Chapitre 6

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Je m’allonge un instant sur ma serviette, fixant le ciel bleu parfait sans nuage venant le troubler. Le soleil brûlant chauffe chaque partie de mon corps fin. Ayant lu la première lettre, j’ai le sentiment de ne pas connaitre celui qui m’a recueillie. Comme un oiseau tombé du nid. J’étais seule. Brisée. Sans aile. Perdue. Et lui, dans ses grandes mains chaudes, il m’a accueillie. M’a promis un bel avenir. Simple mais correct. Avec une vue incroyable. Je l’ai suivi. Sans hésiter. C’était ma dernière option, ma dernière chance, mais ça semblait être la bonne. Je ne regrette pas. Pas du tout. Je le dis et le redis, j’aime ma vie ici. J’apprends énormément. De moi-même et de tout le reste. Je ne me suis jamais sentie aussi bien qu’ici. Avec ce gars aux yeux bleus. Au corps d’athlète. Aux cheveux blonds. Mon sur-feur. Qui n’en est pas un. Pas vraiment. Tout ce dont j’ai besoin est là, à portée de main. Tout ce dont j’ai besoin, c’est ça. Cette vue chaque jour, à chaque heure. Cette vie sans souci, a priori. Cette maison. Cette simplicité. Mais dé-sormais, je ne peux m’empêcher de me questionner sur cet homme qui m’a acceptée dans sa vie sans une once d’hési-tation.

Tom remonte la plage vers moi et je referme mon livre dans lequel j’ai glissé l’enveloppe contenant la lettre.

- Comment va mon rayon de soleil ? demande-t-il.

- Il laisse les autres rayons le réchauffer.

Il s’allonge à mes côtés et m’embrasse tendrement. Comme il en a l’habitude. Nous restons comme ça. Enlacés. A regarder la mer. Le soleil nous réchauffant. A cet instant même, je me dis qu’au fond, on s’en fout. La per-sonne qu’il était avant ne m’intéresse pas. On est bien là. Avec ce sentiment entre nous. On dirait de l’amour mais je n’en suis pas encore sûre. Malgré les « je t’aime » réguliers. Alors je me dis que c’est autre chose. Une sorte de tendresse dont on a tous les deux besoin. Un réconfort. Une bouée de sauvetage.

- Je vais aller préparer le souper, annonce-t-il après plusieurs minutes de silence. Ce soir, c’est moi qui régale !

- Oh, laisse-moi t’accompagner.

Il se relève.

- Non, non : profite. On mangera sur la plage ce soir. Moi. Toi. Et l’océan. Et le soleil couchant. Ça sera sympa. Je t’aime, ajoute-il avant de remonter en courant vers la maison, me laissant là.

Moi. Toi. Et l’océan. Tout ce dont j’ai besoin. Pour me rassurer. Me consoler. Avancer. Vivre. Respirer. Au-jourd’hui, l’océan, cette masse d’eau, a pris une place assez importante. Je ne savais pas qu’on pouvait en avoir besoin

jusqu’à ce que je me baigne pour la première fois dedans. C’était il y a un gros mois et demi. Déjà. Le temps passe vite ici. Contrairement à ce que certains pourraient penser. On ne possède pas d’horloge ni de montre. On n’entend pas le tic-tac régulier qui nous rappelle que le temps passe. Que les jours défilent. Et qu’au fur et à mesure, on devient vieux. Un peu plus chaque jour.

Lorsque Tom m’a conduite ici, j’étais perdue. Littérale-ment. Je ne savais plus qui j’étais. Où j’en étais. Quels étaient mes objectifs, mes priorités. Je ne savais plus rien. A part que je m’appelais Faustine et que j’allais mal. Que tout allait mal, en fait. Que j’étais seule. Et que je coulais, som-brais. Puis il y a eu Tom. Il ne m’a pas emmenée ici tout de suite. Il n’est pas fou et moi non plus. On ne suit pas un inconnu. Il a d’abord essayé de m’aider un peu. Comme il le pouvait. C’est vrai qu’il a bon coeur. On a fait connaissance. On a échangé nos sentiments. Ça faisait un bien fou. On s’est échangés notre premier baiser. Puis un deuxième. Jusqu’à former une sorte de couple. Un couple brinquebalant. Pas très stable. Mais ça nous suffisait. Ensuite, on est partis. C’était un soir, alors que nous étions tous les deux allongés sur le petit toit plat de son appartement et qu’on regardait les étoiles qu’il m’a proposé:

- Et si on partait ? il a dit. Si on fuyait cette vie ? Je n’en veux pas. Tu n’en veux pas. Qu’est-ce qu’on fait encore ici ? Merde quoi ! Qu’est-ce qu’on fout encore ici ? s’est-il exclamé.

Je l’ai regardé un instant, les yeux plissés. Je croyais qu’il délirait. Qu’il devenait fou. Je me suis dit : ça y est, le vin lui monte à la tête. Mais il semblait sérieux. Alors j’ai réfléchi à la question. Envisagé l’option. Et ai fini par me rendre à l’évidence. Ce n’était pas dans ce monde que je voulais pas-ser ma vie. Pas comme ça. Pas ici. Dans cette ville trop pol-luée, trop encombrée, trop bruyante. Alors, j’ai déclaré:

- T’as raison. Barrons-nous.

Et c’est ce qu’on a fait. On s’est barrés. Au petit matin. Avec seulement quelques vêtements sous la main. Un peu d’argent. Et sa vieille Citroën. Un peu rouillée sur les bords. Mais ça nous suffisait. Bon sang, on n’avait rien et on a tout quitté. Plusieurs fois, je me suis demandée si on avait pris la bonne décision. Si tout fuir n’était pas un acte lâche. Peut-être aurions-nous dû nous battre ? Encore et encore. Je crains que ce que nous avons fait n’était pas simplement de repousser le problème à plus tard. L’avenir nous le dira. J’espère tant avoir pris la bonne décision. Qu’en fuyant ainsi, j’ai effacé tous mes problèmes et que si je me décidais à finalement revenir dans le monde réel, je pourrais être une nouvelle Faustine. Depuis que je suis ici, je suis mieux. Je vais mieux. Je commence à accepter de laisser passer un peu de lumière en mon moi noir. Juste un peu. Mais cela suffit pour redonner de l’espoir et me dire que, oui, j’ai peut-être ma place dans ce monde.

La mer est basse quand nous nous attaquons au dessert. Etrangement calme. Pas un voilier à l’horizon. Pas une seule voile colorée. Juste ce bleu puissant à perte de vue. Du bleu et ce soleil qui plonge dans ces eaux. Je le répète chaque jour mais, c’est tellement beau. Tom a cuisiné roya-lement. Quand il s’y met, il fait des choses grandioses et, surtout, délicieuses. Si jamais un jour, l’un de nous doit tra-vailler, je l’encouragerai dans cette voie. On pourrait faire fortune, j’en suis sûre. Lui en cuisine, moi en salle Mais ça n’est pas à l’ordre du jour. Ici, pas besoin de bien gagner sa vie. Pas besoin de gagner tout court. On a tout. Besoin de rien. Et j’avoue que ça me convient à merveille. Je n’ai ja-mais été très douée pour travailler. Je n’ai jamais vraiment trouvé ma voie. J’aimais l’hôtellerie. Sincèrement. Mais je n’y arrivais pas. Suivre ce rythme effréné. Ces horaires in-fernaux. C’était trop. Et l’éducation que m’ont apportée mes parents n’y a rien changé, au contraire. C’était plutôt comme si le fait d’avoir eu tant de pression durant mon en-fance, tant de choses à apprendre pour faire plaisir à mes parents, que lorsque j’ai été en âge de faire mes propres choix, j’ai tout lâché. Je n’arrivais plus à suivre. J’étais com-plètement dépassée. Je n’en avais plus envie aussi. J’ai tout foiré. J’ai déçu mes parents. Me suis déçue moi-même. Ai sombré dans la dépression. Et sombré encore plus loin.

- Tu sais Fau’, j’aimerais qu’on vive ensemble à vie… Ici. A deux. Voire plus.

Je tique. Tom n’a encore jamais abordé cette question. Du potentiel mariage. De l’avenir à deux. D’une famille. Il vit dans le présent. J’apprends à ne pas penser plus loin qu’à demain. Ensemble, on n’imagine pas l’avenir.

- Je me pose souvent cette question, continue-t-il. Je me dis que maintenant, je suis prêt. Au fond, je crois qu’on s’est un peu sauvés tous les deux. Je ne sais pas, hein, j’imagine juste. Je commence à imaginer. C’est bizarre, non ? Moi qui ne suis pas de ce genre, d’habitude. J’imagine la maison pleine de vie. Moi qui leur apprends à nager. Toi qui les dorlotes. Je vois ça et je me dis que c’est peut-être ce qui me manque pour être pleinement heureux.

Je réfléchis un instant à ce qu’il vient de me dire. Je ne veux pas faire la fille coincée et têtue. Si nous sommes un couple, je veux réfléchir à ses réflexions. L’encourager éventuellement. Faire part de mon opinion.

- Je comprends. Mais je ne suis pas sûre que cela soit la bonne solution pour que tu sois heureux. Et puis, ça fait à peine trois mois qu’on se connait. Pour moi, c’est trop tôt. Je ne suis pas prête à devenir mère. A me marier. A parler projets. Je commence à peine à m’accepter. A me comprendre. A aller de l’avant. Je ne veux pas sombrer à nouveau dans… Tu sais ? Ça.

Il hoche lentement la tête. Plusieurs fois. Il fait mine de comprendre mes choix, mais je sens qu’il est déçu. Qu’il espérait mon accord. Ou du moins un peu plus d'enthou-siasme. Il s’en remettra. Passera à autre chose. Ce n’est pas la première discussion qu’on a comme ça où il me de-mande quelque chose et que je refuse. Lui fait comprendre que, non, pas encore. D’un autre côté, ces discussions me rassurent en un certain sens. Ça veut dire qu’il m’aime. Qu’il m’aime vraiment. Qu’il tient à moi. Comme celle qui lui a écrit la lettre.

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