Chapitre 111

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Alexis

- Alexis !

- Alors, Aglaé ? Comment s'est passée ta première journée au collège ?

A l'issue de ma propre journée de travail, je suis passé chez Pauline. Elle m'a invité à manger avec elles et Julien, pour marquer la rentrée en sixième d'Aglaé.

- Bien ! Je suis avec deux amies d'Antraigues, c'est bien !

- Ah oui ! Et tu as vu combien de professeurs aujourd'hui ?

- Trois ! Le professeur principal, c'est celui d'anglais. Et la professeure d'histoire-géographie, et le professeur de dessin. Julien les a eus, tu te rends compte !

Julien éclate de rire.

- Tu sais, Aglaé, ils n'étaient pas très vieux quand je suis passé au collège et j'ai le même âge que Layla, ça remonte à une quinzaine d'années, ce n'est pas tant.

Elle sourit et continue :

- Et l'emploi du temps n'est pas trop mal. Le lundi, je commence à 9h, mais Julien a dit qu'il m'emmènerait, car il n'y a pas de bus à cette heure-là.

- Celui lui évitera de se lever tôt pour passer une heure en perm', dit-il. Et comme je dois descendre dans la matinée à Aubenas pour faire les approvisionnements de la semaine, de toute façon... C'est sur ma route.

- Bon, ça tombe bien, alors, dis-je.

- Oui !

Nous savourons un petit apéritif, puis nous passons à table. Aglaé poursuit le récit de sa journée.

- Et ta reprise, Alexis, ça va ? me demande Julien.

- Oui, bien. Pas mal de rendez-vous la semaine passée, forcément, et encore cette semaine. Surtout pour les certificats médicaux pour le sport. De ce fait, il m'arrive de prendre deux patients en une demi-heure, car ça va vite quand il n'y a pas d'autres besoins. Et toi ?

- Ca commence à s'annoncer plus calme. Mais tout le mois de septembre, il y aura encore des vacanciers, les retraités. Les gîtes font le plein, donc normalement, j'aurai une bonne clientèle dans les alentours comme à Antraigues. C'est seulement à partir d'octobre que ça devrait diminuer. Je prendrai peut-être quelques jours de vacances avant la Toussaint : il y a toujours un peu de monde à revenir à cette période.

J'acquiesce.

- Et toi, Pauline ? Ca se passe bien aussi ?

- Oui. Encore une journée plutôt théorique aujourd'hui, avec des explications sur les différents produits, les composants. Quelques-uns sont à manier avec précaution, notamment ceux qui contiennent de l'alcool. Mais ce n'est pas difficile à comprendre. J'ai hâte de voir la chaîne tourner, maintenant. Normalement, on commence jeudi dessus.

- D'accord, souris-je.

- Quand Layla va revenir, dit Aglaé, on va avoir plein de choses à lui raconter !

J'éclate de rire : cela, c'est certain !

**

Je ne me suis pas attardé à Antraigues : demain, tout le monde travaille et moi le premier. En arrivant à la maison, je m'installe un moment sur la terrasse et déguste quelques grains de raisin. A cette heure, il n'y a plus de guêpes à tourner autour. J'en avais cueilli quelques grappes ce matin que j'ai données à Pauline. Cela fait toujours des fruits de moins à acheter...

Le fond de l'air est doux, parfumé de ces fragrances de fin d'été. Il fait très bon, je suis bien, là. Je ne me lasse pas de contempler cette vue, de regarder le village s'endormir tout doucement dans l'ombre de la vallée, d'entendre la source chantonner sur le côté, de chercher dans le ciel les premières étoiles qui s'allument.

Layla est à Paris cette semaine, mais elle sera de retour à Antraigues samedi et pour une longue période. Elle veut suivre la phase de tests de la chaîne de fabrication à Labégude et doit aussi participer à plusieurs réunions avec les équipes de la direction des deux usines, pour organiser l'inauguration, mais surtout pour préparer le lancement de la production. Des représentants syndicaux seront présents, certains venant de Paris et de Libourne. Leur expérience sera précieuse pour éviter quelques écueils. Il va falloir aussi organiser les équipes, les plannings des ouvriers, y compris les plannings des employés non-productifs : cuisiniers, personnel de ménage, et tout le personnel administratif, même si pour ce dernier, ce sera plus aisé, car les horaires seront classiques : 8h-17h ou 9h-18h selon le choix de chacun. Layla tient à leur laisser une petite latitude, pour organiser aussi leur vie personnelle.

J'ai hâte de la retrouver. Nous nous sommes quittés aussi avec une idée folle à l'esprit et j'aimerais en reparler avec elle, posément, tranquillement. C'est de la voir encore une fois, cet été, avec Maxime, avec Aglaé, et même avec le petit Nathan, le fils d'Hugo et Emilie, qui m'a amené à cette réflexion. A me poser cette question essentielle : et nous ? Et si nous, nous franchissions à notre tour ce pas-là ?

La réponse a été claire, nette, précise, dans mon esprit comme dans mon cœur. Oui. Oui, j'ai envie d'avoir un enfant avec Layla. Oui, j'ai envie de construire une famille avec elle.

Seulement... Seulement, plusieurs écueils nous attendent. Un enfant et une relation à distance, c'est tout de suite compliqué. Rien que les déplacements risquent de la fatiguer durant sa grossesse, elle sera peut-être obligée d'arrêter le travail plus tôt, cela pourrait lui peser, même si nous attendons un peu, que les usines aient démarré et que tout tourne correctement, tant en Ardèche qu'en ce qui concerne la chaîne d'approvisionnement, la vente, l'acheminement des emballages à Libourne.

Et puis après ? Quand le bébé sera là ? Ce sera impossible pour Layla de le laisser ici, elle voudra pouvoir s'en occuper, le voir tous les jours. Et moi aussi... Je ne me vois pas faire vivre à mon enfant, à ma compagne, ce que ma mère nous a imposé, à mon père et moi. Alors, alors peut-être qu'il va falloir trouver un compromis, s'organiser autrement. Réduire mes jours de consultations ici, pour monter à Paris tous les week-ends et les voir. Ou pour Layla... A l'heure actuelle, cela me semble difficile à imaginer. Mais rien ne presse. Nous pouvons prendre le temps d'en parler.

Layla

- Tu y arrives ?

- Oui, ça va.

Je viens d'entrer dans la chambre de Tantine où Alexis a déplacé les cartons contenant les affaires de son père. Il a ainsi dégagé l'étage et les ouvriers vont pouvoir commencer le chantier d'aménagement dès la semaine prochaine. Je ne suis pas mécontente de demeurer à Aizac désormais, afin d'être présente pour ce démarrage de chantier dans notre maison. Nous avons contacté un maître d'œuvres d'Aubenas pour le suivi et la coordination des travaux. D'ici la mi-octobre, tout devrait être terminé. Ce n'est pas très long, mais il faut faire intervenir différents corps de métier : plaquiste, électricien, plombier, peintre. Et le couvreur pour ouvrir les fenêtres en velux, tant pour les chambres que pour la salle de bain.

Avec l'arrivée de Pauline à Antraigues, Alexis a récupéré deux autres cartons. Il ne voulait pas s'y plonger durant nos vacances, arguant que nous avions autre chose à faire. Il préférait s'y mettre en mon absence, me disant que cela l'occuperait. En ce samedi après-midi, il a cependant décidé de s'y pencher.

Il relève la tête alors que je viens d'entrer dans la chambre. Il s'y trouve depuis deux bonnes heures. Pendant ce temps, j'ai cuisiné pour ce soir, ramassé du raisin, des tomates et étendu une lessive. Demain, nous monterons sur le plateau pour une balade tranquille. Nous ferons peut-être une petite randonnée, mais pas plus.

- J'ai vraiment du tri à faire dans les papiers : j'avais conservé les factures de l'appartement, et même les factures d'entretien de sa voiture... Tout cela est bon à jeter. Mais ça, ça ira vite. Je m'en occuperai durant ton absence.

Je m'approche et m'assois sur le lit, à ses côtés. Devant lui sont ouverts deux cartons contenant des albums photos.

- Les photos de famille... Il faudrait que je montre cela aussi à ma tante et à mes cousins. Il y a des photos des grands-parents, et au-delà... Tiens, regarde ça.

Il me tend une grande pochette cartonnée. A l'intérieur, une photo de mariage. Je reconnais d'emblée ses parents.

- La photo officielle de leur mariage... On voit bien que maman est enceinte, même si elle tente de cacher son ventre avec son bouquet. Pathétique, soupire-t-il. Je ne sais même pas si je vais la garder...

- Alexis... Ca fait partie de ton histoire, quand même. As-tu beaucoup de photos de toi avec tes parents ?

- Quand j'étais petit, quelques-unes. Puis beaucoup où je suis tout seul, en fait. C'était souvent papa qui faisait les photos, on le voit rarement. Sauf quand on allait en Normandie, ma tante en profitait... J'ai donc surtout des photos de vacances avec lui.

- Sans ta mère ? Je veux dire, avant qu'elle ne parte ?

- Un peu, si... fait-il en hésitant. Tu sais, elle était souvent absente quand j'étais petit. Son travail l'amenait à faire beaucoup de déplacements... Au final, quand elle a demandé le divorce, ça n'a pas changé grand-chose pour moi. Pour mon père, oui, car ça a été très douloureux pour lui. Cela explique aussi pourquoi on la voit peu quand je suis enfant. A part à mes anniversaires... Et encore, à partir d'un certain âge, ce sont les copains qu'on voit autour de moi. Et même mes cousins, car une année, nous avions pu le fêter en Normandie, les vacances tombaient à la bonne date.

Je hoche la tête. Mon regard demeure posé sur la photo.

- Tu ressembles beaucoup à ton père, dis-je. Physiquement. Il était bel homme.

- C'est vrai, sourit-il. De caractère aussi, je pense que je lui ressemble. Il se fâchait rarement. Il était très posé. Par contre, il était incapable de bricoler ! Quand j'ai commencé à grandir, que je voulais accrocher des trucs dans ma chambre, c'était moi qui plantais les clous... Lui, il aurait fait plusieurs trous, voire provoqué une petite fissure... Et le cadre serait tombé au bout de quelques jours. Ca m'impressionne toujours de me dire qu'il est parvenu à se mettre à la cuisine quand maman est partie.

- Tu te débrouilles bien, toi aussi. Et pour bricoler également, fais-je remarquer.

- Oui, c'est vrai. Bon, faut pas trop m'en demander non plus et je t'assure qu'on fait bien de confier le chantier de l'étage à des artisans...

Je le regarde. Il me sourit et je lui rends son sourire.

Il reprend la photo, la range.

- Bon, là, juste des albums photos, dit-il en désignant les deux cartons ouverts à ses pieds.

- Et les autres, tu as regardé ?

- Oui, j'ai tout ouvert, pour avoir une idée rapide de ce qui s'y trouvait.

- Même ceux que Pauline t'a donnés ?

- Oui. Elle avait gardé des bricoles... Quelques vêtements, ceintures, cravates... Je vais donner. Je ne vais pas garder cela. Même si je comprends qu'elle ait voulu, à l'époque, les conserver. Elle avait besoin de ces affaires. Genre, le polo qu'il mettait souvent en promenade, quand il portait Aglaé sur ses épaules. J'ai aperçu une photo d'ailleurs, dans une des pochettes. Et dans l'autre carton, ce sont des affaires qu'il conservait dans son petit bureau : un presse-papier, son stylo à plume, la montre de mon grand-père qu'il faudrait que je dépose à un horloger pour voir s'il peut la réparer, l'appareil photo... et quelques dessins qu'Aglaé avait faits quand elle était toute petite, à la garderie ou à la maternelle, les premiers cailloux qu'elle avait ramassés avec lui...

- Pauline n'a pas voulu les redonner à Aglaé ?

- Non, je pense qu'elle ne veut pas lui rappeler papa en la rendant triste. Je vais les garder, les mettre dans une jolie boîte et un jour, je les lui donnerai. Quand elle sera plus grande.

- Cela la touchera beaucoup. De voir que ton papa les avait gardés et que toi, après, tu l'as fait aussi. Sans oublier que sa mère ne les a pas jetés...

- Voilà. Tu as compris, me sourit-il.

Puis il se penche vers moi et m'embrasse tendrement. Je me sens rassurée : je craignais un peu que ce premier plongeon dans les affaires de son père ne pèse à Alexis, ne le rende triste ou nostalgique.



****

Petite note pour les lecteurs du quotidien : je n'ai plus d'avance... Les prochains chapitres seront publiés au compte-goutte... Je vais essayer de tenir deux par semaine, un le mardi ou mercredi et un au week-end. Je fais au mieux, mais la période de fin d'année scolaire n'est pas trop propice à l'écriture... On se rattrapera durant l'été. Merci de votre patience ! 

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