Chapitre 65

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Alexis

Ce lundi soir, jour du départ de Layla, je retourne aux Auches. J'ai pris un verre en terrasse avec "les champions", puis j'ai fait un arrêt rapide chez moi, pour prendre quelques affaires et notamment ma sacoche médicale. Je ne la laisse jamais au cabinet, non par crainte d'un vol, mais pour l'avoir avec moi en cas de nécessité. Puis je prends la route d'Aizac.

La maison est telle que nous l'avons laissée en début d'après-midi. Le parfum de Layla flotte encore dans chaque pièce et principalement dans sa chambre. Il est déjà tard, je décide de ne pas faire de feu dans la cheminée. Je commence par ranger tout ce qui doit l'être, faire un peu de ménage, puis je réchauffe mon repas et descends dîner dans le salon. Mon regard se perd dans les dernières lueurs du jour qui parent la montagne, mais navigue aussi sur les photos accrochées au mur. J'identifie bien désormais chacune des personnes présentes, même si Layla ne m'a pas forcément parlé de toutes. Je m'attendris aux sourires de Jacob et de Maxime, et demeure un moment à fixer les photos de l'usine. J'y vois les traits du passé, des prémices d'un développement industriel à l'échelle de tout un pays.

Et j'y vois aussi l'avenir.

**

Si j'ai décidé de demeurer aux Auches ce soir, ce n'est pas seulement pour assurer à Layla que j'allais m'occuper de la maison, d'éteindre le chauffage, de vider le réfrigérateur, de verrouiller la bouteille de gaz et autres petites attentions.

C'est aussi parce que je ne me sens pas le courage de me retrouver seul chez moi et que j'ai besoin de ressentir encore sa présence. Et ici, elle est partout. Et ça me fait du bien. Dès la première fois que je suis venu ici, j'ai trouvé que cette maison était belle, agréable et offrant un point de vue incomparable sur la vallée de la Volane et sur Antraigues. Mais elle est plus. Elle est le cocon de Layla, son point d'ancrage dans son pays comme dans sa vie. C'est là que tout a commencé pour elle et là qu'elle s'efforce autant que possible de continuer.

Par des touches discrètes, elle a conservé la présence de ses aïeux et de sa tantine. Cette maison a une âme et je l'ai toujours ressenti de façon très forte.

Layla me téléphone assez tard, une fois rentrée chez elle. Le voyage s'est bien passé, mais je devine les efforts qu'elle fournit pour ne pas me montrer sa tristesse et ce petit coup de blues qui l'étreint. Je la rassure en lui disant que je suis aux Auches et que je me suis occupé du rangement, que je vais y passer la nuit et que je ne rentrerai chez moi que demain. Notre conversation se termine par quelques mots doux, je m'efforce de la faire sourire.

Layla

- Alors, Layla, comment s'est passé ton séjour ?

- Bien, Laurent. Nous avons bien avancé. Les chargés d'études aussi. Cette rencontre et les visites des usines étaient nécessaires, pour eux aussi. De ce qu'il en est ressorti, je m'attends à ce qu'ils fassent assez vite parvenir les résultats de leur travail à Maïwenn. Il va falloir rapidement programmer son voyage en Thaïlande et en Turquie.

- Pas de soucis. Je vois cela avec elle et Jean-Michel.

Je hoche la tête. Laurent a bien compris la nécessité que Maïwenn soit accompagnée pour ce voyage. Sans compter que Jean-Michel lui fournira des données complémentaires, puisqu'il connaît le fonctionnement des deux usines sur le bout des doigts. Il poursuit :

- As-tu déjà une date en tête pour présenter les premiers résultats de l'étude de Maïwenn à toute la direction ? Valérie m'en a parlé cette semaine.

- Oui. Je pense qu'avant l'été, nous pourrions avoir toutes les données utiles pour prendre une décision.

Il lève à peine un sourcil étonné, affiche un air satisfait.

- Elle est vraiment très impliquée, continué-je. Le projet lui plaît beaucoup. Tu as fait un bon choix.

- Je m'attendais bien à ce qu'elle fournisse un gros effort et un bon travail, sourit-il. Je suis content qu'elle confirme avec cette première étude d'envergure tout ce dont je la sentais capable. Je t'avoue que, malgré cette confiance, il m'est arrivé de me demander si ce n'était pas un trop gros chantier pour une seule personne.

- Elle est très rigoureuse et très bien organisée. Elle ne se disperse pas, dis-je. Quand elle ne peut avancer sur un aspect du dossier, elle passe à un autre. Tout cela crée un faisceau qui va nous permettre de faire notre choix.

- Il est sans doute trop tôt encore pour avoir des pistes ?

- Oui. Impossible de dire encore ce qui sera le plus rentable. Si elle peut déjà donner des éléments chiffrés et précis concernant l'extension de l'usine de Libourne, ce n'est pas encore le cas pour les sites d'Ucel et de Labégude.

- Bien sûr. Je t'avoue ressentir une certaine impatience maintenant. J'imagine que toi aussi.

- Forcément, souris-je en réponse. J'espère qu'il sera possible de faire quelque chose en Ardèche. J'y crois et c'est mon souhait profond, mais Laurent, il faudra me tempérer. Ne pas oublier de me freiner. Je ne dois pas laisser mes sentiments prendre le dessus. Papa dirait "Pas d'état d'âme, ma fille". N'oublie pas de me rappeler cet adage, à l'occasion.

- C'est vrai. Ton père dirait cela, Layla. Mais comme tu le dis aussi, les temps changent. Et nous devons anticiper. Comme toujours. C'est ainsi que tu feras avancer l'entreprise. Et si certains vont être très surpris d'entendre parler d'un projet de relocalisation, je pense que si le projet ardéchois est viable, cela sera un vrai coup de tonnerre. Et peut-être, aussi, même si ça peut sembler un vœu pieux, un exemple à suivre dans d'autres régions.

Je soupire un instant, m'étire et me lève pour faire quelques pas dans mon bureau. Nous sommes mardi matin et ce sont mes premiers échanges avec Laurent. Pour faire le point avec lui, tant sur la semaine écoulée ici, que de mon côté avec Maïwenn.

Je sens son regard qui me suit, puis il me demande :

- Arrête-moi si je vais trop loin, Layla. Mais ça va, toi ?

Je me tourne vers lui, le fixe un moment, puis souris doucement :

- Oui, ça va. Même si c'est toujours dur de revenir à Paris.

- Et que ça l'est plus encore, désormais, non ?

- Oui.

Je n'ajoute rien, hésite un instant. J'ai fait plus de confidences à Lisa et Serge, et même Nadine, qu'à Laurent. Alors que je garde le silence, mais que mon regard se fait songeur, Laurent reprend :

- Veux-tu qu'on déjeune ensemble, ce midi ? Pour en parler ?

**

En rentrant chez moi ce soir-là, je m'offre d'abord un moment de détente. Douche, puis tenue "cocooning". Comme il n'est pas loin de 20h, je me réchauffe une part de soupe, placée judicieusement dans le congélateur par Nadine, que j'accompagne d'un peu de fromage ardéchois et une compote pomme-poire. Je m'installe au salon, dans le canapé, et dîne en écoutant la radio. Une émission intéressante sur le peintre Andy Warhol. A cette heure, il y a souvent des émissions que j'aime écouter, consacrées à des personnalités du monde artistique, parfois très connues, parfois moins.

Je savoure ma compote avec une tisane tout en laissant mon regard se perdre dans la photo d'Antraigues et d'Aizac. Je pense à Alexis. Si, hier, il est resté aux Auches, il a dû revenir chez lui ce soir. Je l'appellerai tout à l'heure, à moins que ce ne soit lui qui m'appelle le premier. Nos échanges quotidiens par téléphone vont reprendre. Une façon de rester proches, de réduire la distance.

J'ai bien fait de parler de lui à Laurent ce midi. Il m'a emmenée déjeuner dans un bon petit restaurant libanais de la Garenne-Colombes. Ce n'est pas loin de la Défense, mais cela nous a permis d'échapper à l'ambiance "milieu d'affaires". Tout à fait le genre d'endroits où j'allais pouvoir m'épancher - un peu.

Laurent m'a écoutée avec attention, toujours mesuré dans ses questions. Je lui ai parlé d'Alexis, bien sûr, de son installation désormais effective en tant que médecin généraliste à Antraigues. Des démarches administratives un peu longues qu'il a dû faire pour obtenir la possibilité de s'installer. En filigrane, j'ai encore parlé de mon pays. Forcément. Cela m'a fait du bien et je suis revenue au bureau avec l'esprit plus léger.

Laurent connaît parfaitement mon attachement à ma région d'origine. Il est conscient que je pourrais avoir du mal à le mettre de côté dans le projet de relocalisation. Mais il sait que relever ce défi, ramener de l'emploi en France et tout particulièrement là-bas, c'est un projet d'envergure qui conditionne aussi notre activité future. Lui-même est originaire du nord de la France, du bassin houiller. La désindustrialisation, les fermetures d'usines, les vagues de licenciements, il connaît. Et très bien.

Je déguste mes dernières cuillerées de compote alors que mon regard se perd autour de la maison des Auches. Et avant même de reposer mon ramequin sur la table, mon téléphone sonne.

C'est Alexis.

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