Chapitre 88

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Layla

Je pousse un long soupir de soulagement en retirant mes chaussures. J'ai beau avoir l'habitude, mes pieds commençaient à souffrir. Toute la journée à piétiner, avec des talons, ce n'est pas une sinécure. J'avoue que j'aurais apprécié de prendre un bain, ce que j'aurais pu me permettre à Boulogne, mais pas ici. Tant pis, je vais me contenter d'une bonne douche. Et du massage promis par Alexis.

Le plancher de châtaignier craque légèrement sous mes pas. A l'étage, Alexis s'active à me préparer une tisane. J'ai besoin d'un moment de détente. Cette journée est un succès. Seule petite ombre au tableau, j'aurais aimé que mon père et ma mère soient présents, mais papa traverse une période de fatigue et son médecin a déconseillé le déplacement. Ils m'ont néanmoins téléphoné hier soir pour m'encourager et papa a ajouté qu'il souhaitait ma réussite.

- Je croyais que tu voulais passer sous la douche ?

La voix chaude d'Alexis me tire de mes songes. En me rendant vers la chambre et la salle de bain, je me suis arrêtée devant les photos et j'ai oublié ce que j'avais l'intention de faire.

- La tisane d'abord, lui souris-je.

Et je m'installe confortablement dans le canapé. Il s'assoit aussitôt à mes côtés. Son propre regard se pose à son tour sur les photos, face à nous. Sa main glisse sur ma cuisse.

- C'est parti, Layla. Je n'en reviens pas encore. Vous avez été d'une efficacité redoutable, tous et chacun, à votre niveau d'intervention. J'ai encore félicité Maïwenn ce midi.

- Tu as pu échanger avec elle ?

- Un peu, oui. Elle était moins sollicitée que toi.

Je souris.

- Ce n'est qu'une étape. Mais j'en conviens : toute la phase préparatoire était importante.

- Tu vas continuer à venir aussi régulièrement ?

- Oui. Je tiens à suivre le chantier au plus près. Même si j'ai nommé un responsable du projet, en plus du maître d'œuvre. Et que Maïwenn sera présente également, mais plus pour le suivi et pour être un relais pour moi. Entre moi et les différents intervenants et réciproquement, je veux dire.

- Je comprends. Je ne vais pas m'en plaindre. T'avoir ici presque toutes les semaines, c'est juste... du bonheur.

Je lève les yeux vers lui, puis m'appuie contre son épaule. Il passe aussitôt son bras pour me rapprocher encore un peu plus de lui.

- Sans toi... Je ne sais pas si j'y aurais cru autant. Bien sûr, j'y pensais depuis un moment, avant qu'on se rencontre. Je voulais faire quelque chose des usines, leur donner un avenir. Et les questions, les enjeux se bousculaient aussi dans ma tête. Puis tout s'est assemblé petit à petit. Et le fait que tu aies finalement fait le choix de t'installer ici, ça m'a encouragée aussi.

- Ce ne sont pourtant pas les mêmes enjeux ! Juste une personne et plus de cent cinquante...

- N'oublie pas qu'il suffit d'une seule personne pour changer la vie de plusieurs. Et c'est ce que tu fais.

- Toi aussi.

Je ne réponds pas. La fatigue commence à se faire sérieusement sentir et les bras d'Alexis sont bien trop accueillants pour que je résiste.

- Ta tisane va être froide. Et tu ferais mieux de filer sous la douche, sinon, je vais être obligé de te porter car tu vas t'endormir sur place.

- Tu as raison, soupiré-je en me redressant.

J'attrape ma tasse, la savoure. Du tilleul de la vallée. Acheté au marché l'été dernier. Avec un soupçon de miel de châtaignier. Le remède anti-fatigue et anti-rhume de Tantine. Je crois en fait qu'elle soignait à peu près tout et n'importe quoi avec ça. Ce souvenir me fait sourire. Je sais qu'elle est heureuse, là où elle est. Heureuse pour mon projet, mais surtout, heureuse pour moi. Pour moi et Alexis.

Je me lève et entre directement dans la salle de bain. L'eau qui ruisselle sur mon corps me détend aussitôt. Je m'offre ce petit moment, puis rejoins Alexis dans la chambre. Mon dieu, mais je ne vais pas pouvoir le laisser me faire un massage ! Il est bien trop tentant ainsi... A m'attendre, allongé sur le côté, la tête appuyée sur sa main, le bras plié. Avec juste ce caleçon qui lui va à ravir.

**

Le caleçon a vite fini par terre. Les mains d'Alexis me parcourent, d'abord tendrement, lentement, insistant sur mes jambes. Il veut tenir sa promesse du massage, promesse murmurée alors que je retenais difficilement un bâillement au cours de la soirée, au restaurant. Car nous nous sommes tous retrouvés, équipe de direction, quelques élus et invités, dans un bon établissement d'Aubenas pour clore cette journée. Alexis m'a rejointe et nous a ramenés ensuite aux Auches.

Il veut peut-être tenir sa promesse, et je reconnais que cela me fait du bien, mais je veux vite plus. Je veux ses mains ailleurs que sur mes jambes, mes mollets ou mes chevilles. Je les veux sur tout mon corps et je le veux, lui, tout contre moi. En moi.

Et je l'ai.

Alexis

Layla s'est endormie comme une souche, juste après l'amour. Je n'en suis pas étonné : la journée a été longue et prenante pour elle, elle n'a pas eu un moment pour souffler, ou très peu. Elle ne s'en plaint nullement : elle est bien trop heureuse de voir se concrétiser son rêve. Quant à moi, je suis heureux et surtout très fier d'elle. Au cours des mois passés, elle m'a plus d'une fois impressionné par sa volonté, son courage, son écoute aussi. Elle avait une idée, oui. Relancer les usines. Relocaliser. Sans savoir dans les détails comment cela allait se passer, quel en serait le coût, ce qu'il serait possible de faire. Alors, elle a fait confiance, elle a délégué. A Maïwenn en tout premier lieu, mais pas uniquement. Les deux chargés d'études qui étaient venus sur place au printemps ont fait du bon boulot. Le maître d'œuvre aussi pour toute la phase préparatoire du chantier.

Et aujourd'hui, les travaux vont démarrer.

Alors oui, il y a de quoi être fier et heureux. Heureux qu'elle ait pu mener à bien toute cette étude et voir le projet se concrétiser. Certes, les usines ne tournent pas encore, certes, les emplois ne sont pas encore pourvus et il reste bon nombre de défis à relever. Un chantier, ce n'est jamais simple. Et Layla sera vigilante. Mais c'est toute une première étape qui s'est achevée ce matin. Et la suite peut enfin s'envisager.

Et je suis aussi égoïstement heureux parce que depuis la fin des vacances, elle est venue à Antraigues quasiment une semaine sur deux. Pas toujours pour toute la semaine, mais au moins pour quelques jours, incluant le week-end. Pour discuter avec les élus, avec les responsables de Pôle Emploi, avec les artisans. Pour argumenter, négocier, encourager.

Pour construire, surtout. Pour que son projet prenne forme. Pour redonner de l'espoir, ici.

Et j'en ai bien profité. De sa présence, de nombreuses soirées et nuits avec elle. D'être aux Auches aussi. Une maison où je me sens bien, dont je perce, petit à petit, quelques secrets. Si j'aime la vue que m'offre le gîte de l'Enfer, il faut bien reconnaître que d'ici, c'est encore plus somptueux. En bas, on voit surtout le village, un peu la montagne et un petit bout du volcan. Mais d'ici... C'est l'horizon tout entier qui s'offre à nous. La montagne dans son ensemble, le volcan, le ciel. Antraigues paraît toute petite, bien accrochée sur son rocher. On est au calme également, on n'entend pas la circulation comme c'est le cas à l'Enfer, la route départementale n'étant pas bien loin, même si ce n'est en rien comparable avec le périphérique parisien.

La bonne nouvelle, c'est donc que Layla va continuer à venir très régulièrement, au cours des mois prochains. Pas question pour elle de ne pas être au courant de l'avancée du chantier, des écueils, voire des grosses difficultés qui pourraient se présenter, comme des réussites. Au fond d'elle-même, je pense aussi qu'elle veut voir le chantier évoluer, les lieux se transformer, même si l'essentiel demeurera en l'état. Disons que la physionomie des bâtiments ne sera pas considérablement modifiée à l'extérieur, les changements se feront plutôt à l'intérieur.

Je la regarde, à la fois fier, heureux, et attendri. Elle est belle, elle est forte, elle est tenace. Elle croit à ce qu'elle fait, elle sait aussi pour qui elle le fait.

Je l'aime.

Et je me dis que je suis bien chanceux d'avoir croisé sa route, d'avoir, par un bel après-midi de printemps posé mon regard sur ses jolies jambes. Layla a changé ma vie. L'Ardèche aussi. Ici et avec elle, je me suis reconstruit. Je fais des projets. J'exerce mon métier au service d'une population qui avait besoin de moi. Se sentir, se savoir utile est nécessaire. Cela contribue à mon propre équilibre.

Mais mon bonheur, c'est elle.

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