18. Un rituel ?

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Dimanche 02 décembreCASSIE

Mes mains sont calées autour de ma tasse, elles se réchauffent autant que mes joues qui prennent une teinte écarlate quand je me remémore notre partage de chocolat d’hier. Mon regard dans le vide, perdu dans la contemplation du liquide sucré, je nous revois plus jeunes cette fois. Malory hurlant à la porte du sous-sol pour nous faire remonter, appâtés par cette fameuse boisson et ses pancakes aussi ronds que moelleux. Je ne compte même plus les dimanches matin où elle nous retrouvait tous les deux entrelacés sur le canapé, la télévision encore allumée tandis que nous dormions à point fermé.

Et je me souviens surtout de ce matin-là, de ce pas que nous avons franchi alors que jusqu’alors nous n’étions que des amis. Une amitié si forte qu’elle ne pouvait pas se contenter d’être simple. D’ailleurs… ce jour-là, Malory n’avait trouvé personne au sous-sol. Juste les restes de notre soirée. Et l’indice que nous n’étions pas si loin que ça. Juste deux étages au-dessus. Dans une chambre que j’avais appris à connaître autant que ce sous-sol aménagé.

« Ce soir, Ashley a décidé que nous devions délaisser la salle de jeux pour monter à l’étage. Chose qui ne nous arrive jamais, en tout cas pas en soirée. Alors curieuse, je le suis, mes doigts enlacés aux siens. Nous passons dans la cuisine, la pièce qui leur sert de salle à manger pour foncer vers l’escalier du grand hall. Arrivés là, Ash vérifie que je suis ses mouvements avec un sourire complice, et il monte les marches deux par deux. Me faisant presque perdre le rythme. D’ailleurs une fois en haut, il me retient en posant une main sur ma taille.

Attention Stella. Ne tombe pas.

Jamais, si tu me tiens.

Nous nous sourions l’un l’autre, et avec une bise chaleureuse sur la joue, il repart en direction de sa chambre. L’aile droite lui est dédiée. Salle de bain personnelle, et surtout une chambre qui fait deux fois la taille de la mienne. Mais il ne s’en vante pas, reste humble et pour un adolescent, c’est rare. J’admire sa façon de penser, cette envie de toujours partager la chance qu’il a, au grand dam de sa mère. Et puis, c’est sa manière à lui, de sortir de l’enfer. Je le sais, je l’ai compris une semaine après notre discussion le soir de notre rencontre.

A deux pas de sa porte, nous entendons le claquement des talons de la vipère qui grimpe les escaliers que nous venons de quitter. Il ne faut pas plus que ce son à Ashley pour qu'il m’entraîne d’un geste vif à l’intérieur de sa chambre. Claquant la porte dans mon dos et m’y plaquant. Son visage plonge vers moi et son nez vient par la suite se glisser dans le creux de ma nuque au milieu de mes boucles brunes. Un frisson s’empare de mon cou, glissant jusqu’au creux de mes reins.

Ashley… soupiré-je.

Restons comme ça quelques instants. S’il te plait.

Sa demande me surprend, et pourtant je ne le repousse pas, le laisse faire quand sa main encore libre parcourt ma hanche pour poursuivre son chemin et se caler sur ma joue. Son pouce dessine ainsi des cercles sur ma pommette rougie par notre ascension. Son nez toujours enfoui contre ma nuque explore quant à lui chaque centimètre de celle-ci. Les papillons à présent logés dans mon ventre, s’agitent, se transforment en une sensation qui m’est étrangère.

Et alors que j’amorce un mouvement, tentant de comprendre ce qu’Ash cherche à faire, ce qu’il tente de me montrer à travers ses gestes : il s’éloigne de moi. La chaleur de son corps encore présente sur ma peau provoque un vide que j’ai tout à coup envie de combler. Mes doigts qui étaient encore enlacés aux siens se libèrent. Une seconde plus tard, mes bras sont autour du cou d’Ashley, mes yeux se perdent dans ses émeraudes si particulières. Je les examine, les apprends par cœur, analyse chaque étincelle d’or qui s’y cachent.

Et sans plus retenir ce désir que j’ai en moi depuis le premier soir, j’ose.

Stella, Qu’est-ce que…

Chut. Embrasse-moi.

Pendant une seconde, je crains de le faire fuir. Mais l’instant d’après, ses deux mains se plaquent sur mes joues et attirent mon visage vers le sien. Mon corps tout entier lui répond. Je me hisse sur la pointe des pieds au moment même où nos lèvres se scellent. Au début, c’est léger presque comme une caresse avant de prendre une nouvelle intensité. Il se fait plus avide, plus gourmand aussi. Et dans un gémissement, il glisse ses doigts dans mes cheveux, pousse sur ma tête pour augmenter encore la puissance de notre baiser.

Bientôt, j’oublie ce qui nous entoure. Je suis focalisée sur mes sensations, ses réactions, sur ce sentiment d’être à ma place. Un doux soupir nous échappe quand on se sépare pour reprendre notre respiration. Mais il ne me laisse pas bouger, ne me permet pas de dire un mot que déjà sa bouche revient à la charge. M’électrisant des pieds à la tête, jusqu’à ce qu’à mon tour, je perde le contrôle.

Avide de plus.

Dans un demi-sourire, je lui mordille la lèvre, le cherche du bout de la langue avant de finalement m’écarter de son corps. Nous avons tout notre temps. Et ce soir, n’est que le premier pas de notre histoire. D’ailleurs quand ses yeux fouillent mon océan, il semble comprendre. Se détache de moi, me tourne le dos pour deux pas plus loin s’arrêter. Moi, je n’ai pas esquissé un mouvement, dans l’attente. Comme prête à agir au moindre de ces mots. Un indice pour me signifier que pour lui aussi c’était unique, beau.

« NOUS » tout simplement.

Un instant.

Une inspiration lui suffit pour me surprendre.

Là où la minute d’avant nous étions séparés, à présent nos corps s’enlacent, se mêlent dans un accord qui leur ressemble. Ses lèvres s’emparent des miennes, s’en imprègnent. Ses doigts dessinent le contour de ma mâchoire, appréhendent chaque détail à sa disposition. Et moi, fébrile, je m’ancre à Ash. Attache mes mains derrière sa nuque, ferme les yeux et savoure chaque sensation, chaque toucher, chaque odeur. Une odeur de miel. Une odeur à la hauteur des battements de mon cœur.

Et dans un dernier soupir, nous nous détachons l’un de l’autre. Nos bouches à quelques millimètres de distance, nos souffles courts, erratiques. Mes paupières s’ouvrent en même temps que les siennes, du moins je crois, et dans un mouvement à l’unisson nous posons nos fronts l’un contre l’autre. Mes doigts ne se détachent pas de leur point d’ancrage tandis que ceux d’Ashley viennent apprivoiser mes joues. Et c’est d’un même murmure que nous nous l’avouons enfin :

Je t’aime. »

Une larme roule sur ma joue au moment où je reprends le fil de la réalité. Ce souvenir est l’un de ceux que je préfère et pourtant, il me fait autant de bien que de mal. Je ne sais pas vraiment pourquoi il vient s’inviter dans mes pensées aujourd’hui, mais je suis sûre que ça a un lien avec la présence d’Ashley à mes côtés. Peut-être qu’il était encore dans un coin de ma mémoire, le tiroir de mes souvenirs ouvert sur mes moments heureux avec lui. Mon premier amour, mes premiers baisers, mes premiers « je t’aime », ma première fois. Nous avons partagé plus qu’une amourette, vécu une histoire que je croyais unique.

Elle l’était n’est-ce pas ? Je veux dire, on ne peut pas aimer une personne autant, lui ouvrir son cœur, son âme, ses secrets pour un simple jeu. On ne peut pas tourner le dos à la personne qu’on aime à moins d’avoir une raison. Alors pourquoi mon cœur me fait si mal, pourquoi j’ai encore aujourd’hui l’impression de le voir me tourner le dos sans un regard en arrière alors qu’au début de notre histoire, nous étions si fusionnels ? Si… Insouciants, téméraires et surtout si naïfs.

Je nous croyais invincibles.

Il m’a brisée.

Nous a détruit.

— Stella…

Le murmure d’Ash me surprend mais ce qui m’étonne le plus, ce sont ses doigts frais sur ma joue. D’un geste délicat, il essuie la larme qui vient rejoindre la première. Je tente de détourner le regard ne souhaitant pas voir la pitié se peindre dans ses yeux pourtant, j’y suis obligée. Son index vient se caler sous mon menton et le guider vers lui. Il m’emprisonne, me piège dans ses yeux de gemmes. Et ce que j’y lis me percute de plein fouet.

Il n’y a aucune pitié. Juste de l’inquiétude.

— Tout va bien ? me demande Ash anxieux.

— Oui. Je repensais seulement à…

— Nous, termine-t-il comme si c’était l’évidence même. Moi aussi, il m’arrive de craquer. Tu sais… des fois, je me demande ce qui se serait passé si je m’étais retourné, si je t’avais tout raconté, si tu avais su que tout mon monde s’écroulait peut-être que… peut-être que, merde, je ne sais pas !

Agité, ses mains se décollent de ma peau et viennent tirer ses cheveux en arrière. Il faisait déjà ça avant. Et le voir agir ainsi, reconnaître les tocs qu’il avait à l’époque, me rassure là où ses paroles fendent des parcelles encore fragiles de cette chose qui bat dans ma poitrine. Ce membre qui se serre chaque fois que je croise ses yeux, chaque fois que nous nous approchons pour mieux nous éloigner. Nous tourner autour, c’est ce qu’on sait faire de mieux.

Se chercher, se provoquer pour finir par succomber, se retrouver, s’embrasser…

Stop ! Je n’ai pas les idées claires, passant d’un sentiment nostalgique à un désir inavouable. Pourtant, j’aurais envie de lui dire, de lui hurler tout le mal que notre séparation m’a fait et aussi… j’ai ce besoin presque vital de le savoir près de moi, de savoir que je peux l’aider, que j’ai une importance dans sa vie. Parce que merde ! Lui, il compte. Sinon pourquoi j’aurais traversé une foule de corps dansants et suants dans le seul but de le sortir des griffes d’une vipère en devenir ?

Mais ça n’empêche pas que…

— Avec des « si », on referait le monde. Tu le sais ça, Ash. Et puis. J’ai su me relever, avec de l’aide, certes. Une aide précieuse. Mais je crois que je ne changerais rien pour autant. Alors oui, j’ai encore du chemin à parcourir, des épreuves sont surement à venir, pourtant je ne doute pas. Je sais ce que je vaux, et j’ai grandi, évoluée. Je ne suis plus une adolescente.

— Non. Tu es une femme. Et tu es magnifique, Stella. Toujours aussi lumineuse. Une étoile dans la nuit, déclare-t-il d’un ton ferme, convainquant.

Mes pommettes me brûlent sous le compliment. Ce détail ne changera pas par contre. Elles me trahissent toujours, réagissent à chacune de mes réactions. Et c’est dans un rire complice que nous terminons enfin de boire nos chocolats chauds. Décidément, cette matinée est des plus surprenantes, un rappel du passé auquel je ne m’attendais pas. D’ailleurs, je n’ai pas le temps d’y réfléchir que nos deux compères reviennent nous tenir compagnie.

— On vous a entendu rire.

— Ouais. C’est étrange de vous voir ensemble. Comme ça, un dimanche.

— Surtout le jour des pancakes ! hurle Eliott en nous attrapant Ashley et moi par les épaules.

Je hausse les épaules, silencieuse. J’attends que l’information arrive au cerveau de Crève-cœur. Lançant tantôt un regard accusateur à Eliott, tantôt un sourire stressé à Cole. Et là où le premier semble confiant, le second penche la tête dans un sursaut de sourcils pour me signifier qu’il a hâte de connaître la réaction du centre de notre attention. D’ailleurs, Ash doit sentir nos regards peser sur lui, parce qu’il s’éloigne de moi avant de se lever, de faire un aller-retour tout en cachant ses doigts dans sa tignasse pour finir par se planter face à moi, les yeux pétillants d’espoir.

— Vous continuez notre rituel ? Ce n’était pas exceptionnel ? Je veux dire, vous faites vraiment ça tous les dimanches matins ? m’interroge-t-il en me désignant les restes de notre petit déjeuner qui trainent encore sur l’îlot.

J’essaie tant bien que mal de rester sérieuse, mais ne me retiens pas longtemps. D’autant plus que Cole et Eliott, eux, ne se privent pas d’éclater de rire. Des sons rauques puissants qui ont le don de provoquer la fureur d’Ash. Celui-ci croise les bras sur sa poitrine, se croyant apparemment menaçant. Sauf qu’au de lieu de cela, il a l’allure d’un adolescent vexé. Et cette fois, c’est d’un gloussement léger que j’accompagne mes acolytes.

— Mais merde ! Vous vous foutez de ma gueule ! Sérieux…

Dépité, son cul vient se poser sur le dossier de notre canapé, sur lequel il attrape le calendrier de l’avent abandonné plus tôt. Oh non, il ne va pas s’y mettre. Hein ? Il ne va décemment pas faire ça ? Mais si ! Il ose, se moque totalement de notre hilarité pour entrer dans son délire sous les regards ahuris de mes colocataires qui se calment en un claquement de doigts.

— Ils sont méchants avec moi, Rodolf. Il n’y a que toi qui me comprend. Un véritable ami. Je vais te ramener à la maison avec moi, ne t’en fais pas.

— Sérieux, Crève-cœur ! Tu crois qu’il va te répondre ? Comment tu vas faire quand tu vas devoir lui défoncer la tronche en ouvrant vos foutues cases ? Tu vas pleurnicher comme hier soir quand Cass te trainait derrière elle ?

Cole et son sarcasme.

Magnifique

— Désolée, annoncé-je reprenant mon sérieux. Pour en revenir à tes questions. Ce sont, eux, les coupables pour le rituel. Quand ils ont su que je connaissais la recette de… enfin de Malory, ils ne m’ont pas lâché jusqu’à ce que je cède.

— Ouais ! Et comment ! Imagine ce que serait nos weekends sans ce rendez-vous ? D’une tristesse. In. Fi. Nie.

El sépare toutes les syllabes pour qu’on soit conscient de l’importance de ce petit déjeuner. Une réunion d’après soirée, un réconfort après une rupture, une rigolade après une beuverie. En gros ce rituel, c’est ma lumière. L’étincelle qui m’a fait tenir, ouvrir les yeux sur mon avenir, et surtout remonter la pente dans les pires moments. Alors oui. Mama n’était plus là, Ash… avait déserté. Mais. Cole et Eliott étaient là, parfois accompagnés par Léa. D’autres, rythmés par le rire criard de Sandy. Et d’autres encore, dynamisés par les anecdotes d’Audrey.

— J’en avais besoin.

— J’en aurais eu besoin aussi, avoue Ash en se raclant la gorge.

*

ASHLEY

Les mots m’ont échappé sans que je ne puisse les arrêter, roulant sur ma langue et franchissant mes lèvres dans un murmure presque inaudible. Du moins, c’est ce que je croyais mais le regard entendu de Cassie vers moi, m’indique que je me plante totalement. Elle a entendu et… compris. Comme elle le faisait avant. Quand je remarque que nous avons deux spectateurs, je romps notre contact visuel et baisse la tête.

OK, Ash, réfléchis.

En fait, je sais ce que je dois faire mais je n’ose pas m’y résoudre, n’en ai pas envie. Et à vrai dire, je me sens presque à ma place ici, avec ces trois paires d’yeux qui me fusillent dans l’attente d’un mouvement. Calé, le cul sur le dossier du canapé, j’analyse encore quelques instants la situation et fini par me décider. Cette matinée, ce petit déjeuner, tout ceci autour de moi et surtout cette multitude de décorations de Noël sont égaux à des bulles de savons. Des bulles que j’ai peur d’éclater.

Que je risque malgré moi, de faire exploser.

Je me racle la gorge tout en me redressant et enfonçant mes mains dans mes poches. Courage, Ash. Je n’ai qu’à les remercier pour leur accueil, et prendre la fuite. C’est ce que je sais faire de mieux. Et personne n’en sera surpris d’ailleurs. Pourtant, pour la première fois depuis onze ans, je n’ai pas envie de m’évader, de prendre mes jambes à mon cou. Le pire ? C’est que d’habitude, si je me réveille dans l’appartement d’une femme, je fais tout pour ne pas avoir à lui parler, à la croiser, ni même à laisser ne serait-ce qu’un mot. Merde !

Avec Stella, c’est différent. Ça l’a toujours été. Et c’est sur cette pensée que l’évidence me frappe, une étincelle de ce souvenir aussi précieux qu’unique. Notre seul dimanche matin où Malory, nous a surpris dans ma chambre. Ce lendemain qui a bouleversé mon cœur et où les paroles de cette étoile se sont gravées dans ma mémoire, tant et si bien qu’elles sont maintenant sur ma poitrine.

« Après notre aveu commun, ces trois mots que je n’ai entendus que très rarement depuis… en fait, depuis aussi loin que je me souvienne, les seules personnes qui m’ont dit ces mots sont mon père et Malory, ma nounou. Ma mère ? Elle est tellement déçue d’avoir affaire à un fils que les paroles, qu’elle m’adresse, sont toujours cinglantes, tranchantes, vibrantes d’une haine sans nom. Et pourtant, elle continue de faire de ma vie un enfer. Elle s’insinue dans mes pensées, me paralyse, me transforme en un connard que je ne suis pas.

Que j’ai peur de devenir.

Profitant des autres avant de les jeter comme de vulgaires chaussettes. Mais cette fille en face de moi, elle est différente de toutes celles que j’ai croisé en soirée, de toutes ces filles « De » avec qui ma mère me force à sortir, de ces greluches qui louchent sur la fortune de mes parents. Cassie, Stella. Elle est unique, elle est entrée un soir en haut des marches et la lumière qu’elle a apportée avec elle, qu’elle m’a tendue, ne me quitte plus.

C’est une évidence.

Et ces trois mots, cette phrase qui me semblaient inconnus, il y a de ça quelques instants, j’aimerais l’entendre, encore une fois, entre ses lèvres. L’ancrer dans ma mémoire jusqu’à en être rassasié. Même si je crois que je ne m’en lasserais jamais. Alors pour être certain que je ne suis pas dingue, que je ne suis pas cet adolescent en plein délire face à la fille qui le fait craquer, je me répète. Lui redis les mêmes mots dans un murmure vibrant :

Je t’aime, Stella.

Elle sourit.

Merde ! Mon cœur palpite dans ma poitrine, mes yeux se posent sur ses lèvres encore gonflées par nos baisers, et ma respiration se coupe. Je suis perdu dans ma contemplation, concentré sur la pulpe de sa bouche et la douce couleur rosée de ses pommettes. Mes mains viennent se caler sur ses joues pour en sentir leur chaleur, et alors qu’un frisson s’empare de ma nuque, j’ose détacher mon regard du bas de son visage pour venir le planter dans son océan cristallin. Suppliant. Implorant ma libération.

Je t’aime aussi, Ashley. Ne le sais-tu pas déjà ? Je suis et resterais ton étoile.

Même si je suis plongé dans le noir, au tréfond des ténèbres, pris au piège dans l’enfer que ma mère a créé pour moi ?

Oh Ash… Ne l’oublie jamais. Au cœur des ténèbres, tu trouveras toujours une étoile pour te guider. Une étincelle de lumière qui éclairera la plus grande des tempêtes s’il le faut. »

Et sur cette dernière phrase, elle avait brisé la distance entre nos bouches. Sous des baisers langoureux, nos instincts avaient pris le dessus. Nos sentiments étaient palpables. Ils m’ont transporté, transformé. Enfin… jusqu’à ce que nous rompions tout contact pour redescendre sur terre et nous contenter d’une soirée films au fond du lit. Merde, c’était une tentation horrible que d’avoir son corps à quelques centimètres du mien et de ne rien tenter pour autant. J’étais encore un gosse. Nous l’étions tous les deux. Pourtant quand elle a énoncé ces paroles, j’en suis certain, elle les pensait.

Mais il a fallu que je lui brise le cœur. Que je laisse la peur et la tristesse l’emporter. Que Jeanne De Cœur gagne la partie ! Parce que le départ de Malory était la goutte d’eau, l’abandon qui m’a fait sombrer. Un putain de Noël merdique ! Le pire de tous ! Le dernier que j’ai fêté avec mon père. Bordel… Noyé dans mes tourments, dans un souvenir heureux qui me ramène face à mon erreur, je me suis rappuyé contre le dossier de leur sofa.

Mes poings sont serrés et cachés dans mes poches. Mes épaules sont tendues et ma tête se relève lentement vers celle qui saura me sortir de mes cauchemars. Il suffit d’une étincelle, d’un instant, d’un plongeon dans ses yeux bleus pour que mon cœur tente de s’évader de ma poitrine. Le poids qui s’était peu à peu abattu sur moi, s’efface. Il disparaît, s’évapore pour laisser place à cette douce chaleur que seule, Stella arrive à faire naître au creux de mon ventre.

— Tout va bien ? me demande-t-elle en s’approchant d’un pas hésitant.

Je ne réponds pas. Observe furtivement les réactions de nos deux gardiens. Cole monte les mains au ciel, comme pour baisser les armes et Eliott sourit de toutes ses dents. Tous les deux semblent incapables de se décider, balançant entre la confiance et la méfiance. Au fond… je les comprends. Cassie est celle qui tempère leur tempérament, elle est la troisième note de leur accord parfait. Un accord que je perturbe de ma présence.

Sauf que… j’ai cette impression folle d’avoir ma place ici, avec eux.

— Je devrais vous laisser maintenant, annoncé-je en marmonnant.

Elle fronce les sourcils. Le pli que je lui connais s’invite entre eux.

— J’ai… je… ce que je veux dire, c’est : merci. A vous trois. Grâce à vous, j’ai hérité d’un hématome, d’un mal de crâne et de courbatures. Mais j’ai aussi eu la possibilité de goûter, au moins une fois, aux pancakes de mon enfance. Alors ouais… Merci.

— C’était difficile à cracher, hein ?

— Cole ! le réprimande Cassie à mi-chemin entre nous.

— Quoi ? Tu vois bien qu’il grince des dents ! Remercier les autres n’est pas dans ses habitudes. Je constate, c’est tout. Au fait, Crève-cœur, en partant n’oublie pas ton cadeau. Les rennes du merveilleux pays de Noël seraient tristes de ne pas pouvoir te suivre.

J’ignore comment on en est arrivé là, mais il a suffi de quelques paroles sarcastiques de la part de Cole pour que tout le quatuor rit aux éclats. Envolées les mauvaises pensées. A la place, les gloussements chaleureux de Stella se sont incrustés dans mon crâne. Un son harmonieux, doux et qui sans le savoir me réconforte. Comme à l’époque où nous formions un « nous », ensemble. Très vite, les deux compères se calment, nous contournent avant de s’affaler les fesses dans les cousins du canapé, le tout en allumant la télévision.

— Encore un satané téléfilm de Noël ! Sérieux, les gars…

— Eh ! C’est toi qui t’incruste alors ferme-là, tu veux ! grogne Cole en me poussant d’une main ferme.

— D’accord, d’accord. J’ai compris. Le message est clair.

D’un air entendu adressé à Eliott, je rejoins le comptoir de la cuisine. Attrape Rodolf, ne sachant plus vraiment comment ce calendrier a terminé son chemin ici, et me retourne pour me diriger vers la porte d’entrée. J’enfile mes chaussures qui trainent au pied d’un placard sur ma gauche et alors que je pose les doigts sur la poignée pour ouvrir la paroi de bois qui me sépare du monde extérieur, une main vient se poser sur la mienne.

Oh… Stella.

Ne rends donc pas la situation plus difficile qu’elle ne l’est déjà. Mon cœur me hurle de m’arrêter, de ne pas faire un mouvement de plus, de ne pas l’éloigner de Cassie alors qu’il vient à peine de la retrouver mais ma tête… Ma tête, elle, sait que je l’ai fait souffrir, que si Cole réagit au quart de tour à chaque fois que je m’approche trop près de Stella, c’est pour une bonne raison. Je lui ai brisé le cœur en mille morceaux, broyant le mien au passage et nous détruisant l’un l’autre par la même occasion.

Alors quand mes yeux tombent sur les siens, incertains, un soupire m’échappe. Je suis soulagé, confus et en même temps, j’avais cet espoir fou qu’elle oserait me retenir. Rien qu’une fois, comme quand je m’énervais et qu’elle était la seule à pouvoir calmer mes pulsions. Sa tête brune se penche sur le côté, elle sourit malicieuse, dans l’attente d’une parole qui ne vient jamais. Au fond, j’ignore ce qu’elle veut et pourquoi elle me retient. Ou pourquoi soudain, la savoir dans ma vie au quotidien bouleverse mes certitudes, mes habitudes de connards, et même mon calendrier de l’avent pourtant déjà rôdé.

Le silence entre nous devient pesant, et ce n’est pas le bruit en arrière-plan qui va suffire à combler le blanc. Surtout quand en jetant un coup d’œil par-dessus le crâne de Cassie, je tombe sur deux têtes curieuses, qui nous analysent l’un l’autre. Et merde… Décidément, je ne vais pas réussir à sortir de là sans encombre. Un clin d’œil de la part d’Eliott me confirme que je suis dans le pétrin. Un sacré pétrin, si j’en crois le geste de Cole qui doit avoir regarder trop de films, et qui de ses deux doigts me montre ses yeux avant de les pointer vers moi.

D’accord…

Un gloussement m’échappe et actionne une drôle de réaction en chaine. Cassie se retourne, croise les bras et, j’en suis sûr, d’un regard furieux hurle sur les deux mousquetaires qui lui servent de colocataires. Puis, avant que je n’aie le temps de dire un mot ou même d’esquisser un mouvement pour partir, elle me rattrape par le bras et pose sa paume sur mon torse. Si elle voulait attirer mon attention, elle a gagné.

— On pourrait faire ça tous les dimanches. Comme avant. Enfin… si tu veux.

Quoi ? J’ai bien entendu ? Apparemment oui ! Puisque tous les regards sont de nouveau braqués sur moi. Le premier menaçant, l’autre rieur tandis que le troisième et le plus important semble analyser chacune de mes réactions. Et quelles sensations ? Un frisson, une chaleur qui part de sa main et traverse le tissu de ma chemise pour venir glisser sur mon épiderme et réchauffer ce cœur meurtri qui se cache dans ma poitrine.

D’une invitation, Stella lance sa poussière d’étoile pour combler les fissures de ce membre qui palpite à vive allure à présent. Alors c’est sans hésiter que je me penche vers elle, pour lui chuchoter ma réponse à l’oreille :

— Avec plaisir, jolie étoile.

Puis profitant de sa surprise et de ses joues qui rougissent sous l’effet de mes mots, je dépose une légère bise sur sa pommette. La dernière image qu’elle m’offre au moment où la porte se referme sur moi est magnifique. Seule la main de Stella a bougé, venant toucher la partie de son visage que mes lèvres ont caressé. C’était doux, juste un effleurement. Et cette sensation qui m’habite me prend de court, alors je ne fais que trois pas, avant de me caler contre le mur du hall et de retrouver une respiration normale.

Merde alors…

— Avec plaisir ? Vraiment ? Alors… on reprend notre rituel, soufflé-je en me passant les doigts dans les cheveux.

Tout ça parce que je n’ai pas su gérer ma colère.

Elle l’avait pourtant dit.

« Je serais toujours ton étoile, Ashley. Quoique tu en penses, peu importe le nombre de fois où tu essaieras de me repousser, moi, je n’abandonnerais jamais. Tu mérites qu’on s’inquiète pour toi. Alors s’il te plaît, ne me dis plus de partir quand tu es énervé. Je saurais gérer. Après tout, on a tous une bonne étoile pour veiller sur soi. »

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