Chapitre 63

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Alexis

- Il reste encore beaucoup de neige...

- Ce n'est pas étonnant à cette période de l'année, me répond Layla. L'hiver est souvent long, sur le plateau. Bien plus que dans la vallée.

- C'est beau. Et bien différent de cet automne, quand j'y suis venu pour la dernière fois.

Ce dimanche de Pâques, dernière journée complète que Layla va passer ici, nous avons décidé de monter sur le plateau. Elle avait envie de revoir ces paysages et nous ne nous y étions pas rendus de tout l'hiver, pour ne pas nous retrouver à circuler dans des conditions peut-être difficiles, auxquelles nous n'étions pas habitués, l'un comme l'autre. Mais en cette fin mars, les routes sont bien dégagées et praticables, même si le paysage est encore recouvert par une importante couche de neige.

De-ci, de-là, on voit émerger des formes qu'on devine créées par des rochers, des petits arbustes. Sur le plateau, la nature est encore bien endormie. Pas de fleurs, mais Layla m'assure que dès que la neige aura fondu, les champs se couvriront de jonquilles, de crocus, puis de violettes. Je projette déjà d'y revenir pour un prochain week-end, dans le courant du mois d'avril afin de lui envoyer quelques photos.

Comme à chaque visite, nous allons jusqu'au pied du Mont Gerbier de Joncs. Les chalets sont fermés, mais quelques promeneurs se sont arrêtés pour marcher un peu, admirer le point de vue. Nous descendons jusqu'à la ferme, pour regarder couler la source. L'eau est glacée, mais Layla ne peut s'empêcher d'en boire quelques gorgées.

- Hou ! fait-elle en riant et en relevant la tête. Elle est très froide !

- Tu vas te faire mal à l'œsophage, lui fais-je remarquer.

- Tu as raison, docteur. Mais c'est tellement bon ! Elle est si pure...

Je souris :

- Comme celle de la source d'Aizac. C'est un élixir de jouvence ?

- Pas du tout. Juste quelques gouttes d'une potion miracle pour me permettre de tenir jusqu'à la prochaine visite.

Son regard se voile d'une ombre triste en prononçant ces mots. Je l'enlace aussitôt, la garde un instant tout contre moi. Elle se love entre mes bras, puis je l'embrasse tendrement. Ses lèvres sont glacées par l'eau qu'elle vient de boire. Je m'efforce de les réchauffer. Lorsque nous rompons notre baiser, le voile a disparu et elle sourit simplement. Nous quittons alors la petite ferme au toit de lauzes pour rejoindre la voiture. Nous rentrons en faisant un détour par Sainte-Eulalie, avec un arrêt quasi-obligatoire à la charcuterie du coin qui propose d'excellents produits de montagne, puis nous rentrons par une route que je n'ai encore jamais empruntée, par Sagnes-et-Goudoulet qui nous permet ensuite, après quelques beaux virages, de rejoindre Burzet.

Lorsque nous arrivons aux Auches, c'est déjà la fin d'après-midi. Le soleil ne nous a pas quittés de la journée, nous permettant de bien apprécier cette sortie dans un paysage encore hivernal, avant de nous retrouver ici, au printemps. Tout autour de la maison des Auches fleurissent des bouquets de jonquilles et de narcisses et on voit émerger ça et là les premières tulipes. Le carré de pelouse qui s'étend jusqu'à la première murette est constellé de crocus de toutes les couleurs : blancs, jaunes, mauves, et dans les petits creux, un peu abritées, se trouvent de jolis tapis de primevères.

- Tantine entretenait bien son jardin, tout autour de la maison, me dit Layla alors que je me penche pour respirer le délicat parfum des primevères. Je n'ai pas le temps de m'en occuper, mais je suis contente de voir que les fleurs sont toujours là et reviennent pour chaque printemps.

- Les bulbes sont résistants. Il arrive qu'ils finissent par s'épuiser, dis-je. Mais les variétés que ta Tantine avait plantées devaient être bien adaptées.

- Je pense que pour beaucoup, ce sont des fleurs sauvages. Les primevères notamment. Et elles se ressèment aisément.

Nous demeurons quelques instants sur la terrasse, à admirer la vue. J'ai enlacé Layla, elle se tient debout devant moi, et nous regardons tous deux dans la même direction.

- Tout cela va me manquer encore plus, soupire-t-elle. Toi, les Auches, Aizac, Antraigues, la vallée... J'espère que l'étude de Maïwenn arrivera à la conclusion que la solution la meilleure sera la restauration et la relance des usines ici. J'aimerais vraiment, car cela m'amènerait à revenir ici régulièrement, comme ces derniers mois. A passer plus de temps ici que je n'ai pu le faire ces dernières années.

- Je comprends. Quel est ton ressenti, à l'heure actuelle ? Et celui de Maïwenn ?

- Nous manquons encore d'éléments pour nous prononcer pour l'une ou l'autre solution. Je veux dire, entre l'extension de l'usine de Libourne et la relance ici. En revanche, c'est déjà une évidence qu'il faut relocaliser. Bien sûr, nous pourrions encore fabriquer durant plusieurs années les emballages à l'étranger, en profitant de prix et de conditions sociales avantageuses. Mais tôt ou tard, cela coûtera plus cher. Tu entendras des tas d'industriels dire qu'ils continuent à profiter de cette situation et que le moment venu, ils verront bien. Tout juste certains anticiperont-ils un petit peu. Moi, je ne veux pas me retrouver dans la situation de devoir tout faire dans l'urgence et pour des coûts élevés. Même si l'investissement va peser lourd. Je ne veux pas me retrouver au pied du mur quand la crise arrivera. Car elle arrivera.

Je hoche la tête. La façon dont Layla envisage l'avenir, sa vision économique, me font réfléchir à des questions que je ne m'étais jamais posées, que je n'envisageais même pas. Tout au plus, cela était loin et flou. Avec elle, face à l'exemple de sa propre entreprise, les choses sont plus concrètes désormais. A l'entendre, je pense aussi à la conversation que j'avais eue avec Serge, lorsqu'il m'avait appris que cette maison des Auches était la résidence principale de Layla et qu'elle aurait aimé, au moins au cours des premières années de sa vie professionnelle, pouvoir y résider plus longtemps. Il est possible que cette espérance se concrétise prochainement. Je n'ose cependant pas faire allusion à cette conversation, ni à ses attentes.

Layla

Je sens bien que j'ai un petit coup de blues, ce soir. Revoir le plateau m'a plongée dans une légère tristesse que j'ai bien du mal à secouer. J'aurais aimé être joyeuse pour cette dernière soirée avec Alexis, mais j'ai du mal et par moment, je ne parviens pas à sourire aussi franchement que je le souhaiterais, à rire d'aussi bon cœur. Nous passons cependant une soirée agréable, il m'entoure de sa tendresse et cela me fait du bien.

Mais après notre première étreinte, alors que je le serre tout contre moi, je ne peux retenir mes larmes. Pourtant, la perspective de revenir pour une semaine de vacances début mai n'est pas loin et dès demain, je me raccrocherai à cette idée. Je n'ai pas le choix, de toute façon.

- Layla ?

La voix grave et chaude d'Alexis fait courir un long frisson dans tout mon corps et je referme encore plus étroitement mes bras autour de lui. Il soupire, son visage demeure dans mon cou, mais ses lèvres effleurent ma clavicule.

- Chérie... Ne pleure pas, me murmure-t-il. Prends tout ce que tu peux, tout ce que tu veux.

Je ferme les yeux avec force et retiens difficilement un hoquet.

- Je t'aime. Je suis avec toi. Tout le temps. Je pense beaucoup à toi, tu sais. Même dans la journée. Dès que je le peux, j'ai une pensée pour toi.

- Je sais, parviens-je à lâcher. Je n'en doute pas. Je ne doute pas de toi. Jamais.

Je sens son sourire se dessiner sur sa bouche.

- Moi non plus, je ne doute pas de toi. Je sais que tu es forte et que tu le seras encore. Mais tu as le droit de laisser voir tes faiblesses. Et je suis là aussi pour ça.

Il s'écarte alors de moi et son regard doré plonge dans le mien. Je n'ai jamais vu autant d'amour et de tendresse dans les yeux d'un homme, du moins pour moi-même. Et ce feu qui y brûle est si doux, si réconfortant, si encourageant aussi !

Ses doigts caressent lentement mon visage, de ma tempe à ma gorge.

- Layla... Je ne suis jamais tombé amoureux avec autant de force et d'intensité qu'avec toi. Même si je garde de beaux souvenirs de mes émois d'adolescent. Les études, puis le travail ne m'ont pas mené vers le chemin d'une relation stable et inscrite dans la durée. Avant toi. Alors oui, on vit loin l'un de l'autre au quotidien. Et ce n'est pas facile. Mais on a quand même la possibilité de se voir régulièrement, de se parler au quotidien.

- Je sais tout cela, lui dis-je doucement. Je m'y accroche.

Il me sourit avec tendresse :

- Je sais que ce qui te pèse aussi, c'est de partir d'ici. A chaque fois, tu dois t'arracher à ton pays. Et je comprends que ce soit dur, car je ressens quelque chose de similaire à chaque fois que j'en suis reparti. Même si c'était pour te voir. Et que j'étais heureux de faire ce voyage pour toi. Je dis cela pour que tu saches que je ne suis pas indifférent à cet arrachement que tu ressens. Que ce n'est pas seulement parce que tu me quittes pour quelques semaines que c'est difficile pour toi.

- C'est vrai, tu as raison. Ca a toujours été difficile pour moi de quitter ma maison, mon village, mon pays. C'est ma terre. Même si j'en emmène toujours un petit morceau au fond de mon cœur. Et c'est vrai aussi que c'est plus dur parce que toi, tu restes là. Et en même temps... En même temps, c'est plus facile.

- Explique-moi ? demande-t-il en haussant légèrement les sourcils.

- Parce que je sais, au fond de moi, j'ai toujours su, que je n'aurais jamais pu me lancer dans l'aventure d'une vie à deux avec quelqu'un qui n'aurait pas aimé mon pays, qui ne s'y serait pas senti bien. Je ne dis pas que j'imaginais que cette personne y vivrait ou s'y serait installée, comme tu l'as fait. Mais qu'au moins, lui et moi y serions venus à chaque opportunité et qu'il aurait pris plaisir à y passer du temps, des vacances.

- Or moi, j'y vis. Et je prends du plaisir à y vivre au quotidien. C'est une différence avec ce que tu avais imaginé.

- Et c'est en cela que c'est plus facile. Pour moi. Quand j'ai un coup de blues, parce que tu me manques, parce qu'Antraigues me manque, parce que ma maison me manque, alors je me dis que tu y es, que maintenant, tu y travailles. Et que tu y es bien. Et ça m'encourage.

Son regard se fait plus profond et plus étincelant à la fois, comme si une petite flamme venait de s'allumer au fond de ses paillettes dorées. Il vient prendre mes lèvres pour un baiser tendre et doux, et je me blottis plus encore entre ses bras.

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