10. La quête des mots.
Le lendemain, après une journée encore remplie de cours sur les théories économiques et la gestion des entreprises, Claude se sent épuisé, mais déterminé.
Quand il pousse la porte de la petite pièce mansardée qu’il partage avec Michel, il trouve son ami plongé dans un manuel d’histoire contemporaine, grignotant une tranche de pain sec.
—Alors, Don Juan, prêt pour le deuxième round ? lance Michel avec un sourire amusé, sans lever les yeux de son livre.
Claude, délaissant son sac, s’assied sur le tabouret bancal près de la fenêtre. Les toits de Paris s’étendent devant lui, illuminés par une lune timide. Il pose sa lettre sur ses genoux et la regarde un instant, comme si elle le défiait de trouver enfin les bons mots.
— Ce n’est pas si simple, murmure-t-il. Je veux qu’elle sente à quel point notre rencontre a compté pour moi, mais… je ne veux pas paraître insistant ou maladroit.
Michel tente encore de le rassurer.
— Écoute, t’es pas en train d’écrire une déclaration d’amour à l’eau de rose. Dis-lui simplement ce que tu ressens, sans en faire des tonnes. Je te connais. T’es un gars bien, elle le verra. C'est évident.
Claude sait que Michel a raison, comme souvent. Il attrape le crayon et écrit lentement, réfléchissant à chaque mot.
"Monique,
Depuis notre rencontre, je ressens le besoin de vous écrire, non pour vous troubler, mais pour prolonger un moment que j’ai trouvé précieux. Vous avez cette rare capacité à rendre chaque mot important, chaque échange marquant."
Il s’arrête. C’est un bon début, mais il manque quelque chose. Un frisson de sincérité, peut-être, ou une touche d’audace.
— C’est pas mal, mais… commence Michel, en jetant un coup d’œil à sa prose.
— Mais quoi ? C’est trop ? demande Claude.
— Non, c’est bien. Mais… je pense que tu peux aller un peu plus loin. Fais-lui sentir que tu veux vraiment la revoir, pas juste échanger des banalités.
Claude soupire, efface quelques mots et reprend :
"Si vous acceptez, j’aimerais beaucoup que nous nous revoyions. Peut-être simplement pour marcher dans ces rues où nous nous sommes croisés, et pour poursuivre cette conversation qui m’a tant marqué."
Il prend du recul, observant le texte comme un peintre examine son tableau.
— Alors ? Qu’en penses-tu ? demande-t-il à Michel.
Michel lit lentement.
— C’est mieux. Ça te ressemble. Pas trop, pas trop peu. Juste assez pour qu’elle comprenne tes sentiments.
Claude esquisse un sourire. Il se sent un peu plus confiant, mais sait que la lettre n’est pas encore terminée. La nuit tombe, et la lourdeur de ses paupières commence à lui rappeler que le temps est compté.
— Demain, je la finirai, dit-il, en posant sa feuille sur la table de chevet.
— Tu dis ça tous les soirs, taquine Michel, avant de retourner à son livre.
Claude s’allonge sur son lit, les pensées tournées vers Monique, et un sourire discret sur les lèvres. Demain sera un autre jour, mais il est déterminé à écrire une lettre digne de celle qui a bouleversé son quotidien.
Ce dernier soir, Claude est bien décidé à terminer sa lettre. La journée a été agitée, remplie de cours et d’interrogations sur l’avenir, mais tout cela s’est estompé dès qu’il a mis un pied dans la chambre mansardée. Michel est absent, parti à la bibliothèque, ce qui laisse à Claude un moment de calme absolu pour trouver ses mots.
Il sort sa feuille, qui porte déjà plusieurs brouillons effacés et s'en trouve fort fragilisée. Il s’installe à la petite table près de la fenêtre. Le ciel, d’un bleu sombre parsemé d’étoiles, semble l’accompagner dans son élan.
"Monique,
Permettez-moi de revenir à ce moment sur l’île Saint-Louis, ce moment simple mais inoubliable où nos chemins se sont croisés. Depuis, je n’ai cessé de penser à cette conversation, à votre regard et à votre façon si particulière d’appréhender le monde. Vous avez quelque chose de rare, une manière de rendre les choses ordinaires tout à fait extraordinaires."
Il s’arrête, inspire profondément, puis continue :
"Si vous le souhaitez, j’aimerais beaucoup prolonger cette rencontre. Peut-être pour une promenade ou un café, comme la dernière fois. Rien de plus qu’un moment simple pour échanger et partager encore un peu de cette complicité naissante. Je comprends que ce soit inattendu, mais sachez que ma démarche est sincère. Je ne cherche qu’à mieux connaître la personne fascinante que j’ai eu la chance de croiser.
En espérant que cette lettre trouvera grâce à vos yeux.
Avec toute ma considération,
Claude Durieux"
Claude relit plusieurs fois, traquant la moindre imperfection. Il efface une expression, en modifie une autre, jusqu’à ce que le tout lui semble enfin juste, fidèle à ce qu’il veut dire.
Lorsque Michel rentre, Claude lui tend l’ardoise avec un mélange de fierté et d’appréhension.
— C’est la version finale. Qu’en penses-tu ? demande-t-il.
Michel lit en silence, secouant la tête à plusieurs reprises. Enfin, il pose l’ardoise et sourit.
— C’est parfait. Ni trop formel, ni trop familier. Elle comprendra que tu es sincère et respectueux. Si elle ne comprend pas ça, c’est qu’elle est aveugle ou insensible.
Claude sourit, soulagé. Il sait qu’il ne pourra pas mieux faire. Maintenant, reste à recopier de sa plus belle plume, cette lettre sur un papier propre et à se rendre à la bibliothèque Sainte Geneviève pour retrouver Monique.
Ce soir-là, alors qu’il éteint la lumière et s’allonge sur son lit, Claude sent une drôle de sérénité l’envahir. Monique est peut-être encore loin, mais cette lettre, ces mots soigneusement choisis, sont une première passerelle entre eux.
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