39. Vacances en Famille.

7 minutes de lecture

À Reims, le quotidien des deux frères, Tom et Mathis, est bien réglé. L’un aime les livres et les silences, l’autre carbure à l’énergie pure. Quand ils ne sont pas au lycée ou au collège, ils jouent à des parties de Cluedo, s’affrontent entre amis au parc en balle au prisonnier ou partent à vélo avec leurs parents, Claude et Monique, sur les pistes cyclables entourant la ville.

— C’est moi le stratège, j’t’explose au Monopoly ce soir, lance Mathis.

— Tu veux dire comme la dernière fois où t’as hypothéqué toutes tes gares ? répond Tom, le sourire en coin.

Le vendredi, ils vont au cinéma. L’un commente les effets spéciaux, l’autre l’arc narratif. Ils s’écoutent, se chambrent, se comprennent.

Mais ce soir-là, dans le calme de l’appartement, une tension plus intime s’installe. Tom toque doucement à la porte de son frère.

— Mathis ? Je peux te parler ?

Mathis retire ses écouteurs, relève la tête, intrigué par l’air sérieux de son frère. Tom entre, hésite, puis s’assied au bord du lit.

— Vas-y, tu m'inquiètes, t'as une tête étrange.

— Y’a cette fille… Juliette. Elle est en première. C’est bizarre, j’ai l’impression que quand elle parle, le reste s’efface. J’ai le cœur qui fait des saltos. Je crois que c’est ça, être amoureux.

Mathis le fixe une seconde, puis éclate de rire :

— Et voilà, mon frère est foutu. Elle t'a retourné la tête !

— Sérieusement, t’es con.

— Sérieusement, c’est beau ce que tu dis. Moi j’ai jamais ressenti un truc pareil. J’aime bien mes potes, rigoler, déconner… mais l’amour, les papillons, j’sais pas ce que c'est. Peut-être que j’suis câblé autrement.

Tom le regarde, surpris, mais il respecte ce qu’il entend. Mathis ajoute, en souriant plus tendrement :

— Après, j’te cache pas… j’ai déjà essayé un truc ou deux. Genre, la masturbation. Mais c’est pas pareil, ça. C’est juste pour moi, pour découvrir. Toi, ce que tu ressens, c’est beau, je pense. Peut-être que t’es amoureux, non ?

Tom éclate de rire, un peu gêné, mais touché par la franchise de son frère. Les deux garçons continuent à discuter, abordant des sujets qu’ils n’avaient jamais vraiment partagés auparavant.

Ils rient ensemble, plus proches qu’ils ne l’étaient avant cette discussion.

Noël approche. Claude réserve un chalet à Megève. Dans la Lexus familiale, sur la route enneigée, les frères ne peuvent s’empêcher de se chamailler.

— T’as pris ta combinaison anti-chute ou tu vas skier en chasse-neige comme un touriste ? demande Tom.

— J’ai pris de quoi te mettre une raclée sur la piste. Prépare tes genoux.

Le chalet est cosy, le village de carte postale, la patinoire féerique. Mathis court partout comme un chiot heureux, Tom l’observe, plus discret, mais sincèrement touché.

Le dimanche matin, ils flânent dans les ruelles décorées, goûtent aux croissants chauds, admirent les calèches.Mathis a les yeux pétillants :

— Regarde ces décorations ! On dirait le paradis du père Noël !

— Ouais, c'est incroyable. Il doit bien y avoir des milliers de lumières.

— Des milliers ? Des milliards de milliards tu veux dire !

Ce soir-là, ils croisent Roland Magdane.

— J’te jure que c’était lui ! lance Mathis, surexcité. Il avait la voix ! Et la même tronche qu’à la télé !

— T’aurais dû lui demander un autographe sur ton forfait, t’aurais eu un souvenir magique.

Mais ce qui marque vraiment Mathis, ce n’est pas le comique. C’est ce garçon, croisé un matin dans le local à skis. Il n’a pas de nom. Pas encore. Juste un regard échangé, trop bref, mais qui le laisse fébrile.

Les jours suivants, il y retourne seul, espérant recroiser ce visage. Il se surprend à rêver de lui, à lui inventer un prénom : Evan, pour mieux lui parler dans son coeur.

Une nuit, Tom le surprend, pensif devant la fenêtre.

— T’as un air bizarre, dit-il. T'as vu ta Juliette ? Ou c’est… un autre genre de virus ?

Mathis ne répond pas tout de suite. Il sourit, secoue la tête et se contente de dire :

— Je crois que je suis un peu perdu.

— Bienvenue au club.

Sur les pistes, Tom décroche l’Aiglon d’Argent. Mathis obtient sa troisième étoile. Les batailles de boules de neige fusent, les défis s’enchaînent.

Un autre soir, lors d’un dîner au restaurant, la famille s’installe à une table juste à côté de celle d’un groupe d’amis, et l’un des convives attire l’attention de tout le monde : Johnny Hallyday. Le rockeur légendaire se trouve là, parmi ses proches, et son apparition crée une sacré effervescence. Les enfants, émerveillés, n'osent pas l’approcher, mais ils restent là, fascinés, observant l'icône de la musique française savourer un repas tranquille dans ce cadre idyllique. Un instant, la magie de Noël semble se doubler de celle de la rencontre avec cette star tant admirée.

Le soir de Noël, après la messe de minuit, ils regardent ensemble les feux d’artifice.

— Tu penses qu’on change, en grandissant ? demande Mathis, presque à lui-même.

Tom réfléchit.

— Je crois qu’on découvre des trucs qu’on avait en nous, mais qu’on n’écoutait pas.

Mathis acquiesce en silence.

Il ne sait pas encore mettre de mot sur ce qu’il ressent. Mais il sait que ce Noël a éveillé quelque chose...

Août. Le soleil tape sur le tarmac de l’aéroport de Marseille quand la famille débarque, lunettes de soleil vissées sur le nez. Claude sourit, main sur la hanche :

— Quinze mètres de yacht, moteur double, cabines tout confort. C’est pas les croisières de grand-mère, ça.

— Claude tu exagères, Maman est là, lui lance Monique avec des yeux furibonds !

— Pardon Madeleine, mais vous êtes si jeune que je n'y ai pas pensé !

— Pffff, charmeur va, lui réponds sa belle-mère, très amusée.

— Tu veux dire qu’on va dormir sur un bateau ? demande Mathis, les yeux brillants.

— Non, on va voler avec des mouettes, répond Tom. Bien sûr qu’on va dormir dessus, génie.

Mathis lui donne une tape sur l’épaule. Claude les sépare d’un regard mi-exaspéré mi-amusé.

Ils arrivent au port. Le yacht brille sous le soleil méditerranéen, flanqué d’un équipage souriant.

— Bienvenue à bord ! annonce le commandant. Prêts pour la grande bleue ?

— Depuis le mois de février, oui, répond Madeleine, la grand-mère, en posant son sac. Et j’espère qu’on mangera mieux qu’en avion.

Les premiers jours filent entre criques corses, baignades et fous rires. Tom et Mathis plongent, nagent, explorent les fonds marins avec leurs tubas. Madeleine, installée à l’ombre, lit des polars tout en gardant un œil attendri sur ses petits-fils.

Un soir, autour d’un barbecue sur le pont, Claude propose un jeu :

— Chacun partage le moment préféré de la journée.

Mathis attaque sans hésiter :

— Quand Tom a glissé en voulant faire le malin avec son surf. On aurait dit une loutre qui se bat contre une vague.

— Je t’ai battu à la course à la nage juste après, rappelle Tom, en mâchant un morceau de poisson grillé.

— T'avais le courant avec toi, c’est de la triche !, ajoute Mathis en bon mauvais perdant.

Les rires fusent. La mer ondule lentement autour d’eux. Le soleil descend doucement sur l’horizon, comme s’il écoutait lui aussi.

Capraia, Bonifacio, Santa Giulia : chaque jour apporte son lot de découvertes. À Bonifacio, ils visitent la citadelle et déambulent dans les ruelles.

Tom s'essaie à la photographie avec son père en fixant la poésie des façades anciennes.

— On dirait un décor de film, murmure-t-il.

— Oui comme dans Pirates... sauf qu’on a oublié les épées, ajoute Mathis.

Le soir, dans un petit restaurant sur le port, Madeleine lève son verre :

— C’est fou comme on oublie tout, ici. Le temps, les tracas, même les douleurs.

— Sauf si Tom parle de littérature, ajoute Mathis. Là, je me souviens direct de mes devoirs de français.

Tom, pince-sans-rire :

— J’en parlerai pendant que tu dors. Pour ta culture.

Un après-midi, alors que le yacht mouille au large de l’île de Lavezzi, Mathis reste seul à l’arrière. Il regarde la mer, silencieux. Les autres sont partis plonger. Il les entend rire, au loin.

Un petit bateau passe, à bord, un garçon à peine plus âgé que lui, bronzé, concentré sur la voile.

Leurs regards se croisent.

Rien qu’un instant.

Mais le même éclair que dans le local à skis.

Plus furtif encore. Plus doux. Presque douloureux.

Mathis sent son cœur cogner sans prévenir.

Il reste là longtemps, même après que le bateau a disparu.

Quand Tom revient, il lui lance :

— Tu médites ou tu négocies avec Poséidon ?

— J’observe. La mer est belle.

— Poète, va. Tu veux que je te laisse seul avec l’eau ?

— Peut-être...

Tom s’éloigne sans insister. Il a compris. Quelque chose remue sous la surface. Et ce n’est pas juste le clapotis des vagues.

Au fil des jours, Mathis se fait plus discret. Il rit toujours, taquine toujours, mais parfois, on le surprend lointain, regard perdu vers l’horizon.

Tom s’approche de lui un soir, alors qu’ils regardent les étoiles depuis le pont.

— Ça cogite, hein ?

Mathis hoche la tête.

— Ouais. Un peu.

— Tu veux en parler ?

Silence.

Puis :

— Pas encore. Mais merci.

Tom lui ébouriffe les cheveux.

— Quand t’en auras marre de te noyer dans tes pensées, j’suis là. Et promis, je me moquerai pas. Enfin, pas trop.

— T’as pas ça dans le contrat !?

Ils rient.

Les derniers jours passent comme un songe. Plongées, paysages, spécialités corses, criques désertes. Madeleine raconte des souvenirs d’anciens voyages, Claude parle politique à voix basse avec Monique, Tom dessine, Mathis rêve.

Le soir du départ, ils trinquent une dernière fois sur le pont, face à Porto Cervo.

— Ce voyage... c’était plus que des vacances, murmure Mathis. C’était… je sais pas. Un rêve éveillé. Un truc qu’on garde en soi.

Tom lève son verre d'eau en écho.

— Et qu’on rouvre quand on a besoin de souffler.

Claude conclut, d’un ton posé :

— C’est ça, une vraie famille. Pas les photos. Les instants qu’on n’oublie pas.

Mathis regarde la mer, calme.

Il ne sait pas encore tout ce qu’il va en retenir.

Mais il sait que cette croisière, comme Noël à Megève, a ouvert une porte.

Et cette fois, il n’a plus aussi peur de l’ouvrir...

Annotations

Vous aimez lire Vince black ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0