Chapitre 13

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Tom,

Tu dois certainement te demander pourquoi cette énième lettre. Alors que je t’avais assuré que j’arrêtais ce manège. Que je cessais de me battre pour toi qui demeure invisible. Je sais. J’ai dit ça. Et crois-moi, je mets toute mon énergie à t’oublier et à me reconstruire. C’est comme quand on quitte la maison familiale pour construire la sienne. Il faut tout imaginer. Tout réorganiser. Tout réinventer. Tout. Il faut tout recommencer. J’essaie. Pas toute seule. Je m’entoure de personnes importantes. Qui m’aident. Mais bref. Je ne suis pas là pour parler de moi. Pas vraiment. De toute façon, ma vie ne t’intéresse plus. C’est la conclusion que j’ai faite après t’avoir écrit toutes ces lettres.

Cela fait deux mois précis que j’ai cessé de t’écrire. Ça m’a à la fois manqué et à la fois pas du tout. C’est étrange. Je crois que j’avais besoin d’avancer et de passer à autre chose. Tourner la page. En deux mois, il s’est passé tant de choses que j’aimerais te raconter ici. Mais encore une fois, je me suis promise de me retenir et de me contenter d’aller à l’essentiel. Cette lettre a un but. Ce qui va suivre ne va pas te plaire, te connaissant. Mais j’ai besoin de le faire et j’ai le maigre espoir que cela te fasse l’effet d’une gifle. Une bonne. Le genre qui te fait voir les choses en face et re-prendre les choses en main. Tu vois ce que je veux dire ? Tom, je ressens ce besoin pressant de raconter. De me sou-venir. De quoi ? me diras-tu. Eh bien, de tout. Depuis le début. On rembobine le film. On revient au point de dé-part.

Rapidement, faisons le point. On s’est rencontrés. On s’est aimés. On s’est appris. On s’est disputés. On a douté. On a surmonté. On a aimé. On s’est aimés encore. Et en-core. On a imaginé. On s’est dit pourquoi pas. On s’est ai-més. On s’est promis l’amour. On a continué. On a recom-mencé.

Voilà pour ce qui nous concerne nous, personnellement. On a fait notre petite vie remplie d’amour et de ten-dresse. Tom, je ne vais pas tourner autour du pot mainte-nant. Je vais aller droit au but, comme je l’ai promis. Sans faire de détour.

Ce jour-là, le bonheur était à son comble. Tu t’en souviens, j’imagine. Premier jour des vacances. Voiture char-gée à bloc. On n’aurait rien su ajouter de plus. Nos sourires ne quittaient pas nos visages blancs qui n’attendaient qu’à prendre le soleil. Je n’arrivais pas à m’en départir. On avait décidé de rouler avec ta soeur. Elle était tout heureuse de partager un moment avec nous. Et c’était réciproque. Elle se plaignait de devoir tenir la chandelle durant tout le trajet mais au fond, on savait qu’elle était contente d’être là. Raphaël avait succombé à son cancer un an auparavant. Juste avant que Clémence apprenne sa grossesse. Je me souviens de ce sentiment si partagé. Elle avait toujours voulu être mère. Mais seule ? Ce n’était pas pareil. Pourtant, elle l’a fait. Elle a pris la décision de garder cet enfant, pour le meil-leur et pour le pire. Elle est devenue maman. D’une petite fille. Gaïa. Elle était si comblée, disait-elle. Faire le deuil de Raphaël a été la chose la plus dure qu’elle ait dû faire. Là déjà, nous savions combien ta soeur était une battante. Elle était consciente, et encore plus après le décès de son com-pagnon de vie, qu’il fallait profiter de chaque petit bonheur, chaque petit instant, que nous offrait la vie. Alors elle a ac-cueilli Gaïa dans ce monde. Elle n’a jamais cherché à jouer le père et la mère. Père il n’y avait pas mais elle donnerait suffisamment d’amour à Gaïa pour que celle-ci en souffre le moins possible. C’est ce qu’elle nous avait confié quelques instants avant le début du travail et la venue au monde de Gaïa.

Cet été-là, Gaïa avait deux mois. Pour tous, c’était l’été des nouveautés. Premier été avec un enfant. Premier été sans Raphaël. Et premier été avec moi. J’étais tellement ex-citée. Je m’apprêtais à passer des vacances de rêve avec la personne que j’aimais plus que tout au monde et de sa famille qui était désormais devenue comme la mienne. Tu m’avais promis un été insolite. Je t’ai suivi les yeux fermés. J’avais pleinement confiance en toi.

Tes parents roulaient derrière nous. Et nous sommes partis ainsi, direction les Alpes et leur air pur qui nous revigoreraient pour affronter la suite de l’année.

J’ai toujours adoré les montagnes. Et vous aussi, m’avais-tu confié. J’y allais depuis toute petite. Je grimpais des sommets, sculptant mes mollets. Et une fois en haut, je respirais un grand coup et prenais conscience de la chance que j’avais. D’être ici. D’être sur terre. Vivante. En bonne santé.

Nous avons roulé. Fait des pauses. Roulé. Et refait des pauses. Trajet pas plus basique pour aller en vacances. On s’est arrêtés à Annecy pour profiter un moment du lac avant de commencer à grimper les montagnes pour rejoindre le petit chalet que tes parents avaient réservé. Tu avais repris le volant pour que nous puissions admirer, moi et ta soeur, les paysages à notre aise.

J’ai envie de dire : « et c’est là que tout a basculé ». Tout est allé très vite. Il a suffi d’un virage étroit. D’un peu d’inat-tention. De ces montagnes si belles. D’un motard qui rou-lait trop vite. Tu as freiné sec. La voiture de tes parents aussi. On a entendu les pneus crisser. Je ne sais pas com-ment tout cela est arrivé. Comment la Peugeot de tes parents a pu basculer dans la pente. Sans doute que certaines choses ne s’expliquent pas. Je ne me souviens de rien en-suite. Ç’a été le trou noir. Juste des cris lointains. Des si-rènes hurlantes. Des portes qui claquent et des lumières aveuglantes. C’est après que la réalité nous est apparue. Sanglante. Obscure. Funeste. Tes parents étaient morts sur le coup. Clémence était dans le coma. Tous les deux, nous nous en sortions avec une ou deux fractures ainsi qu’une commotion cérébrale. Et par je ne sais quel miracle, Gaïa n’avait rien. Je le redis : il y a des choses qui sont inexplicables.

Trois semaines sont passées. Tu étais toujours là mais plus vraiment avec moi, déjà. Nous n’avions pas encore la garde de Gaïa à ce moment. Et puis, dès que tout a été réglé, que les enterrements ont eu lieu et que l’état de ta soeur restait stable, tu as disparu. Comme ça. Sans prévenir. Tu m’as abandonnée. Laissée seule. Et pour ça, je t’en veux. Nous étions un couple. Nous nous devions d’être là l’un pour l’autre. Dans les moments joyeux comme dans les mo-ments plus difficiles. Tu as failli à ton devoir. Pour moi, ce fut un coup à encaisser en plus. Un poids supplémentaire à porter. Et depuis ce jour, aucune nouvelle.

Tom, cela fait maintenant un an que cet accident a eu lieu. Un an que Clémence est dans le coma. Un an que Gaïa vit avec moi. Et il s’est passé tant de choses depuis. Tant de petits bonheurs. D’espoirs aussi. Oui, en un an, il y a eu tant de choses que j’aurais souhaité partager avec toi.

Mais aujourd’hui, à l’heure où je t’écris, nous sommes le 12 juillet. Aujourd’hui, Clémence s’est réveillée. Tom, s’en est fini de ce cauchemar. De cette vie en apnée. Bon sang Tom, ta soeur s’est réveillée ! Je peine encore à croire que Gaïa va retrouver sa maman. Alors que les médecins n’y croyaient plus. Que l’espoir qu’elle nous revienne s’éteignait un peu plus chaque jour. Eh bien, elle l’a fait. Elle est sortie de ce sommeil sans fin.

Alors, s’il te plait, Tom, reviens. Pour ta soeur. Pour moi. Pour Gaïa. Et pour tous ceux qui ont besoin de toi. Tu as ta place. Je sais que tu t’en veux. Que tu penses que si tu avais été plus attentif, moins distrait, moins rêveur, rien de tout cela ne serait arrivé. Je sais que tu penses ça et que tu te morfonds. Que ça t’empêche d’avancer. Mais Tom, qu’en peux-tu ? C’est comme ça. Ce n’est pas ta faute, crois-moi. C’était un mauvais timing, comme on dit. De la mal-chance. Le mauvais endroit au mauvais moment. C’est la vie. Et puis de toute façon, fuir n’arrangera en rien la chose.

Voilà, Tom. Maintenant, je te propose quelque chose. Pour la toute dernière fois. Soit tu reviens dans ma vie, dans celle de Clémence, dans celle de Gaïa. Soit je ne veux plus jamais te voir. A toi de choisir. Tu connais mon souhait. Tu sais ce que désirerait ta soeur. Tu sais que tu manques à Gaïa. Désormais, ou tu te choisis toi, ou tu nous choisis nous. A toi de voir.

Je t’attends encore un peu,

T’insuffle tout mon courage,

Et t’embrasse,

Lisa.

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