La mémoire des luttes féministes au sein des sociétés précoloniales

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Il est hautement complexe d'aborder une biographie complète d'Elizabeth Mafekeng. Ainsi, c'est par le prisme des luttes qu'elle a mené, sans être forcément en capacité de développer précisément sa place, qu'il sera possible d'esquisser qui fut cette militante.

La lutte contre les laissez-passer a été une des premières grandes luttes d'Elizabeth Mafekeng, alors qu'elle était secrétaire du Syndicat des travailleurs de l’alimentation et des conserves (AFCWU) de la ville de Paarl. Sachant qu'elle avait été membre du FCWU jusqu'en 1947, le glaive de l'apartheid avait ensuite imposé l'existence du FCWU et du AFCWU, en d'autres termes deux syndicats racialement séparés.

Le livre « For their thriumphs and for their fears », en date du 1975, écrit par l'activiste Hilda Berstein, développe la triple oppression que constituait le fait d'être une femme noire travailleuse.

Dont voici un extrait portant sur le combat contre les laissez-passer :

« Cette campagne a également été le début d'une nouvelle unité d'action entre l'African National Congress et l'Indian Congress. En 1949, suite au retour d'un gouvernement nationaliste aux élections générales (blancs uniquement), l'African National Congress bénéficie d'un nouveau dynamisme venant de sa Ligue de la jeunesse, il a adopté un nouveau programme d'action appelant à « grèves, désobéissance civile et non-coopération ». Dans un premier temps une journée, l'arrêt de travail a été appelé pour le 1er mai. La police a tiré sur des foules de personnes dans les townships, tuant 18 personnes et en blessant 30, dont des enfants. L'explosion de tristesse et de colère qui a suivi les fusillades a réuni le Congrès national africain, le Congrès indien et le Parti communiste (alors déclaré illégal), dans un comité formé pour appeler un arrêt de travail national en signe de protestation le 26 juin 1950. Des centaines de milliers de personnes ont participé à ce qui était principalement une protestation contre l'apartheid ; les écoles étaient vides, les commerces des townships, et notamment les magasins indiens de Johannesburg et Durban étaient fermés. Au port
Elizabeth, l'arrêt était spectaculaire - toutes les expéditions ont été interrompues, les entreprises fermés et les hôtels et garages se sont retrouvés sans personnel. (Parce que toutes les grèves d'Africains sont illégales, le terme « grève générale » n'a pas été utilisé, car cela exposerait tous ceux qui l'organisent à l'arrestation. D'où l'« arrêt » (qui deviendra plus tard le 'rester à la maison' - fut la forme adoptée.) À partir de ce moment-là, le 26 juin est devenu le jour de la liberté pour l'Afrique du Sud.

De même qu'il n'est pas possible de discuter des problèmes et des handicaps des femmes africaines, sans discuter des problèmes et des handicaps que l'apartheid inflige à l'ensemble de la population noire, il n'est donc pas non plus possible d'évaluer les activités et les luttes politiques des femmes sans examiner la lutte générale pour la libération. Les femmes savent que simplement pour se battre pour un statut ou des droits améliorés au sein du cadre de l'État d'apartheid est pratiquement inutile. Les changements nécessaires sont primordiaux : les femmes noires ont besoin du droit de vote, tout comme les hommes noirs ont également besoin du droit de vote. Sans pouvoir politique, il y a peu d'espoir de changer leur propre problèmes immédiats d'emploi, de logement, d'éducation.

Les handicaps les plus graves qui affligent les femmes d'Afrique du Sud sont ceux qui découlent de la société raciste. Cependant, dans leurs activités, les femmes ont mis en jeu certaines caractéristiques qui leur sont propres. Malgré leur passé de société tribale patriarcale, les femmes sud-africaines n'ont jamais occupé les positions d'asservissement absolu qui existent encore dans certains parties de l'Asie et de l'Afrique. Avant même que le modèle tribal n'ait été brisé, tel qu'il est aujourd'hui, les femmes ont joué un rôle notable dans de nombreuses luttes politiques.

Dans l'ensemble, les femmes ont participé à la lutte générale pour la libération avec les hommes, et en retraçant les activités politiques des femmes, il n'est pas possible de les séparer des objectifs des luttes de libération nationale dans leur ensemble, ni des innombrables campagnes auxquels les femmes et les hommes ont participé ensemble.

Dans ces campagnes, bien qu'un nombre important de femmes aient joué des parties de plus en plus importantes, la direction dans son ensemble était généralement dominée par les hommes, mais certainement pas plus que ce que nous trouvons dans des pays comme l'Angleterre, où les femmes ont une tradition beaucoup plus longue de lutte politique ».


Cette ancienne membre du Parti travailliste, ayant rejoint le Parti communiste sud-africain, au regard de son opposition sans concession à l'Apartheid, éclaire sur l'adversité rimant avec une persévérance nécessaire de ces femmes.

Le monde de la lutte contre l'apartheid n'était pas dénué de l'oppression patriarcale, et de l'existence d'une classe sociale dominante virtuelle, ne cherchant qu'à exister. Ces militantes devaient redoubler de force, autant pour s'imposer dans la société de l'Apartheid, que dans la lutte elle-même.

La colonisation, tout comme l'apartheid, a relégué encore davantage les femmes africaines dans une position de soumission et d'exclusion de l'espace public, dont les territoires composant l'Afrique du Sud.

Il est intéressant de constater que le patriarcat existait bel et bien au sein de l'Afrique précoloniale. Toutefois, les femmes, issues de la classe dominante évidemment, avaient su conquérir des pans entiers du pouvoir dès le XVIIIe siècle. Ce qui est sans doute moins notable en France par exemple.

La sociologue sénégalaise et chercheuse sur les questions de genre, en la personne de Fatour Sarr, permet de mieux appréhender cette réalité, à laquelle certains occidentaux ne sont pas friands, puisque cela remet en cause la seule prise en compte du féminisme dicté. Déjà que le féminisme d'une femme ouvrière blanche n'a pas lieu d'être tant cité dans l'Histoire, diffusée par les occidentaux, alors celui des femmes noires, si on y ajoute être travailleuses.

Le modèle de la femme blanche, bourgeoise, libérée comme il faut, et bien souvent de droite, à la Simone Veil en France (sans nier le respect qu'il faut lui devoir sur certains sujets), semble mieux s'exprimer.

Il est désormais le moment de consulter un extrait de l'article « Féminismes en Afrique occidentale ? Prise de conscience et luttes politiques et sociales » de Fatou Sarr :

« Comprendre la place des femmes africaines dans la société précoloniale permet de saisir le sens du combat qu’elles ont mené contre le modèle occidental qui remettait en cause des acquis que leur conféraient leurs sociétés. Leurs positions sociales étaient justifiées par leur rôle au niveau économique, social et spirituel, mais elles pouvaient être aussi le fruit de luttes âprement menées.

Les données sur de grandes figures féminines à travers toute l’Afrique, fournies par les témoignages d’anciens voyageurs et les découvertes d’historiens modernes (Hadiza Djibo 2001) illustrent le rôle de premier plan joué par des femmes remarquables qui ont assumé dans certaines circonstances la direction de leur peuple, notamment dans des luttes entre États africains ou contre les invasions arabes et les conquêtes coloniales.

Chez les Songhay, on cite la Reine Weyza, qui selon Boubou Hama (1972) a été mentionnée expressément par Tarickh-el-Fettah, ainsi que deux autres illustres reines : Adama et Koddio, qui se succédèrent au trône de Kokoro (Djibo 2001).

Au Mali, Bikoun Kabi, Reine de Sanhaja Nono, aurait régné au milieu du XVe siècle.

Au Nigeria, c’est à la Reine Haussa, Amina de Zaria, arrivée au pouvoir en 1476 que l’on doit l’introduction de la noix de cola. À la tête d’une armée de 20 000 hommes, elle a mené trente-quatre années de campagne militaire quasi ininterrompues, a annexé plusieurs cités et dominé Kano et Katsina.

Cette présence des femmes dans l’espace politique précolonial n’est pas un mythe. Elle est confirmée par le rôle joué par quelques unes, jusqu’au début de la conquête coloniale.

En Sierra Leone, en 1787, ce fut la reine Yamacouba qui céda le premier lopin de la presqu’île à une société anglaise. Deux autres femmes signèrent un siècle plus tard, en 1889, des traités analogues.

Au Ghana – actuel – la dernière personne à jouer un rôle de chef de résistance contre la conquête britannique, à la fin du XIXe siècle, fut une femme du nom de Yaa Asentewa. Elle prit la place de la reine mère des Ashanti, quand cette dernière, Nan Afrane Kuma, fut déportée avec son fils, Prempeh Ier, en 1896 aux Seychelles. Elle organisa devant la capitale, Kumasi, un siège qui dura deux mois. Les Britanniques durent mobiliser 1 400 hommes, des munitions et les armes les plus modernes pour venir à bout de 40 000 à 50 000 Ashanti qui avaient suivi cette reine et il leur fallut trois mois supplémentaires et un renfort de 1200 hommes pour la capturer avec ses derniers fidèles (Coquery-Vidrovitch 1994).

Au Sénégal, les dernières années du royaume du Waalo – dans le Nord du pays – face à la présence coloniale, se conjuguèrent au féminin avec les linguères Ndjeumbeut Mbodj et Ndaté Yalla Mbodj (Barry 1985).

Ces quelques exemples illustrent bien la présence fort ancienne des femmes dans la gestion du pouvoir et ce, au plus haut niveau. Toutefois, leur arrivée au pouvoir est mal connue, mais l’histoire du Waalo (Sénégal) donne un éclairage sur les luttes qu’elles ont menées pour arriver à de telles positions.

À la mort du fondateur du Royaume, Barko Mbo, tous les enfants de son épouse dont deux garçons et huit filles ont été tour à tour intronisés Brack (titre porté par le roi). Après le règne des femmes, le premier petit-fils revendiqua à sa majorité le titre de Brack, estimant qu’il lui revenait de droit, du fait qu’il était le plus âgé de la descendance du fondateur. Face au refus de l’Assemblée des électeurs, il s’exila avant de revenir faire la guerre à différents dignitaires et les tua tous. Pour faire cesser le carnage, il fut nommé Brack. À partir de ce moment, l’accession au trône devint l’objet d’âpres luttes entre les prétendants qui étaient tous descendants du même homme, mais de lignées maternelles différentes : Dioss, Loggar, Tedjek. Toutefois, le système politique accordait une fonction importante à la femme avec le statut de Linguère, qui revenait de droit à une femme de la lignée maternelle du Brack. Ceci permettait de faire respecter un équilibre entre les lignées paternelle et maternelle. Ces femmes qui étaient les gardiennes du trésor familial jouaient souvent un rôle déterminant dans le choix du Brack.

Ce rôle d’influence peut être illustré par la lutte pour le pouvoir entre les Loggar et les Tedjek au XVIIe siècle. En 1683, la Linguère Dyambur-gel a exigé de son frère, le Roi Bër Tyaaka, le limogeage de son neveu consanguin nommé au poste de Kadj, équivalent au Viceroi, pour le remplacer par un neveu issu de la lignée maternelle. Les historiens l’ont présentée comme étant une mauvaise conseillère à l’origine des malheurs de son frère et du royaume. Toutefois, on peut dire qu’en posant un tel acte, la Linguère Dyambur-gel voulait qu’après la mort du Brack, le pouvoir restât aux mains de sa lignée maternelle. Cependant, la destitution du neveu consanguin a conduit à une crise, car après une tentative d’assassinat du Brack, les dissidents finirent par s’exiler. Ils se fixèrent à Wuli, un pays riche en or, situé dans le Sénégal oriental actuel, principale réserve de mines d’or du pays. Cette lignée évincée en 1683 finira par prendre le pouvoir en 1716 et le gardera jusqu’en 1766 (soit 50 ans). Après 19 ans de guerre civile, ils reprendront le contrôle du pouvoir jusqu’à la fin du royaume en 1855 (soit 70 ans). Il faudra noter que sur toute cette période, même s’il y a eu des intermèdes durant lesquels le Brack venait d’une autre lignée, les Linguères, elles, étaient toujours issues de la famille Tedjek.

Dans les luttes pour le contrôle du pouvoir entre les trois lignées éligibles, Dioss, Loggar, Tedjek, qui seules pouvaient prétendre au trône, les femmes ont payé un lourd tribut, parce qu’elles ont été l’objet d’éliminations systématiques pour éviter qu’elles ne donnent naissance à des enfants mâles. Les Linguères, Djambourgel, Co-Ndama, Anta Diop et sa fille Féyor Anta, ont été sauvagement assassinées. Co-Ndama a été égorgée par son neveu consanguin, Féyor Anta, enceinte et à terme. Le bébé retiré vivant du ventre de sa mère a été égorgé par la suite, parce qu’il était un garçon.

Les femmes vont développer des stratégies de contrôle du pouvoir et le tournant décisif s’opère en 1795, lorsque la Linguère Tègue Rella, suite à la folie de son frère, le Brack Ndiack Coumba, prend le contrôle après avoir soigneusement caché la maladie du roi en l’exilant hors de la capitale. À partir de cette date, ce sont les femmes qui dans l’ombre exercent le pouvoir. En 1805, la Linguère Fatim Yamar Khouriaye qui a remplacé sa sœur Tègue Rella, propose au poste de Brack son cousin Couly Mbaba Diop dont la légitimité était contestée en raison de son patronyme. Cela permet d’avoir le contrôle absolu du pouvoir, car ce dernier n’incarnait pas la légitimité, au regard des principes voulant que seul les Mbodj puissent assumer cette fonction. À sa mort en 1816, elle fait élire son mari, Amar Fatim Borso2 en lui adjoignant comme vice-Brack, son propre neveu.

Le nom de Fatim Yamar Khouriaye est resté dans l’histoire du Sénégal, car c’est elle qui le 7 mars 1820, en l’absence des hommes, organisa la résistance pour faire face à l’attaque de la capitale par l’ennemi3. Sentant la victoire lui échapper, elle a préféré se brûler vive avec plusieurs de ses compagnes, préférant la mort au déshonneur. Ce jour-là, en décidant d’évacuer ses deux filles, Djeumbeut et Ndatté Yalla, âgées d’à peine 10 à 12 ans, pour perpétuer sa lignée, elle avait pris un acte de haute portée politique. En effet, ces dernières finiront par diriger le Royaume et poursuivre l’œuvre de leur mère.

Djeumbeut proclamée Linguère, adopta la même stratégie que sa mère en proposant en 1827 un Brack qui ne pouvait pas lui porter ombrage. À la mort de ce dernier en 1840, avec sa sœur Ndatte Yalla, elles ont su contrecarrer l’objectif des Français, ont pu imposer leur candidat au détriment de celui de la colonie, et elles ont gouverné à sa place4. Ainsi, pendant 60 ans, de 1795 à 1855, date de la conquête du Waalo par la France, la réalité du pouvoir était entre les mains des femmes.

Avec Ndatté Yalla, dernière souveraine du Waloo, installée le 1 er octobre 1846 à la mort de sa grande sœur Djeumbeut, on assiste au parachèvement du processus de contrôle du pouvoir initié par les Linguères depuis le XVIIe siècle.

Si en 1819, dans les accords signés entre le Waalo et les Français, il ne figurait que des hommes. À partir de 1846, tous les actes officiels portaient le nom de Ndatté Yalla. Elle finit ainsi par reléguer le Brack et les autres dignitaires au second plan. Parfois, les Français ne s’adressaient qu’à Ndatté, et il arrivait que les lettres envoyées au gouverneur ne portent que sa seule signature. Dans une correspondance adressée le 23 mai 1851 à Faidherbe, retrouvée aux archives nationales du Sénégal, Ndatté s’exprimait en ces termes : « le but de cette lettre est de vous faire connaître que l’Ile de Mboyo m’appartient depuis mon grand-père jusqu’à moi. Aujourd’hui, il n’y a personne qui puisse dire que ce pays lui appartient. Il est à moi seule ». Ndatté se considérait comme le seul souverain du Royaume du Waalo.

Son règne sera marqué par une défiance permanente des Français contre lesquels elle a livré une bataille acharnée. Dès 1847, elle s’opposa au passage du bétail sur son territoire pour ravitailler Saint Louis. Elle décida de faire prévaloir ses droits sur l’île de Mboye et sur l’île de Sor (une partie de l’actuelle ville de Saint Louis) qu’elle affirma n’avoir jamais vendu à personne. Le 5 novembre 1850, elle interdit tout commerce dans les zones de sa dépendance. Cette mesure touchait les intérêts des Français et les hostilités étaient ouvertes. C’est avec la bataille déclenchée le 5 février 1855 par Faidherbe que les troupes du Waalo seront définitivement battues le 25 février 1855 par la puissance technologique de l’ennemi.

L’histoire du Waalo nous enseigne qu’au moins, en ce qui concerne le statut de la femme, comme ce fut le cas entre les Gaulois et les Romains, les civilisations africaines étaient de loin en avance sur celles de leurs vainqueurs. La première force de résistance que les Français ont rencontrée en 1855 dans leur politique de colonisation du Sénégal avait pour chef une femme. Il a fallu à ceux qui ont vaincu la Reine Ndatté Yalla attendre 1945, soit 90 ans, pour daigner accorder le statut de citoyennes à leurs femmes.

L’histoire du Waalo ouvre une piste pour la recherche d’un modèle de gestion partagée du pouvoir que l’on trouve dans d’autres espaces, d’autant que d’autres modèles intéressants se sont développés dans d’autres espaces en Afrique.

Au Nigeria, les historiens signalent l’existence d’institutions de femmes chez certains groupes Ibos de l’Ouest. L’Omu, reine mère du village ou d’un groupe de villages, jouait un rôle parallèle à celui du roi ou Obi – chef. Elle n’en était ni la mère, ni la sœur, ni l’épouse, ni même une parente. Elle représentait l’équivalent du pouvoir mâle. C’était une femme reconnue pour ses capacités, son intelligence ou sa fortune et qui portait des signes distinctifs de son statut, comme par exemple un couvre-chef (Coquery-Vidrovitch 1994).

En Côte d’Ivoire, la société Baoulé présente un exemple de règles de répartition remarquablement égalitaire entre les sexes. Les femmes avaient le droit d’hériter leur position d’aînée du lignage d’un groupe de parenté du chef du village ou d’un ensemble de villages. Ce privilège remonterait à la fondatrice du groupe, la reine Pokou d’origine Ashanti, qui au XVIIIe siècle entraîna avec elle une cohorte de réfugiés politiques.

Outre l’espace politique, les femmes pouvaient acquérir dans l’espace religieux un pouvoir exceptionnel. Dans les sociétés secrètes traditionnelles, elles pouvaient occuper la plus haute hiérarchie et exercer l’autorité effective sur tous les membres, hommes et femmes, parce que d’elles dépendait le destin de leur peuple. Elles avaient le pouvoir de prédire l’avenir, de guérir les malades, d’entrer en contact avec les ancêtres. Ce sont elles qui donnaient la vie et qui éloignaient le mal.

Les rites de fertilité agraire et les cérémonies rituelles se rapportant aux récoltes étaient en liaison directe avec le rôle central et irremplaçable de la communauté féminine, parce que la fertilité agricole se trouvait associée à la fécondité féminine.

Catherine Coquery-Vidrovitch (1994) rapporte l’existence d’une dynastie féminine, les Mujaji, qui vécut du XVIe au XIXe siècle en pays Sotho – Afrique Australe – et dont certains membres furent vénérés comme des faiseurs de pluie. Boubou Hama (1972) affirme que certains Zimas – prêtes du culte Foley – sont de sexe féminin.

Les compétences sacerdotales et médicinales de la femme lui donnaient des droits indiscutables. Cela l’autorisait notamment à intervenir directement sur la vie publique, ou à défaut, d’exercer une certaine influence, à titre privé ou officieux, même lorsque le pouvoir en derrière instance était détenu symboliquement ou effectivement par les hommes.

En Haïti, la cérémonie du Bois Caïman, point de départ de la révolte générale des esclaves qui a conduit à l’indépendance en 1804, fut présidée par une prêtresse vaudou (Gilbert 2001).

En Casamance, de nombreux témoignages convergent sur le fait que les femmes ont été impliquées dans la préparation du conflit dans sa dimension mystique, de par leur rôle de prêtresse. Et de fait, la paix passe par celles-là qui sont gardiennes des bois sacrés où les combattants prêtent un serment dont seules ces dernières peuvent les délivrer (Sarr 2001).

Les associations féminines, les classes d’âges et les sociétés secrètes – interdites à l’autre sexe – avaient une fonction politique et pouvaient passer pour une voie d’accès au pouvoir. Ces institutions permettaient à leurs adhérentes de donner leur appréciation sur les décisions à prendre, telles que la nomination de chefs et les actes d’alliances ou de guerre. Elles étaient représentées sur la place publique par leur porte-parole. Hadiza Djibo a raison de dire que :

Quelle qu’ait été l’origine des prérogatives des femmes en Afrique, et quelle que puisse être la difficulté de reconstituer d’une manière précise l’état des relations entre sexes dans les temps précoloniaux, il est possible d’affirmer que ce qui a conduit à la perte des privilèges de la femme, au renforcement de l’hégémonie masculine et à l’aggravation de l’assujettissement féminin, est à chercher pour une large part, dans le bouleversement des structures économiques, sous l’effet du choc provoqué par des facteurs exogènes. (Djibo 2001)

C’est le pouvoir colonial avec un projet de société patriarcal, renforcé par les religions étrangères qui a exclu les femmes de l’espace public en leur refusant toute possibilité de participer au jeu politique. D’une position où elles étaient faiseuses de rois et où elles dirigeaient leur peuple, les femmes se sont retrouvées subitement, exclues de tout »

Ce sont encore des questionnements qui se posent dans le féminisme des femmes noires ou intersectionnelles. Dans quelle mesure, il est possible de faire vivre la mémoire des luttes féministes au sein des sociétés précoloniales, enterrées par la colonisation, sans occulter la dimension patriarcale de ces sociétés ? C'est toute l'affirmation de l'article de Fatou Sarr.

(Dit simplement, l'intersectionnalité est un outil d'analyse sociologique, afin de prendre en compte les différentes oppressions, qu'une personne peut subir, que cela soit pour sa race sociale, pour son orientation sexuelle, pour sa classe sociale, pour son genre... Par exemple, si on s'intéresse à Elizabeth Mafekeng, elle avait une oppression de genre, de race sociale, de classe, car elle était une femme noire de la classe des travailleurs. Dit encore plus simplement, c'est analyser à quel point une personne est dans la, pardonnez-moi le mot, merde en terme d'oppressions subies. Il est à préciser que ce terme est sujet à de vifs débats, mais reflète une composante forte du féminisme de nombreuses femmes noires ou racisées...).

Ces considérations pourront être au cœur des esprits des femmes sud-africaines en lutte au XXe siècle, dont celui d'une personnalité syndicale si influente que Elizabeth Mafekeng.

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