alexis, il est médecin.

- C'est une bonne situation, ça ! Oh, pardon, pardon...

J'éclate de rire et elle aussi. Finalement, cette conversation se passe plutôt bien.

- Je t'écoute, ma chérie, reprend-elle. Je t'assure. Oh, mais je suis tellement heureuse pour toi !

- Je me doute qu'il y a déjà une foule de questions à te venir à l'esprit.

- Evidemment ! Il a quel âge ? Il vit à Paris ?

- Maman, tu es quand même incroyable !

Nous rions à nouveau ensemble. Puis j'enchaîne, bien décidée cette fois à ne pas me laisser interrompre :

- Il a trente-trois ans, il travaillait comme médecin urgentiste, mais il envisage de s'installer comme généraliste. A Antraigues.

- A Antraigues ?

- Oui, maman. Il n'y a plus de médecin là-bas depuis le début de l'année. Et ça intéresse Alexis. Mais pour en revenir à Noël, nous aimerions le passer ensemble.

- Ah oui, bien sûr... Enfin, on aurait pu profiter de l'occasion pour faire sa connaissance ?

J'ai réfléchi avant de l'appeler, et j'avais prévu quelques arguments. Je n'aime pas mentir, et encore moins à mes parents, mais je dois faire passer la pilule au mieux.

- Ces dernières années, il a souvent travaillé pour les fêtes. Tu comprends, il était célibataire, alors il prenait les tours de garde à cette période de l'année, pour que ses collègues puissent en profiter, surtout ceux qui ont de jeunes enfants. Mais cette année, c'est son tour d'être libre pour Noël, donc...

- Ah oui, je comprends, donc vous le passerez avec sa famille ?

- Très certainement.

Maman, parfois, tu es géniale ! Elle a deviné ce que j'allais dire, m'évitant alors d'avoir à me lancer dans de longues explications. Je reprends :

- Et donc, je vais en reparler avec lui, mais peut-être qu'il pourra m'accompagner à Bordeaux pour le Nouvel An. Tout va dépendre comment cela s'organise de son côté.

- Oui, bien sûr, soupire-t-elle. Ce n'est pas facile dans ce milieu-là... On l'a bien vu pour ton père, même s'il a été très bien pris en charge...

- Je sais, maman, Alexis a eu l'occasion de me parler aussi de ses conditions de travail. Bien, je voulais donc te dire que dès que nous aurons plus de précisions pour sa fin d'année, je te confirmerai si je viens avec lui ou pas pour ces quelques jours.

- Très bien. En tout cas, je serai ravie de faire sa connaissance et papa le sera également. Tu sais que ça le soucie aussi... Que tu te consacres autant à l'entreprise, que tu n'aies pas beaucoup de temps pour penser à toi, pour vivre pour toi. Nous avons connu cela tous les deux, mais c'était encore différent... Toi, tu es une jeune femme et c'est plus difficile encore d'être à la tête d'une société. Je n'aurais pas voulu que tu y sacrifies ta vie personnelle... Alors, oui, je suis très heureuse de cette nouvelle !

- Moi aussi, maman, je suis heureuse de pouvoir vous l'annoncer. Et je peux t'assurer que si jamais Alexis ne pouvait pas venir avec moi la prochaine fois à Bordeaux, on s'arrangera pour aller vous voir très vite.

- D'accord. Mais je comprends, ma chérie. Faites au mieux, tous les deux, en fonction de vos impératifs. Prends bien soin de toi, en tout cas.

- Ca va, maman. Je vais bien.

Je l'entends sourire quand elle reprend :

- Est-ce que c'est lui qui t'avait prescrit de la confiture de myrtilles pour ton moral ?

Je lève un instant les yeux au plafond. Cela n'avait pu lui échapper.

- Oui, maman. Tu vois : il prend soin de moi.

- Alors c'est bien. Allez, je t'embrasse. Essaie de récupérer de ton déplacement un peu aventureux et bon courage pour ta fin de semaine !

- Merci, maman. Je vous embrasse tous les deux ! A bientôt !

Et nous raccrochons. Je me doute que maman tiendra difficilement jusqu'au week-end, car elle découvrira encore bien des questions à me poser au sujet d'Alexis, surtout qu'elle va en parler à mon père et que celui-ci voudra en savoir plus également. Mais d'ici là...

Alexis

Le départ de Layla est, comme les fois précédentes, difficile à vivre, mais je me replonge vite dans diverses occupations. Avec les fortes pluies, le terrain de boules est détrempé et on ne rejouera pas d'ici un moment, le temps que le ciel se remette au sec. Je me rends cependant dès le mardi matin au village, m'inquiète auprès des commerçants de savoir si tout le monde va bien, s'il n'y a pas eu de gros dégâts dans les alentours, ni de gens en difficulté. Puis je regagne mon gîte où je range les quelques provisions ramenées des Auches.

Une fois passé l'épisode cévenol, la vie reprend son cours, comme celui de la rivière dont la crue a vite diminué. On en voit quelques stigmates sur les côtés, mais les dégâts sont limités, du moins à Antraigues et Asperjoc. A Labégude, le pont a été coupé à la circulation et doit subir une inspection pour vérifier qu'il n'a pas été fragilisé. De même à Saint-Didier et on voit s'activer les employés des services de l'Equipement. Comme je n'ai pas de raison d'aller au-delà de Vals-les-Bains, je ne m'aventure pas dans la vallée.

Avec l'élu chargé des affaires sociales, je continue à réfléchir à l'organisation du cabinet médical ; avec l'employée de l'ARS avec laquelle je suis en contact, je prépare les commandes de matériel. Petit à petit, les choses se précisent, tant dans mon esprit que sur le plan matériel, et c'est ainsi qu'avant les fêtes, je peux m'estimer à peu près opérationnel. Je serai prêt à démarrer l'activité dès que nous aurons le feu vert de l'ARS, sachant qu'il y aura quand même tout l'équipement du cabinet médical à commander et à installer. Il est possible que les choses puissent se faire finalement au printemps, même si François tempère mon enthousiasme : oui, nous, côté médecin et municipalité, nous sommes prêts. Côté ARS, c'est autre chose...

Décembre est un mois en creux. Les fêtes approchent, le froid s'installe, même dans la vallée. Un matin, je découvre Antraigues sous la neige, le volcan et toutes les montagnes alentours tout blancs. Le ciel est bas, gris, pas un rayon de soleil ne perce. Tout est silencieux, ouaté. Je ressens comme un grand calme émanant du paysage et se communiquant à moi.

Je n'avais pas particulièrement appréhendé de me retrouver ici en plein hiver, de vivre à un rythme différent, de découvrir encore d'autres facettes des habitants, du village, du quotidien. L'été et au printemps, tout est doux, chaud, chaleureux. L'automne, l'activité est importante avec la châtaigne. Mais l'hiver... L'hiver, c'est le temps du repli, mais je me rends vite compte que les gens continuent à se voir beaucoup, même si les opportunités sont différentes. La salle du bar de "La Montagne" ne désemplit pas, on se croise dans les commerces, on discute, on prend des nouvelles les uns des autres. Régulièrement, les commerçants comme les habitants me demandent "si ça avance". Je les rassure au mieux, sans trop m'engager, en espérant bien que "ça avance, justement". Je les sens à la fois impatients et parfois un peu inquiets. Eux aussi comptent bien que l'ARS donne son aval.

Avec Layla, nos échanges sont réguliers, soutenus. Je lui envoie toujours des photos, même si je ne randonne quasiment plus. Je démarre les échanges de la journée par des sms et je la laisse me téléphoner le soir en fonction de son emploi du temps, de sa fatigue. Parfois, elle me répond juste par un message, après une grosse journée et je la laisse alors prendre du repos. Parfois, elle est plus tranquille, moins fatiguée et nous passons un moment à discuter.

Elle me raconte très vite les échanges qu'elle a eus avec ses parents, et principalement sa mère, au sujet des vacances de Noël. Et leur grande curiosité à mon égard. C'est logique et je comprends que Layla ait eu envie de leur parler de moi, de nous deux. Elle se demande cependant comment organiser tout cela. Elle la reine du planning se trouve un peu chamboulée.

Il faut dire que si décembre est assez calme de mon côté, du sien, il n'en est rien : tous les bilans sont à réaliser et parfois à communiquer à certaines instances. Les réunions s'enchaînent aussi. De ce qu'elle m'en dit, Maïwenn avance bien et a déjà réalisé quelques projections concernant l'évolution des coûts de fabrication à l'étranger.

Un soir que nous discutons tranquillement, je lui dis :

- Layla, j'ai l'impression que tu essayes de faire rentrer un carré dans un rond, ou l'inverse et que c'est trop petit.

- Tu crois ?

- Oui. J'ai réfléchi de mon côté pour les fêtes. Avec tous tes impératifs : notamment ta présence quasi-obligatoire à l'usine de Libourne en début d'année, mais aussi tes rendez-vous à Paris, le pince-fesses du Medef et les vœux que tu veux pouvoir offrir à tes employés du siège.

- Cela réduit considérablement mon temps de présence chez mes parents, tu sais ?

- Je l'ai bien en tête. Voilà ce que je te propose : tu viens pour Noël ici à la date que tu veux. Soit Serge te conduit, soit je te récupère à Montélimar. Ensuite, on part tous les deux à Bordeaux, au plus tard le 30 décembre, pour passer le Nouvel An avec tes parents. Et je reste avec toi, je te ramène à Paris. Je n'ai pas d'obligations pour redescendre à Antraigues début janvier. François est parvenu à obtenir un rendez-vous à l'ARS pour le 24 seulement. Comme il le dit, ils ne sont pas pressés, eux. Bref. Tu vois. Je peux donc te ramener en région parisienne et y rester un peu avec toi.

- C'est vrai que ça paraît plus simple ainsi... Et ça permettrait à Serge de prendre des vacances, de ne pas être obligé de venir me chercher à Antraigues avant le Nouvel An, puis de redescendre à Bordeaux. Il mérite bien de profiter aussi de cette période.

- Donc, tu vois, ce que je propose est finalement le plus simple, non ?

- Oui. Et nous pourrons rester quelques jours, peut-être une petite semaine, à Bordeaux, pour voir ma famille, les parents de maman aussi.

- Cela ne me pose pas de soucis. Et cela nous permettra de rester ensemble sur la durée. Et on s'adaptera en fonction de ton prochain séjour à Antraigues et des réponses de l'ARS de mon côté. Ca nous laisse le temps de voir pour la suite.

- Tu es rassurant, tu sais ? Tu aurais fait un redoutable planificateur !

- Je pense que j'aurais détesté cela ! dis-je en riant.

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