Chapitre 47

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Alexis

- Tata !

Un petit bolide traverse en courant le couloir.

- Bonjour, mon Jacob ! dit Layla, tout sourire, en le prenant dans ses bras. Tu vas bien ?

Elle le repose aussitôt, car il n'est pas petit et doit peser son poids.

- Oui !

- Bonjour, tata !

Plus posé, son petit frère le suit et s'approche à son tour. Layla se penche et le soulève. Il entoure son cou de ses bras et lui pose deux gros baisers sur les joues.

- Bonjour, mon Maxime. Et toi ? Vas-tu bien ?

- Oui, tata ! Et toi ?

- Oui.

- J'ai fait un dessin pour toi. Et pour Alexis aussi.

- C'est gentil, viens lui dire bonjour.

Et Maxime glisse des bras de Layla, mais reste à ses côtés, alors que Jacob est déjà en train de profiter des câlins de sa grand-mère.

- Salut, sœurette ! Joyeux Noël un peu en retard... Tes neveux comme cadeau pour le Nouvel An, ça te va ?

- Bien sûr, frérot !

Je reste un peu en retrait, assistant à ces retrouvailles. J'ai vu des photos de tout ce petit monde aux Auches, dans le cadre patchwork que Layla a accroché sur un des murs du salon. Les garçons ont un peu grandi, mais je les reconnais sans peine, de même que son grand frère, Gabin. Même cheveux blonds que sa sœur, presque aussi grand que moi. Un doux sourire et cet air rêveur qui ne le quitte guère. Rêveur, mais enchaînant des lignes de code toute la journée pour la mise au point de logiciels très pointus. Avec son côté toujours "à l'ouest" comme le qualifie sa sœur, il aurait pu être artiste. Il est au contraire une "tête" en informatique. Je ne suis pas certain qu'on parle le même langage lui et moi, mais il m'est d'emblée sympathique et me salue simplement :

- Bonjour, Alexis. Ravi de faire ta connaissance !

- Bonjour, Gabin. De même. Et de voir tes garçons. Layla m'a beaucoup parlé de ses neveux !

- De vraies fripouilles. Vous allez passer une soirée d'enfer !

- Tu dis n'importe quoi, mon grand ! fait Liliane. Ils sont toujours très gentils.

Jacob est passé devant moi comme une flèche, pour entrer dans le salon où nous attend son grand-père. Il s'approche du fauteuil, s'appuie sur l'accoudoir et lui fait la bise. Je note le grand sourire de Dominique. Comme bien des grands-parents ayant traversé une épreuve, se raccrocher à ses petits-enfants l'a certainement aidé.

Mon regard se reporte vers Maxime, campé devant moi, l'air sérieux. Layla m'a fait part des quelques interrogations suscitées à son sujet dans la famille et même sans être spécialiste, je vais vite en conclure que Maxime est certainement surdoué.

- Bonjour, Alexis, me dit-il. Je m'appelle Maxime. Layla, c'est ma tante.

- Bonjour, Maxime. Enchanté de te connaître. Tu as quel âge ?

- On dit "quel âge as-tu ?" me reprend-il avec un sourire avant de répondre : J'ai cinq ans. Et toi ?

- J'ai eu trente-trois ans cette année.

Il hoche la tête et ajoute, comme une évidence :

- Tu as vingt-huit ans de plus que moi, alors. Et six de plus que tata.

- Exact. Tu sais bien compter.

- Oui. Les chiffres, c'est amusant.

- C'est vrai.

- Les lettres aussi.

Et il attrape mon bras pour me faire me pencher vers lui et me murmure à l'oreille :

- Il ne faut pas le dire, mais je sais déjà lire. Je veux faire la surprise à tata.

- D'accord. Promis, je garde ton secret.

Et il affiche un nouveau grand sourire avant de rejoindre son frère pour embrasser à son tour son grand-père.

**

Gabin ne demeure pas très longtemps avec nous, il doit rejoindre sa femme, Margot, pour la soirée. Il est à peine parti que Justine arrive avec ses grands-parents, les parents de Liliane. Elle avait proposé d'aller les chercher pour qu'ils passent la soirée avec nous et les petits. Ils sont déjà âgés, mais se portent plutôt bien, de ce que m'en a dit Layla. Hormis le fait que son grand-père connaisse une surdité marquée, mais il est appareillé. Il parvient à entendre, à condition qu'il n'y ait pas plusieurs conversations à se mêler et qu'on lui parle distinctement.

Justine, quant à elle, est un véritable petit tourbillon. Elle embrasse ses parents, ses neveux sans s'arrêter au fait qu'ils la retiennent chacun par un bras, avant de déposer deux bises sonores sur les joues de sa sœur, puis sur les miennes.

- Salut, Alexis ! Contente de te rencontrer ! Il était temps que Layla nous amène un copain ! Mon chum, Luc, s'ennuie à mourir lors des discussions avec Gabin !

- Luc est ennuyeux à mourir à lui tout seul, lance Layla en plaisantant.

- Arrête... fait Justine. Bon, je file, je vous laisse avec papi-mamie. Je suis attendue ! A demain, mais je ne sais pas à quelle heure on passera !

Et elle entend à peine que tout le monde lui souhaite un bon réveillon.

J'échange un regard un peu surpris avec Layla qui s'amuse grandement.

- C'est Justine... fait-elle. Ne cherche pas. Et encore, je dirais qu'elle s'est attardée ! En d'autres temps, elle aurait été encore plus rapide...

- Ma foi...

- Allez, viens, je vais te présenter à papi et mamie. Avec une telle tornade, on les oublierait presque.

Nous saluons donc les grands-parents qui, le temps que passe la "tornade", sont entrés dans le salon. La mamie de Layla me fait même la bise, alors que sa mère m'avait salué d'une poignée de main, hier. La poigne du grand-père, en revanche, vaut bien celle de son gendre : ferme et appuyée. Je sens d'emblée que j'ai affaire à quelqu'un qui a du caractère.

Nous nous retrouvons tous ensuite dans la salle à manger. L'heure du repas approche, nous avons convenu de ne pas veiller jusqu'à minuit. Du moins, les parents et grands-parents ne le feront pas, mais si les petits tiennent le coup, nous les emmènerons, Layla et moi, admirer le feu d'artifice qui sera tiré à Libourne, au-dessus de la Dordogne. On peut le voir depuis la rive gauche, sans être obligés de traverser. Ce n'est pas très loin. Je note de boire modérément, afin d'être capable de conduire.

C'est une soirée très agréable. Le repas est délicieux, bien plus riche que tout ce que j'ai mangé ces derniers temps, et fidèle à la région : foie gras, magrets en rôti aux herbes, plateau de fromages et en dessert, une omelette norvégienne "pour faire léger". Les deux garçons ont bon appétit. Même s'il est plus posé, Maxime n'est pas le dernier à s'amuser. Ils demeurent avec nous à table une bonne partie du repas. Pas facile pourtant, à cet âge, de rester en place.

- Tata !

- Oui, Jacob ?

- Est-ce que le Père Noël est passé à Aizac ?

- Bien sûr, sourit-elle. Je crois qu'il a même laissé des cadeaux pour vous !

- Oh ! Et tu les as apportés ?

- Bien sûr que tata les a apportés, intervient Maxime. Cela aurait été trop bête de les laisser là-bas ! On n'y va jamais...

J'enregistre presque une petite note de regret dans la voix de Maxime. Il est possible qu'il aimerait découvrir ou redécouvrir l'Ardèche, mais Layla m'avait laissé entendre que son frère et sa sœur ne revenaient quasiment jamais à Aizac. Qu'ils avaient vu la maison une fois, après les travaux, soit il y a trois ans environ, mais qu'ils n'y étaient pas retournés depuis. Peut-être sont-ils très pris aussi, sans oublier les soucis pour leur père et le fait qu'ils préfèrent rester à proximité l'un comme l'autre. J'en saurai sans doute plus au fil du temps...

Layla

Impossible d'échapper aux cadeaux. Après le fromage sur lequel presque tout le monde a fait l'impasse - Alexis prenant juste une lichette de chèvre -, je remonte dans ma chambre pour distribuer nos cadeaux. Alexis voulait absolument apporter quelque chose à mes parents, et je l'ai donc aidé à faire le choix.

Ce sont évidemment Maxime et Jacob qui déballent les leurs en premier, sous les regards attendris de tous les adultes. Ils ont chacun une boîte de légos, deux livres, dont l'un choisi par Alexis. Jacob s'émerveille devant celui sur les dragons alors que Maxime a les yeux qui brillent en découvrant un joli livre de contes. Il tourne une page et commence à lire à voix haute :

- Il était une fois, un petit garçon et une petite fille qui vivaient avec leurs parents dans une chaumière, au fond des bois...

Tout le monde en reste médusé.

- Maxime ? s'exclame finalement maman. Mais... Tu sais lire ?

- Oui, mamie ! C'est facile de lire... Il suffit de bien reconnaître les lettres. Et après, on devine les sons quand on connaît les mots...

Tout le monde échange un long regard. Seul Alexis ne paraît pas surpris, mais je ne m'attarde pas, pour l'instant, à ce détail. Papa finit par soupirer :

- Tu nous surprendras toujours, Maxime. Mais donc, lis-nous cette histoire, puis Jacob nous racontera un passage de celle du dragon.

La différence entre les deux frères saute aux yeux, ou du moins, frappe les oreilles. On ne dirait pas que Jacob a deux ans de plus et qu'il se trouve en deuxième année de primaire, qu'il apprend à lire depuis plus d'un an. Certes, il sait lire, mais sa diction est encore un peu lente, parfois hésitante sur un mot. Et il doit mettre le doigt sous la ligne qu'il est en train de lire pour se repérer. Alors que Maxime tient son livre bien droit devant lui et lit très aisément, avec un naturel totalement désarmant.

Mes grands-parents les félicitent tous les deux et mamie leur fait un bisou à chacun. Je me souviens avec attendrissement du jour où Gabin avait annoncé à toute la famille réunie que Margot, sa femme, était enceinte. Nos grands-parents étaient ravis de l'arrivée de cette nouvelle génération.

Un voile de tristesse passe cependant dans mon regard à évoquer ce souvenir : je sais que Tantine aurait aimé voir les enfants de Gabin, au moins le premier. Mais la faucheuse l'avait emportée avant...

La main d'Alexis glisse sur mon genou, me tire de mes pensées. Je me tourne vers lui, son bref froncement de sourcils me fait comprendre qu'il a dû saisir ma courte tristesse. Je lui souris avec tendresse.

**

- Tata !

- Oui, Jacob ?

- Il va être beau, le feu d'artifice ?

- J'espère, oui.

C'était évident que les garçons allaient veiller. Après avoir avalé deux cuillères d'omelette norvégienne, ils ont grimpé dans la salle de jeux et ont commencé à monter leurs légos. Ils voulaient embarquer Alexis avec eux, mais maman leur a fait comprendre que les adultes devaient rester un peu ensemble. Alexis a promis de les aider demain.

Nous nous retrouvons donc tous les quatre dans la voiture. Alexis conduit en direction de Libourne, je lui indique la route à prendre. Les garçons sont ravis et je suis très heureuse de leur offrir ce petit cadeau, de passer le cap de la nouvelle année avec eux. Et avec Alexis aussi, bien sûr.

Après une vingtaine de minutes de trajet, nous arrivons le long de la Dordogne. Je préfère cette rivière à la Garonne, sans vraiment pouvoir expliquer pourquoi. Peut-être parce qu'elle traverse une région plus sauvage ou peut-être parce qu'elle est née dans le Massif Central, comme la Loire et l'Ardèche. Et non dans les Pyrénées, comme la Garonne. Et que le Puy de Sancy est un des plus beaux volcans de la région. "Après celui d'Aizac, bien sûr", ajoute la petite voix de ma conscience chauvine.

Ma mère a veillé à ce que les garçons s'habillent chaudement, nous sommes bien emmitouflés, Alexis et moi également. Nous nous sommes dit qu'au pire, si nous avons trop froid, nous reprendrons place dans la voiture. Il y a un peu de monde autour de nous, mais beaucoup moins qu'à Libourne. Nous sommes une demi-heure avant minuit, et autour de nous, les conversations joyeuses vont bon train.

- Est-ce qu'il faut faire un vœu, tata ? me demande Maxime.

- Tu peux si tu en as envie, oui.

Nous prenons place le long de la rive. D'emblée, Jacob s'est collé devant moi et Maxime devant Alexis. Nous les tenons tous les deux par les épaules. C'est un bonheur tout simple, un moment de partage et de joie. Les premiers feux illuminent le ciel, les garçons s'émerveillent et nous aussi. Un moment, la main d'Alexis quitte l'épaule droite de Maxime pour venir chercher la mienne. Nous échangeons un sourire avant de reporter notre attention sur le spectacle. Les garçons s'exclament à chaque tir. Il faut bien reconnaître que le feu est très beau. Puis le décompte s'annonce autour de nous, et nous changeons d'année alors que le bouquet final s'étale dans le ciel.

- Bonne année, mon amour, me souffle Alexis en déposant un léger baiser sur mes lèvres.

Et j'ai juste le temps de lui répondre avant que les garçons ne se tournent vers nous et ne nous souhaitent aussi une bonne année.

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